« Buveurs très illustres, et vous, vérolés très précieux… »
Les enfants de Gargantua se sont essaimés sur la planète, et aujourd’hui, leur nom est légion — ce qui est, à tout prendre, plus joli que de parler de massification. Après bien des détours pr tous les continents, ils sont revenus en France où ils ont retrouvé leurs cousins gaulois — une immense famille qui a, comme toutes les familles, ses illustrissimes et ses sans-grade — car tous les enfants, figurez-vous, n’ont pas les mêmes talents, quand bien même leur ancêtre serait aussi prestigieux que le géant de Rabelais…
Et nous voici, comme il y a cinq siècles, avec un rude choix devant nous…
Rude ? Peut-être pas. Entre les pédagogues meirieuticoles qui ont envahi le marché depuis trente ans, sous les effets conjugués d’une gauche qui cultive en parallèle culpabilité et bonnes intentions, et d’un droite qui, fascinée, a largement laissé faire, et les disciples de Ponocratès, — cette éducation à l’Humanisme dont je me réclame, le choix pourrait sembler clair…
Il ne l’est apparemment pas pour tout le monde.
Pourtant, quels en sont les termes ? Soit vous perpétuez une clique qui fera de vos enfants, de nos enfants, des « apprenants » « tout rêveurs et tout assotés », comme dit Rabelais (1) ; soit vous remettez l’Ecole sur ses bases, vous « réinstituez les Lettres », et vous remettez au goût du jour des objectifs qui permettent de « ne perdre heure quelconque du jour », mais au contraire de « consommer tout son temps en Lettres et honnête savoir ».
Je plaide, comme toujours, pour le Savoir. Je plaide pour une restauration — et elle sera en bonne voie, parce qu’il y a, chez ceux qui pourraient, à droite (le mot vous effraie ? Et « gauche », qu’est-ce que vous en pensez ? Le terme est-il encore mérité ?) se retrouver aux affaires, la volonté d’en finir avec cette pédagogie de l’échec programmé.
Je discutais avec le plus sérieux postulant au Ministère de l’Education, il y a deux jours. « Avec la moitié de ce que coûtent les IUFM, me disait-il, nous pourrions réinventer les IPES — ce système de bourse, sur concours, qui a permis à tant d’enfants du peuple, dans les années 50 et 60, de faire leurs études d’enseignants en étant pré-payés » (moi-même, au passage). Et nous avons besoin d’un système qui incitera les meilleurs à se tourner à nouveau vers l’enseignement. « Avec l’autre moitié, nous réévaluerons les salaires des enseignants français, aujourd’hui parmi les moins bien payés d’Europe… Et nous créerons dans les facs les postes nécessaires pour enseigner à ces nouveaux postulants de vrais Savoirs — et un peu moins de « sciences de l’éducation », cette tarte à la crème de tous ceux qui prétendent « apprendre à apprendre » aux autres ce qu’ils ne savent pas.

– Mais mon cher, objectai-je, les promesses de ton candidat de ne remplacer qu’un poste de fonctionnaires sur deux…
– La fonction publique est pléthorique. Mais les 350 000 enseignants qui, dans les cinq ans, partiront à la retraite, ça, c’est une réalité que l’on ne peut nier. Et même si je suis favorable à un allègement des programmes — que d’options inutiles, d’heures perdues, de prétentions académiques insupportables, alors qu’il serait si simple d’en revenir à des fondamentaux bien maîtrisés —, je sais bien qu’il faudra inciter des jeunes, des dizaines de milliers de jeunes, à entrer dans la carrière. Nous recruterons des enseignants — pas nécessairement des « emplis-jeunes » qui sont des cache-misère, au mieux — et, au pire, une porte ouverte à des « grands frères » qui viendront, comme en 2000-2002, vérifier qui est ou n’est pas salafiste — rappelle-toi le rapport Obin.
– Ça n’en prend guère le chemin… Quel néo-bachelier de bon sens s’engagera aujourd’hui dans un métier qui envoie les moins aguerris au casse-pipe des ZEP les plus dures ? Qui prendra le risque de se faire cracher à la gueule par des gosses auxquels on a seriné depuis des années qu’il est interdit d’interdire — un beau slogan pour Gargantua, mais une mauvaise idée pour un ilote ravagé de l’intellect ! Des enfants sans défense auxquels on a répété qu’ils ont la liberté de l’expression et, faute de mots, du coup de boule !
– C’est bien pour ça que nous ambitionnons de rompre — voilà, le mot est lâché — avec ce qui s’est fait depuis tant d’années. Gilles de Robien a eu la maladresse de mélanger de vrais soucis pédagogiques et des déclarations intempestives sur le statut ou la fonction des enseignants. Peut-être parce qu’il a mis du temps à se mettre au courant. Mais, nourri dans le sérail, j’en connais les détours. Je vais même te dire… Mon dernier fils a aujourd’hui sept ans, et, comme les autres, il est à l’école publique. Et j’ai vu, de très près, ce que sont les croyants du pédagogisme et de l’égalitarisme forcené. J’ai vu comment on prétendait lui apprendre à lire — on était loin, très loin, de Boscher ou de Léo & Léa…
« Il faut inciter de nouvelles équipes à fabriquer les manuels scolaires dont nous aurons besoin, dès que nous aurons toiletté les programmes et les couloirs de la rue de Grenelle — au kärcher, s’il le faut !
« Car je crains bien moins les voyous des cités que la racaille de la haute administration, si imbue de ses privilèges, si loin du peuple… Je ne m’imagine pas ministre de l’Education autrement qu’en garant de l’accès au Savoir de tous. Il est scandaleux que tant de pédagogie ait enfanté les écoles privées et les cours du soir dans lesquels les plus fortunés comblent le vide intellectuel du Collège et du Lycée. Scandaleux que tant de jeunes grands-mères aient à apprendre à lire à leurs petits-enfants ! Et bien plus scandaleux encore qu’une frange déshéritée soit abandonnée à elle-même — nous donnerons plus à ceux qui ont moins, et qui veulent vraiment davantage.

Ainsi parlions-nous dans les avoines folles du XIIème arrondissement, et la nuit seule entendit nos paroles…
Mais ce blog n’a d’autre raison d’être que de faire avancer la réflexion. Alors, je me suis permis de divulguer ces propos hors campagne — ces propositions pour une Ecole à venir.

Jean-Paul Brighelli

(1) Avez-vous un doute sur le fait que d’aucuns préparent non seulement leur revanche (sur qui, bon sang ! Ils ont tous les pouvoirs !), mais veulent enfoncer le clou ? Jetez donc un coup d’œil sur cet article du Monde — qui se ressemble s’assemble : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-823448,36-903885@51-823374,0.html