Formation des maîtres : concours et programmes

L’Association des professeurs de français et langues anciennes des classes préparatoires littéraires, présidée par Emmanuèle Blanc (emmanueleblanc@yahoo.fr), professeur de Lettres au Lycée Louis-le-Grand (Paris), a tout récemment finalisé ses propositions pour une refonte des concours de recrutement du Primaire et du Secondaire. Je reprends ci-dessous ses analyses, et j’incite chacun à y réfléchir.

« L’état préoccupant du niveau des élèves et des étudiants dans leur langue maternelle impose une série de mesures relevant le plus souvent du bon sens, qui, sans exiger de moyens supplémentaires, permettraient d’enrayer ce qui menace de devenir une catastrophe.

« Les contenus des concours ne permettent pas actuellement de recruter des enseignants performants ; en effet soit ils donnent plus d’importance à la réflexion pédagogique qu’à la compétence ou à l’intérêt pour la matière étudiée, en l’occurrence la langue française elle-même, soit ils se caractérisent par une absence de programme rédhibitoire.

« Dans le Primaire, il ne sert à rien de recruter les futurs professeurs des écoles au moyen des épreuves actuelles, dites de « français », qui, loin de permettre de tester des connaissances linguistiques des candidats, consistent à les faire réfléchir sur des documents théoriques souvent abscons, plus faits pour des spécialistes de pédagogie que pour de futurs instituteurs ; il faut d’abord vérifier le niveau de connaissance (grammaire, culture générale, orthographe, facilité à comprendre le sens d’un texte qui soit d’une bonne teneur littéraire). On pourrait envisager une épreuve éliminatoire de langue française, pour ensuite proposer une réflexion pédagogique, qui, sans cette connaissance préliminaire de la langue, est nulle et non avenue.

« Dans le Secondaire (CAPES), les épreuves écrites et orales de littérature proprement dite sont actuellement sans programme, et leur préparation, faute d’être ciblée, reste trop vague et ne permet pas d’acquérir un réel contenu de connaissances. Pour améliorer le niveau des futurs enseignants, il faudrait d’abord rationaliser le cursus universitaire afin de dispenser une progression cohérente au cours des trois premières années universitaires, puis définir un nouveau type d’épreuves au CAPES, basé sur un corpus d’œuvres étudiées dans l’année de préparation au concours (aussi bien du point de vue de la langue, du contexte historique, de la visée littéraire, de l’histoire des idées et de la littérature, toutes choses qui pourront être réutilisées dans les classes ). Cette maîtrise de quelques textes « canoniques » permettrait d’abord un recrutement plus équitable et ensuite donnerait aux futurs enseignants d’autant plus d’autorité, qu’ils seraient plus sûrs de leur savoir, et du savoir à transmettre.
« La connaissance de la langue et de la littérature française impliquant d’autre part la connaissance de la langue et de la culture latines, comme de la littérature de l’antiquité en général , il faudrait que, comme à l’agrégation de Lettres modernes, une épreuve de langue et civilisation latines soit obligatoire dans un capes de Lettres unifié dont une des options serait celle de Lettres classiques (avec une épreuve supplémentaire de grec).

« À l’école primaire, les exercices de français doivent d’appuyer sur la mémoire et la répétition : mémorisation de quelques beaux textes de la langue française, exercices de lecture quotidiens, et exercices hebdomadaires de dictée, de grammaire et de rédaction, avec, dans tous les genres d’exercices une attention particulière portée au vocabulaire et à son assimilation. La mémoire est le principal atout des enfants ; il ne faut pas hésiter à la faire fonctionner le plus possible pour tous ces travaux.

« Au collège, les élèves auront un enseignement hebdomadaire de grammaire : révision des conjugaisons et de l’emploi des temps, apprentissage de l’analyse du mot dans la proposition, de la proposition dans la phrase ; Ils feront chaque semaine une dictée et une rédaction. En travaillant d’autre part sur des textes littéraires (qu’un concours rénové du CAPES aura rendu plus familier aux enseignants), ils apprendront peu à peu des tournures et des mots qui leur permettront de s’initier à la lecture intégrale non pas simplement d’œuvres de « littérature de jeunesse » dont la syntaxe et le vocabulaire trop simples proposent une pseudo langue écrite, et de maigres sujets de réflexion, mais d’œuvres plus complexes, appartenant aux grand auteurs français. Ils seront par là-même conduits à élucider le sens des textes qui leur seront proposés, sens précisément d’autant plus digne d’intérêt que l’œuvre émanera d’un grand auteur, au lieu, comme c’est trop souvent le cas maintenant, de s’en tenir à la description des techniques littéraires utilisées, quel qu’en soit le support.

« Au lycée, outre la continuation, dans la même optique, du travail sur les textes littéraires commencé au collège, il faut absolument rétablir une section littéraire digne de ce nom : un programme spécifique de littérature française, que des cours obligatoires d’histoire moderne, de langue ancienne et d’histoire de l’art rendront plus vivante, plus attractive, et plus compréhensible. Il ne faut pas négliger, non plus, dans toutes les filières, l’apprentissage du vocabulaire à partir des textes étudiés : c’est par là que les élèves acquerront la maîtrise de la langue, qui reste souvent un des critères de sélection, quel que soit le métier envisagé.

« Les classes préparatoires littéraires (qui, vu la diminution des inscriptions à l’université dans les disciplines littéraires, deviennent le seul lieu où un nombre important d’étudiants peut encore étudier ce qu’on appelait « les humanités ») doivent, en première année, afficher leur caractère littéraire, qui les distingue nettement des classes préparatoires commerciales : rôle prédominant du cours de Lettres, présence obligatoire de la langue ancienne, possibilité réelle de pratiquer une deuxième langue ancienne, sans qu’il soit besoin de suivre pendant le premier trimestre un enseignement de deux langues vivantes. Est-il besoin de rappeler que ce qu’on appelle « culture générale » et dont on déplore partout la disparition, est tout simplement une culture littéraire bien comprise, non pas la connaissance de la critique littéraire, ou de ses méthodes d’analyse, mais une familiarité avec les grands écrivains, et par conséquent, leur époque, le contexte où ils écrivaient, les textes, anciens le plus souvent, qui les ont nourris, la philosophie qui peut les éclairer. C’est ce savoir là qui doit aussi être acquis à l’université, afin que nous ayons de meilleurs enseignants que ceux qui sont recrutés en ce moment.

« Il est indispensable, si l’on veut que les jeunes citoyens français ne perdent pas leur langue, ni par conséquent leur capacité à réfléchir, de prendre de façon urgente cette série de mesures qui, dispensant une meilleure formation aux futurs enseignants, rendra le cours de français attractif (ce que trop souvent il n’est plus en ce moment ), et donnera aux élèves aussi bien une culture commune indispensable qu’un instrument qui leur permette, en toute occasion, d’exercer leur jugement de façon claire et argumentée. »

Commentaires préalables (JPB)
Correcteur au CAPES, j’ai pu toucher du doigt les failles — les gouffres — culturels de nombre de candidats. « L’épreuve sur dossier » — qui est une épreuve de pure didactique, fausse science s’il en est — serait avantageuemen remplacée par une épreuve de culture générale — les liens entre Histoire, Histoire littéraire et Histoire de l’art sont aujourd’hui trop souvent ignorés. Et qui ne sait que l’on tient ses classes, aussi, en racontant des histoires — en faisant renaître des siècles enfouis, en faisant revivre des œuvres oubliées ?
Si l’on réunissait aujourd’hui les projets conceptualisés par les diverses associations qui travaillent à refondre les programmes — et à refonder l’Ecole de la République —, on aurait, très vite, des programmes de substitution sur lesquels il serait inutile de faire réfléchir une commission de plus… Il y a urgence, en Lettres comme dans tant d’autres matières : c’est en recomposant les apprentissages de la base au sommet que l’on avancera, pas en demandant une énième fois son avis à Gérard Aschieri, qui semble chaque jour avoir oublié qu’il est passé par les Khâgnes — nous y étions ensemble —, ces outils de sélection, et qu’il y a fait du latin avant d’intégrer l’ENS, cet antre de l’élite. Réveille-toi, Gérard, tu es devenu fou.

Jean-Paul Brighelli