Les médias, curieusement, se mobilisent tous en même temps. Journaux, radios et télés s’interrogent sur la nécessité d’un examen si lourd et si peu sélectif, puisqu’au terme de deux ans d’essai, 95% des candidats sont reçus. Le Nouvel Observateur en rajoute une couche. Le Monde sort un dossier qui critique l’épreuve de philosophie (une curiosité française) – tout en insérant trois colonnes sur les « ateliers philo » de l’école primaire, bizarre coïncidence…

Une telle coïncidence ne peut pas être le fruit du hasard. Les journalistes ont certainement reçu de mains délicatement attentionnées un dossier sur l’impossible gestion du Bac, ses particularismes si français et si peu européens, ses « inégalités » si peu « citoyennes »…

Ne nous y trompons pas. Pour Bercy, supprimer le Bac en tant qu’examen terminal est un vieux rêve comptable : rien de plus lourd et de plus dispendieux qu’un examen pour 640 000 candidats. Et Bercy n’a pas d’étiquette politique : quelques énarques ou sous-énarques y décident calmement du droit de vie ou de mort de tout ce qui coûte cher et n’est pas le Clémenceau. La Rue de Grenelle, sensible à tout ce qui remonte des organisations de parents d’élèves, se demande depuis des lustres comment éradiquer un examen qui désorganise durablement la vie scolaire, et fait du troisième trimestre, ponts compris, une peau de chagrin. Certains syndicats – le SGEN, pour ne pas le nommer – militent pour remplacer le Bac par un contrôle continu qui donnera tout pouvoir à ceux qui ne veulent surtout pas traumatiser les élèves – 100% garantis.

Depuis que les ministres successifs ont trouvé que « Monsieur 80% » était un surnom enviable, le Bac était en sursis. Depuis que les programmes ont autorisé les TPE, ces monuments dédiés au copier-coller, la notion même d’examen anonyme était menacée. Les nouveaux pédagogues, tout en protestant en surfaéce, ne sont pas opposés à l’éradication du Bac tel que nous le connaissons, qui reste, il faut l’avouer, quelque peu élitiste. 80% soit – mais avec des smentions qui créent une hiérarchie insupportable alors que tous les élèves ont droit à l’égalité de traitement, corollaire obligé de la sacro-sainte égalité des chances.

Que la suppression du Bac, ou sa caricature en contrôle continu, ouvre la voie à des examens d’entrée en fac (qui existent déjà, sous une forme ou une autre, en BTS, IUT et classes prépas, sans compter nombre de centres universitaires qui s’arrangent depuis des lustres avec la loi), rien de plus évident. Et c’est pour le coup que l’égalitarisme va montrer son vrai visage, celui d’une sélection arbitraire et sauvage. J’imagine que l’on compte déjà réserver quelques facs à ces bacheliers d’un nouveau type – des réserves d’Indiens, au sens propre, les ghettos universitaires continuant les ghettos scolaires…

Une seule solution immédiatement aménageable : cesser de claironner que le niveau monte, que les bacheliers d’aujourd’hui sont supérieurs à ceux d’hier, que les programmes sont conçus au mieux des Lumières… Et repenser tout de suite l’acquisition du savoir, de la Maternelle à la Terminale, afin d’ôter à ceux qui réclament déjà un examen d’entrée en fac (Monsieur Pitte à Paris IV, par exemple) le plus beau de leurs arguments : le décalage effrayant, maintes fois constaté, entre le diplôme et les compétences. Redonnons au « niveau Bac » ses lettres de noblesse, et nous sauverons ce qui peut encore l’être – la démocratie moins la démagogie.

Jean-Paul Brighelli