Les 17 et 18 février se sont tenues dans mon lycée deux réunions (l’une avec les parents, l’autre avec les élèves) portant sur la réforme du lycée. Les comptes-rendus de ces réunions remonteront aux instances chargées d’en tirer une synthèse — depuis le rectorat où officie Jean-Paul de Gaudemar, qui a si merveilleusement géré la première réforme impulsée par le ministre, jusqu’à l’office de l’ineffable directeur de Sciences-Pô, chargé de consulter tous azimuts afin d’en tirer une conclusion qui, selon toutes probabilités, est déjà écrite. Ecrite par le ministre du Budget, par les conseillers du Prince, et ceux du ministre, par les pédagos qui s’agitent dans l’ombre (et, de plus en plus, dans la lumière, au fur et à mesure que les maladresses des décideurs leur donnent, via le mouvement d’insurrection des universités, le courage de combattre une loi — la LRU — qu’ils avaient massivement soutenue), bref, par tous ceux qui savent mieux que nous, nous, les obscurs, les sans-grade, ce qui est bon pour les élèves qu’ils n’ont pas, ou plus, ou jamais eus en face d’eux.

    Les deux réunions n’ont pas rassemblé la foule. Une dizaine de profs, autant de parents, autant d’élèves (et, parmi ces derniers, surtout des élèves de classes préparatoires : les émeutiers revendicatifs de décembre avaient autre chose à faire, et le délégué national à la Vie lycéenne brillait par son absence). L’administration était là, pour lancer le débat et prendre des notes — et remettre les discussions sur leurs rails, parfois : on s’enflamme vite, dans ces petites sauteries…

    Plutôt que de mimer les débats, je vais tenter d’en rapporter la substance — quasiment sans y mettre mon grain de sel. Je passe donc sous silence les déclarations de principe, l’absence du SNES, les coups de pointes, à fleurets non mouchetés, entre représentants du SNALC et de SUD, et le mutisme obstiné d’une bonne moitié des participants, parents ou élèves, les uns un peu dépassés, les autres (les plus jeunes surtout) impressionnés par l’immense salle, ou découragés par la vivacité des échanges.

    Ou, c’est plus probable, désarmés face à toute situation qui suppose une certaine maîtrise du langage…

    Constat initial : c’est plutôt du collège qu’il faudrait parler, parce que c’est là que mature l’échec. Et surtout du collège unique — l’idée d’un lycée qui fonctionnerait sur les mêmes bases de forte hétérogénéité a été évoquée, et répudiée. D’ailleurs, avons-nous appris, on peut très bien, à Dotation Horaire Globale constante, aménager des classes de niveau sans le dire : saint Tartuffe, priez pour moi… Les élèves (et les enseignants de classes préparatoires, les seuls qui en aient l’expérience) ont d’ailleurs noté qu’une réduction automatique de deux ou trois élèves par classe n’avait aucun intérêt, comme l’avait démontré déjà Thomas Piketty (1). Une « bonne » classe peut fonctionner avec 45 élèves, une classe en difficulté n’est pas gérable avec 25.

    C’est donc aux établissements, qui après tout ont aujourd’hui une certaine latitude, de proposer une répartition plus juste dans un souci qualitatif de réussite pédagogique. Et non, comme le claironnent certains depuis des lustres, dans une perspective quantitative fondée sur un égalitarisme étroit : faire cours à une classe motivée n’est pas si difficile, motiver une classe en difficulté suppose un art tout différent, et des conditions d’exercice autres (2).

    Autre évidence de départ : le ministre n’a pas totalement « inventé » la réforme du lycée. Elle s’est dégagée toute seule d’un double constat accablant : la faiblesse des entrants en Seconde (et encore, le collège a tellement échoué qu’il hésite à envoyer au Lycée tous ceux qui pourraient y aller, qui devraient y aller si l’on pense qu’une formation solide est nécessaire pour relever les défis futurs de l’emploi, et qu’on laisse fin Troisième 160 000 jeunes à la dérive — du lumpen à venir pour tous les extrémismes), et l’échec, en fac, de 50% de ceux qui s’y hasardent. Et jusqu’à 97% s’ils sortent d’un Bac Pro, dont chacun sait que c’est par une escroquerie démagogique qu’il donne droit à une entrée automatique dans l’enseignement supérieur, alors qu’il devrait alimenter les BTS, où l’on recrute surtout des Bacs généraux — cul par dessus tête, comme le reste du système éducatif.

    Du coup, la question du Bac, examen de fin d’études octroyé à tous ou premier titre universitaire, s’est immédiatement posée. Et ce n’est pas la moindre surprise que de constater qu’élèves et parents n’ont rien contre l’idée d’universités recrutant sur dossier (la note obtenue à l’examen n’étant que l’un des paramètres), comme le font déjà 40% des formations supérieures, des IUT aux Prépas, en passant par les BTS, Médecine, et une infinité de systèmes plus ou moins dérogatoires.

    Autre question qui a longuement agité les profs et les élèves : la « motivation » de l’élève de lycée. Le débat a fait émerger ce dépit, cette anomie/atonie du lycéen qui ne sait pas pourquoi (pour qui ?) il travaille. Le cadre du lycée, la pression, le bachotage, participent de cette angoisse et de cette absence — ou cette insuffisance — de motivation. La motivation est un enjeu en soi — et il semble bien que le Bac ne soit plus une réponse au vague à l’âme (serions-nous face à une seconde génération romantique, au plus mauvais sens du terme ?) d’élèves qui sont là faute d’être ailleurs — un ailleurs indéfinissable, vaguement terrorisant, dont le lycée vous protège, en un sens, mais sans devenir pour autant une terre d’élection.

    Derniers points qui ont fait l’objet d’un consensus : la dictature de la série S, qui génère une bonne part des 20% d’élèves redoublant en Seconde (« Non, je ne veux pas que mon enfant aille en STG  — ou, pire, en L… »). La question des redoublements (et accessoirement des statistiques du Bac : comme m’a dit un jour Darcos, « 17% d’échecs, ce n’est pas rien ») est remontée assez vite. Et la façon de les réduire, voire de les éliminer, n’est pas si oiseuse que ça. Quant au système des options (que la réforme, si merveilleusement orchestrée par Jean-Paul de Gaudemar, comme je l’ai raconté en son temps, envisageait de multiplier, en offrant un choix ouvert, aux initiatives ou aux goûts des élèves), il a été l’objet d’un consensus négatif : trop de choix, alors qu’on est incapable de choisir — et, en définitive, ce sont les parents qui choisissent pour les élèves (« Tu feras S, mon fils — et tu apprendras l’allemand, gage de bonnes classes » — ce qui est bien moins vrai qu’on ne le croit). L’idée que l’on offrirait un choix encore plus décisif aux élèves a été écartée d’un haussement d’épaules : nous sommes bien incapables de choisir, affirmèrent les élèves, avec une lucidité confondante ; dites-nous plutôt ce qu’il faut faire. »

    Si je résume donc ce qui a émergé au bout de ces trois heures (cumulées) de discussion :

    – un tronc commun aussi solide que possible — un super-socle. En fait, une voie unique, de la Seconde à la Terminale, qui s’appuierait sur un programme qui serait, peu ou prou, celui de S (version light ou non). À noter qu’une telle structure éliminerait, de facto, les redoublements occasionnés par le simple désir d’entrer dans la voie prestigieuse des Maths lourdes… Evidemment, des options renforcées pourraient se mettre en place, pour ceux que la physique des particules, les œuvres de Révéroni Saint-Cyr ou la géomorphologie branchent particulièrement — en fait, les quelques-uns, fort rares, qui savent, dès le lycée, vers quoi ils vont ;

    – une meilleure répartition du temps de travail : des journées moins longues, peut-être une réduction du temps de vacances, ou, proposition intéressante et audacieuse, à laquelle le SNALC a beaucoup réfléchi, une scolarité sur quatre ans — quatre années pendant lesquelles on répartirait la charge horaire actuelle (ce serait en tout cas une nécessité dans tous les lycées qui ont des sections sport-études) ;

    – la suppression d’une foule d’activités et d’options annexes, qui font semblant d’offrir un large éventail, ou de multiplier les choix, et qui bouffent un temps trop précieux pour le si mal occuper ;

    – faire du Bac un examen de fin d’études accordé à tous, sauf scandale pédagogique évident, avec une dose — à définir — de contrôle continu, de façon à débarrasser les élèves (et les enseignants) du souci parfois un peu étroit de préparer à un examen-couperet, ce qui génère bachotage et stress, et permettrait d’approfondir tel ou tel aspect de telle ou telle matière sans souci utilitariste ;

    – avoir des enseignants qui maîtrisent leur discipline — les intervenants se souciaient bien moins de pédagogie que de transmission de savoirs aussi étendus que possible.

    Je ne crois pas avoir caricaturé les débats. Bien sûr, il ne s’agit que des propositions d’un « bon » lycée de province ; et je ne doute pas que, idéologie aidant, les conclusions de Richard Descoings, quand il aura terminé ses consultations », soient assez différentes : il en est de l’enseignement comme des tartines beurrées (3), la même loi de Murphy s’applique, et nous enseigne que seul le pire est sûr.

Jean-Paul Brighelli

 

PS. Merci à MG.

 

(1) Pour résumer, l’étude très sérieuse de Piketty montre qu’une réduction à la marge du nombre d’élèves n’a aucune influence sur les résultats. Seule une diminution drastique — de 24 à 15, par exemple — génère une amélioration sensible dans les zones du même nom. Et, corollaire non évident, une augmentation du nombre d’élèves dans une « bonne » classe n’a parallèlement aucune incidence sur le niveau général et la réussite individuelle. Voir http://www.jourdan.ens.fr/piketty/fichiers/presse/panorama/2004/2004_09_05_lemonde.pdf

 

(2) J’ai fait cette proposition il y a presque trois ans dans « À bonne école ».  Nous savons tous que c’est une évidence de bon sens — donc répudiée par les syndicats majoritaires de l’EN, et ignorée par les princes qui nous gouvernent et devraient, de temps en temps, camouflés comme Haroun-al-Rashid dans les 1001 Nuits, descendre dans les classes pour voir ce qui s’y passe.

 

(3) Je n’ignore pas, bien entendu, que la chute de la tartine sur son côté beurré a des raisons tout à fait objectives, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’une étude extensive et conduit à l’attribution à son auteur, Robert Matthews, d’un Prix Ig Nobel en 1996 (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Murphy#.C3.89tude_de_cas_:_la_loi_de_la_tartine_beurr.C3.A9e). Il en est de même dans l’Education : les aberrations du système ont toutes une cause « rationnelle » — appétit de puissance des crétins, idéologie égalitariste, libéralisme à la Bastiat, force d’inertie, meilleures intentions, et j’en passe.