Il me vient aux oreilles qu’un inspecteur est aujourd’hui menacé de sanctions par le ministère.
En soi, c’est un épiphénomène. Gilles de Robien souhaite ne voir qu’une seule tête à l’Inspection, alors que la plupart des gens en place ont été nommés par ses prédécesseurs. Et se conforment encore à la pensée politique du prédécesseur.
Tout cela procède d’un mélange des genres particulièrement absurde.
J’ai écrit souvent que l’Ecole n’est ni de droite, ni de gauche. Elle est la maison commune de la Nation. Le corollaire obligé de cette affirmation, c’est que jamais les passions politiques ne devraient interférer avec les considérations pédagogiques. Et qu’à terme, il faudrait désincarcérer l’école du carcan des politiques, créer une Agence pour l’Education qui remplace le Ministère de la rue de Grenelle — et je suis loin d’être le seul à le penser : Jacques Julliard, dans le Nouvel Obs, s’est fait le chantre d’une Ecole dégagée des fantaisies politiques.
Qu’est-ce que cela implique, concrètement, du point de vue du métier ?
D’abord, qu’un inspecteur doit avant tout être un collègue — et non un père fouettard. Philippe Meirieu propose en ce moment que toute inspection se passe en deux temps — une heure d’observation, puis une heure où l’inspecteur fait classe à son tour pour bien montrer ce qu’il veut dire, et ce que l’on peut faire. C’est d’une démagogie effrénée — car comment un inspecteur serait-il instantanément compétent sur telle ou telle branche du programme que l’enseignant a creusée pour son cours ? Je ne suis même pas sûr qu’en Primaire, ce soit faisable, tant les situations de classe dépendent étroitement de la connaissance que l’instituteur a de ses élèves, des capacités de l’un et des problèmes de l’autre.

J’ai fait dans « À bonne école » une proposition dont je conçois bien la difficulté de mise en place, mais qui ouvre pourtant des perspectives : que l’inspecteur vienne deux fois dans la classe — en début et en fin d’année, afin de voir quels progrès ont été faits. Sinon, un enseignant tombé par hasard dans une « bonne » classe d’un « bon » établissement surfera insolemment en tête de classement, sans trop d’effort, pendant que le malheureux soutier muté dans une ZEP hostile paiera au prix fort le faible niveau de ses élèves…

Soyons clair. Le principe de liberté pédagogique doit être réaffirmé haut et fort. Un enseignant, s’il est correctement formé (et c’est aujourd’hui tout le problème en ce qui concerne les méthodes de lecture, dont je sais bien qu’elles ne sont pas toutes enseignées dans les IUFM…), doit pouvoir choisir la méthode la plus adéquate à ses élèves, et à sa personnalité. « Que le gascon y arrive, si le français n’y peut aller », disait Montaigne pour justifier son usage de mots de patois. Il en est de même en pédagogie.
Dans cette optique, que doit être un inspecteur ? Certainement pas un idéologue qui s’investirait de la mission sacrée d’imposer telle ou telle pédagogie — et certainement pas un politique qui userait de sa fonction pour tenter de descendre le premier enseignant qui lui a déplu. Le politique est en train de tuer l’Education. Après tout, les enseignants parviennent assez bien — sauf quelques idéologues bornés — à faire cours sans se référer sans cesse à leurs convictions philosophiques. Un inspecteur doit pouvoir aider un enseignant sans sortir sa Vulgate pédagogiste, ou anti-pédagogiste. Et le ministère doit pouvoir faire comprendre aux uns et aux autres sans recourir à la menace ou à la sanction que de la diversité pédagogique peut naître une nouvelle école dégagée des a-priori.
En un mot, je voudrais réhabiliter le mot « libéralisme », aujourd’hui annexé par des politiques qui ont oublié qu’il venait de « liberté ».
Inutile donc de sanctionner les uns ou les autres pour des délits d’opinion. Ce qu’il faut extirper, c’est l’idée même d’opinion. Un enseignant est capable de faire classe en oubliant, quelques heures durant, qu’il est royaliste, communiste ou bouddhiste. Un inspecteur doit être capable d’estimer l’efficacité de telle ou telle méthode sur le terrain — et non dans l’abstrait — en oubliant qu’il est (ou non) membre du PS. C’est cela qui doit être son souci, — et non l’application systématique de telle ou telle circulaire, de telle ou telle théorie. En clair, ni Robien, ni Meirieu : ni l’obéissance aveugle à un exécutif trop loin du terrain, ni l’aveuglement servile devant les théories fumeuses d’idéologues patentés.
Je sais bien qu’en disant cela, je me fâche avec les uns et les autres. Que le ministre d’aujourd’hui va m’en vouloir, et que le ministre de demain m’aura à l’œil. Et même que les blâmés d’aujourd’hui me blâmeront demain. Tant pis. La vérité, « l’âpre vérité », mérite bien quelques petits sacrifices.
JPB

1 commentaire

  1. LOL +1 !

    Plus sérieusement, j’ignorais votre éviction. J’appréciais beaucoup vos interventions.

    Dites, les noe … Que branlez-vous ? Les forces vives ne sont pas rapidement remplaçables … Pour demeurer factuel: on retrouve maintenant de moins en moins d’intervenants sur les sujets liés à l’Education et le contenu des apports se réduit tristement.

    Le groupuscule anti-smiley.

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