Alleluia ! » s’exclament les plus naïfs des anti-pédagogistes. « Les IUFM seront bientôt dissous dans les universités, par la grâce des nouveaux concours de recrutement » — tout comme, jadis, le communisme était, paraît-il, soluble dans l’alcool.

J’ai bien peur que les universités soient déjà iufmisées jusqu’au cou, et que le champagne des célébrations ait tourné vinaigre. La nouvelle mouture des concours de recrutement, qui diminue sensiblement la part purement disciplinaire, tout en sauvegardant la (grosse) moitié « pédagogique », en est la preuve par neuf.

Au cours des mois de juin et juillet, diverses rumeurs ont agité les jurys de CAPES, en plein exercice — la plus constante étant la disparition, ou quasi-disparition, des concours, et la régionalisation du recrutement. Certains jurys ont même été reçus en délégation par un conseiller du ministre, qui les a, selon une technique éprouvée, rassurés et épouvantés.

Donc…

Premier point, les candidats à tous les concours de recrutement devront avoir un Master 1 au moment de l’écrit, et avoir achevé le M2 au moment de l’oral : d’où la dissociation sensible, dans le temps, entre un écrit passé à la fin du premier semestre universitaire (fin janvier) et un oral en mai ou juin.

La préparation des concours s’effectuera dans un temps bref. Mais la qualité des universitaires et de leur enseignement compensera sans doute ce minuscule inconvénient… Voir plus bas.

La validation du M1 pourrait s’accomplir via les notes de « concours blancs » organisés par les facs — qui restent en l’état maîtresses de leurs cursus, comme elles le sont désormais de leurs finances (et forcément, elles investiront lourdement dans la préparation des concours d’enseignement). Entre l’écrit et l’oral, débrouillez-vous pour faire quelques semaines (de trois à six — comme en BTS…) de stage dans un établissement scolaire — sur la base du volontariat ou du nombre de places disponibles. Vous voudrez bien rédiger un rapport de stage (modèle BTS toujours — plus on monte le niveau de recrutement, plus le niveau d’exigence descend) de synthèse courant avril-mai. Aucune difficulté : vous n’aurez pas grand-chose à préparer pour l’oral, comme nous allons le voir.

Quels Masters ? Silence radio chez Darcos. Adressez-vous au ministère des Universités. « Des masters professionnalisés », disent déjà les plus inventifs des Pédagogues installés à demeure dans les facs, à Créteil ou ailleurs : tout le monde sait bien que les « profs » des deux derniers siècles n’étaient en rien des « professionnels », et qu’il est temps de les recadrer. « Des masters pluri-disciplinaires », proposent des universités (Artois, par exemple) qui se soucient de la formation des futurs maîtres du Primaire. Et pour les profs du Second degré ? « Vous délivrez déjà des Licences disciplinaires, n’est-ce pas ? » insinue délicatement le Conseiller consulté, mi-figue mi-raisin (ou faut-il dire « tongue in  cheek » ?). « Donc, le niveau disciplinaire est acquis en Licence », continue-t-il avec l’imperceptible ironie qui le caractérise (mais plus une ironie est légère, plus elle est cinglante, tout le monde sait cela).
   C’est un argument déjà utilisé en 1990 par Claude Allègre, alors dir-cab d’un certain Lionel Jospin. Le ministère pensait à l’époque (sérieusement, vu l’idéologie du ministre d’alors et la compétence universelle de son second) qu’un étudiant de troisième année avait victorieusement construit lui-même ses propres savoirs. Et la rue de Grenelle semble persister à le penser.

C’est que les conseillers du ministre n’ont pas vu les candidats au CAPES d’Histoire-Géo hésiter longuement devant une carte de France avant de se décider à placer la source du Rhône dans les Ardennes, ni ceux du CAPES de Lettres asséner au jury la preuve formelle que La Fontaine aimait les animaux, puisqu’il a dédié les Fables à un « dauphin » — un grand dauphin, même… C’est qu’ils ne savent pas que les candidats les plus sérieux sortent de classes préparatoires, ou d’une formation agrégation (1). C’est qu’ils ne veulent pas savoir qu’un étudiant que l’on fait échouer en Licence, ce sont des crédits qui s’envolent. Donc…

Au passage, j’aimerais bien avoir des statistiques sérieuses sur le nombre de candidats au CAPES (ou même au concours de Professeur des écoles) qui sont déjà titulaires d’un M2. L’âge moyen des candidats dérive de plus en plus, comme s’ils se rabattaient tardivement vers l’enseignement après avoir tenté leur chance dans des carrières plus lucratives, mieux considérées, ou moins dangereuses.

Quant à ceux qui se lançaient dans les concours avec une simple Licence en poche, ils patienteront bien deux ans encore — deux ans de petits boulots et de grosses galères (2). Il faut ce qu’il faut pour s’assurer que l’on a la vocation pour le plus beau métier du monde…

Les concours nouveau style doivent démarrer en 2010. Les Masters doivent donc se mettre en place en÷ septembre 2008. Dans un mois.

À supposer que les profs de facs se sentent motivés pour opérer une rentrée universitaire début septembre, et non fin octobre, et renoncent aux belles conférences (éventuellement lucratives) où ils dissertent agréablement, comme chez David Lodge, sur décodage et encodage.

C’est pour le coup que les PRAG (les agrégés enseignant dans le Supérieur) trouveront une utilisation massive.

Pour ce qui est des épreuves elles-mêmes, le plan évoqué avec insistance par le ministère suggère une épreuve à l’écrit (deux dans les CAPES bivalents, comme en Histoire-Géographie), et deux épreuves à l’oral : l’une de didactique (schéma actuel : comment faire un cours, pour un niveau donné, en s’appuyant sur divers documents, en général des extraits de manuels scolaires — les IPR font pratiquement la loi dans ces épreuves, qui ont cependant évolué vers une appréciation globale de la culture générale du candidat), l’autre de « connaissance du système éducatif ». Le contenu en reste encore flou, mais l’interrogation tournerait autour d’un cas concret vu en stage (par exemple le commentaire du « projet d’établissement » du collège où le candidat, entre l’écrit et l’oral, se sera fait recruter pour se mettre dans le bain — voir plus haut). En pratique, ce sera, indique une source très proche du ministre, de l’ordre d’un entretien d’embauche classique, motivation, dynamisme, projet personnel. L’établissement scolaire est une entreprise…
   Puis-je suggérer que le candidat soit également interviewé sur ses « prétentions » de rémunération, afin que l’Etat, dont on nous clame sans cesse qu’il est tout à fait désargenté, recrute principalement des masochistes ou des ascètes ?

Rassurez-vous : le coefficient de cette dernière épreuve sera anecdotique. C’est un os donné à ronger à tous ceux qui veulent « professionnaliser » la profession, sans souci réel des compétences disciplinaires.

Qui organisera ces épreuves ? Pour le moment, elles sont nationales, comme les programmes — mais il n’est pas exclu qu’on les fasse passer, à l’avenir, sous la tutelle des Académies — comme en Allemagne. Le CAPES finira par valoir ce que valent les facs. Très cher, forcément.

L’agrégation est maintenue en l’état — à ceci près que le nombre de postes sera pratiquement divisé par deux, dans un avenir très proche : les philosophes du ministère risquent de ne pas avoir trop de néophytes à appeler « chers collègues », dans les temps à venir. C’est mettre le concours en extinction, ou vouloir former des enseignants immédiatement disponibles en facs… pour la formation des futurs Certifiés ? Quant au nombre de postes mis aux concours… Qu’en sera-t-il, quand on voit la rue de Grenelle se référer à la Validation des Acquis de l’Expérience, pour combler les trous ?

Bien entendu, le Maître est le sommet de la pyramide. Il n’est formé que pour répondre aux ambitions du système éducatif dans son ensemble : ambitions très raisonnables dans le Primaire, et même en dessous du raisonnable, ambitions maintenues en bas au collège, et en cours de révision à la baisse au lycée (Jean-Paul de Gaudemar « consultera » les organisations syndicales fin août sur le sujet, selon la nouvelle définition du terme qui signifie « communiquer les décisions prises »).

Dans les grandes années du maoïsme, le Grand Timonier avait inventé un triple système de formation des médecins. Le plus grand nombre ne connaissait à fond que les dix maladies les plus courantes. Sinon, vous pouviez, plus tard, consulter un praticien maîtrisant trente maladies. Enfin, vous pouviez tenter votre chance avec de vrais toubibs — si vous n’étiez pas mort dans l’intervalle.

Je ne peux que répéter ce que je clame sans lassitude depuis la Fabrique du crétin : pour faire classe à des élèves faibles, et à petit niveau, il faut en connaître dix fois plus que ce que suggèrent les programmes. Cent fois plus, parfois. Le Savoir est une chaîne, où tout se tient, et où l’on va se servir selon les besoins. Allons, mon cher Mark, vous n’auriez pas fait un cours sur le Rationalisme, autrefois, en vous en tenant au Discours de la Méthode. Vous seriez allé butiner chez Spinoza, ou Leibniz, ou Démocrite et Lucrèce — ou que sais-je, comme disait Montaigne…

J’oubliais : les heureux lauréats auront la chance d’enseigner tout de suite 18 heures par semaine : ils seront, dit le ministère, mis en situation de plein exercice, tout en bénéficiant de l’aide et du soutien de professeurs « expérimentés » — ils en ont de la chance.

Puis définitivement titularisés après une inspection. Mais ils bénéficieront de stages pédagogiques — hors temps scolaire : heureux lascars !

Ou plutôt 35 heures, selon le vieux rêve de tous ceux qui pensent que les profs n’en fichent pas une rame. Elle est pas belle, la vie ?

Dernier point : n’attendez pas de revalorisation financière. Vous aurez des avantages en nature, dans la mesure des moyens des Régions, chargées de prendre le relais d’un Etat qui se désinvestit massivement. Un stylo neuf, pour faire face aux frais de première installation. Un bureau (si ! on va vous le construire, même dans les établissements — la grande majorité — où il n’y a pas assez de place et de classes pour les élèves). Des facilités informatiques (il y aura deux ordinateurs de plus pour entrer les notes en cours et en fin de trimestre, de sorte que vous en ferez plus trop la queue pour les taper).

Byzance !

Mais je suis méchante langue : une concertation large (pour la définition de ce terme complexe, voir ci-dessus) est prévue début septembre, quand la « feuille de route » du projet sera rendue publique. Pourquoi ne pas l’appeler tout de suite « décret » ?

Jean-Paul Brighelli

(1) Nous sommes quelques-uns à avoir demandé aux profs de facs des jurys pourquoi diable ils ne faisaient pas, en université, des cours comparables à ceux des Khâgnes. Les réponses fluctuent, au gré de la bonne ou de la mauvaise foi des interlocuteurs : « pas les mêmes élèves » (serait-il qu’on enseigne en fac au rabais ?), ou « nous n’avons pas vocation à préparer des concours, mais à former à la recherche ». Personne qui ne réponde : « Nous n’avons pas envie de travailler autant que les profs de prépas… » Comme c’est étrange…Cela dit, quelques facs préparent consciencieusement au CAPES. Ce sont rarement celles auxquelles ont été associés les IUFM — et elles reçoivent donc moins de crédit. Voir la concurrence déloyale, dont je parle dans Fin de récré, entre Paris III et Paris IV, par exemple.

(2) Le plan gouvernemental promet des bourses au mérite. Dont acte. On reste loin de la restauration des IPES, ces concours qui, passés en Première ou Deuxième année, assuraient le SMIC aux futurs enseignants. C’était pourtant une promesse du candidat Sarkozy, comme je le rappelle dans Fin de récré.