Je reçois à l’instant un courriel d’une stagiaire CAPES d’un IUFM voisin.
Je le livre ici brut de décoffrage — avec quelques notes de commentaire…

« Monsieur,

« J’ai obtenu mon CAPES de lettres modernes il y a de cela deux ans (report de stage pour préparer l’agrégation l’an dernier (1)) et j effectue en ce moment mon année de stage IUFM — cauchemardesque.

« J’ai lu votre livre sur l’état actuel de l’école, « la fabrique du crétin « (2), et je pense que nous avons la même conception — démodée, traumatisante, humiliante selon les pédagos des IUFM — de l’éducation.

« Cette année, je me retrouve face à des tuteurs qui n’ont jamais passé de concours (mon tuteur a été maître-auxiliaire et titularisé ensuite avec une simple licence (3)) et qui me serinent à longueur de journée, d’un air revanchard (4), « en khâgne, on ne vous enseigne pas ça ? » Face aussi à une PCP qui avoue ne pas avoir lu Madame Bovary, assiste à mes cours, les critique en soutenant que le roman se termine sur la mort de Charles, et me sacque parce que mes « séquences » ne sont pas parfaitement didactiques…

« J’aurai droit, sous peu, à ce qu’ils appellent une contre-visite, mais je pense ne pas être validée cette année. En effet, la primeur est donnée aux stagiaires qui ont obtenu le CAPES en interne. Et comme par hasard, mon tuteur préparait ces mêmes élèves il y a un an à ce concours : le favoritisme y est explicite, ostensible et incompréhensible à ce stade de la formation. Mon tuteur (5) m’a clairement dit, devant toute la classe, qu’il avait des préjugés à mon égard et que, peut-être, cela avait penché en ma défaveur lors de sa visite (6).

« Je vous passe les heures de cours psychologisantes où chaque stagiaire parle de sa semaine, le tuteur écoutant de-ci de-là, et dispensant des conseils inapplicables, irréalistes et complètement farfelus.Par exemple, j’ai posé le problème réel de l’orthographe et de la grammaire non maîtrisés en classe de seconde (7) et avais mis en place en cours de soutien et de remise à niveau… Le tuteur m’a ordonné (8) d’arrêter immédiatement, et m’a conseillé de faire lire des poèmes d’Apollinaire aux élèves (Calligrammes) afin de leur faire comprendre qu’avec les mots, on peut jongler.

« Je suis affligée par ce système bêtifiant, annihilant tout droit à l’éducation, et donnant un réel pouvoir à des incompétents (9). Ces derniers exercent sur moi une pression constante, procédant d’une fausse sympathie, mêlée d’hypocrisie et de menaces (10). J’en ai réellement assez que l’on me reproche à longueur de journée qui je suis (11), mon parcours scolaire, ma personnalité ; je puis vous assurer que je ne suis pas de nature à me plaindre, j ai toujours été une battante, j’avais d’ailleurs fait ma prépa sans aucun problème et avec plaisir (12), mais je vis très, très mal cette atmosphère , cette mentalité.

« Je pense qu’il faut alerter les pouvoirs publics (13) sur cette dérive qui touche en première ligne des générations entières, et en deuxième ligne, des profs débutants dont l’enthousiasme est vite entamé. C’est effectivement mon cas, ma vocation est sérieusement mise à mal, et je ne sais pas si j’aurai la force morale de refaire une année si je n étais pas validée. »

L***
Notes

(1) Kolossale erreur ! Tout ce qui pourrait être au-dessus de ces gens-là est péché mortel. Ne savez-vous pas, mademoiselle, qu’ils militent ardemment pour que l’agrégation soit supprimée ? Pensez donc ! Les agrégatifs les supportent, mais ne dépendent pas d’eux pour la validation de leur diplôme — qui est validé d’avance. Crime contre la pensée unique et la médiocrité partagée.
Le pouvoir de valider le CAPES dépendait autrefois de l’Inspection générale. Je m’étonne que ce corps prestigieux, si jaloux en général de ses prérogatives, ait laissé tant de petits minables usurper cette fonction quasi régalienne.

(2) J’espère que vous ne l’avez dit à personne. Ils ne vous le pardonneraient pas. C’est comme à la cour de Louis XIV : tout ceux qui ne disent pas du bien de moi, même ceux qui se taisent, en pense forcément du mal.

(3) En quoi ils se modèlent sur leurs aîtres. Demandez donc à Philippe Meirieu quels concours il a passés pour se retrouver prof de fac et gourou en chef… Demandez-vous quelles rancœurs peuvent naître d’un échec à l’ENS et à l’agrégation — qu’il m’a avoués, un jour que nous débattions au Figaro.

(4) C’est vraiment le mot exact. Ils ont perdu la guerre de l’exigence intellectuelle, ils se rattrapent sur le petit terrain de l’hostilité méprisable.

(5) Contrairement à ce qui se passe en général en horticulture, le tuteur d’IUFM est quelqu’un qui vous aide à penser courbe — ou fourbe.

(6) Dans notre grande série « harcèlement », peut-être auriez-vous dû coucher avec lui… Cela se fait, dans le monde des petits chefs…

(7) Quelle idée ! L’orthographe est une valeur bourgeoise, la grammaire ne se conjugue que selon Sainte Charmeux, et votre tuteur est sans doute syndiqué : samedi 20 janvier, les syndicats de gauche ont défilé à Paris en demandant le retrait des ordonnances modifiant les décrets de 1950 (sur les heures sup’, etc.) et instituant la bivalence (bonne idée !), et en même temps en ont profité pour protester contre le volontarisme du cabinet de Robien prétendant réinstituer l’orthographe et la grammaire — je m’étonne d’ailleurs que les banderoles du SNES ne se mettent pas déjà au goût du jour : « A bât la réfaurme de l’Hortograf’ » !

(8) J’adore ces « ordres » qui viennent si intelligemment rectifier le tir. Non seulement ces gens ne sont pas polis, mais ils ont une mentalité de Kapos. À qui écrira un livre sur les IUFM, je propose un titre : la Fabrique des sous-off’ ».

(9) Mademoiselle, ne saviez-vous pas avant d’y entrer que l’Education Nationale, entre les mains de ces gens-là, est devenue une illustration du Principe de Peter — l’accession au plus haut du moins apte ? Ils ont révoqué en doute le darwinisme, et les médiocres se cooptent, s’entre-recrutent et s’épaulent afin de se protéger contre ces présumés grands prédateurs que sont les gens de Savoir.

(10) Redevenons sérieux. Il y a des lois contre ce type d’agissements, des lois contre le harcèlement moral, et il est plus que temps de porter plainte, officiellement, contre les cloportes qui prétendent abuser des jeunes. Donnez tous les pouvoirs à une personne de valeur, il les partagera et les délèguera. Donnez un peu de pouvoir à un minable, il en abusera.

(11) Et j’en sais assez sur vous, mademoiselle, pour ne pas ignorer qu’il y a probablement en sus une nuance raciste dans ce comportement. Fille d’immigré, vous devriez avoir honte d’aimer la culture française, enfin !

(12) Et bonne élève avec ça ! Vous n’avez pas honte ? Vous auriez dû simuler, inclure deux ou trois fautes d’aurtograf dans vos rédactions, parler la langue corrompue de l’IUFM, et avancer masquée. Ne savez-vous pas qu’ils coupent tout ce qui les dépassent ?

(13) Vous voyez : c’est fait.

Jean-Paul Brighelli