Quitte à ouvrir un nouveau fil… quitte à être accusé (comme d’habitude) de narcissisme… quitte à donner vraiment à chacun la parole… autant nous offrir une petite pause auto-réflexive.

(D’aucuns déjà remarquent que ce « nous » hésite entre le pluriel de majesté et le collectivisme… Ce doit être significatif — mais de quoi ?)

À quoi sert un blog ?

Au départ, quand j’ai ouvert Bonnetdane, c’était pour diffuser des idées qui commençaient à être populaires, mais de manière éparse. Il y avait les lecteurs/lectrices lointain(e)s de Milner, les enthousiastes de Michéa, les passionné(e)s de Lurçat. Celles et ceux qui avaient découvert dans les ouvrages de Le Bris ou de Boutonnet ce que l’on faisait au Primaire — et ce que l’on n’y faisait plus. Qui avaient ri (jaune) en parcourant le Petit vocabulaire de la déroute scolaire, de Guy Morel. Ou applaudi Fanny Capel. Ou trouvé en Natacha Polony (Nos enfants gâchés) leur héroïne de la République. Les philosophes professionnels ou d’occasion avaient dévoré Finkielkraut ou Kambouchner. Les masochistes avaient tout lu de Meirieu / Baconnet / Viala / Weinland.

En fait, j’étais tous ceux-là moi-même — masochisme compris. La Fabrique du crétin, dont l’ombre portée plane encore sur ce blog, n’était dans mon esprit que le haut-parleur de ces protestations éparses, et concordantes. Le faisceau des rages bruyantes ou inexprimées. Le concordat des révoltes.

Ça, c’était l’amont. Mais en aval, ce blog avait aussi pour but de rassembler les adeptes de la transmission des savoirs — et du Savoir au centre du système. Fédérer les initiatives et les bonnes idées. Offrir une tribune à tous ceux que la loi Jospin et ses inévitables dérives contrariaient. Il fallait, pensais-je, créer un pôle, une cellule, un laboratoire. J’avais juste assez d’idées moi-même pour savoir qu’elles étaient bien faibles, erratiques, et d’un pragmatisme tout relatif.

Evidemment, le blog a aussi offert une tribune éventuelle aux trolls de toutes farines, aux insulteurs professionnels, et, pire, aux pédagos de passage. J’avais opté dès le début pour une politique dont je me suis aperçu qu’elle était finalement assez rare sur le Net — tout laisser, hors les attaques sur la vie privée, et quelques bavures racistes inévitables dès que l’on offre aux gens, surtout en temps de crise, la garantie de l’anonymat. Au total, en cinq ans, j’ai coupé une vingtaine de commentaires, et « banni », comme on dit, trois ou quatre personnes dont les délires ressortissaient du psychiatre, de la volonté de nuire, et non de la bonne compagnie.

Parce que c’était cela, l’idéal : un espace (je n’oserais dire un salon) où chacun arriverait avec sa bonne ou sa mauvaise foi (parfois la mauvaise foi est plus intéressante que la bonne, tout dépend du talent), ses piques et ses flèches, son humeur de chat ou de chien, ses amitiés et ses inimitiés — y compris à mon égard : un blog épaissit le cuir… En tout cas, un lieu où l’on s’exprimerait dans une langue moins approximative qu’ailleurs, dans une orthographe aussi classique que possible (avec permission de se corriger les uns les autres, ce que je ne vois jamais sur le Net, y compris sur des forums de profs de Lettres où règne une grande inventivité lexicale…). Où l’on se vouvoierait au lieu d’adopter ce tutoiement imposé qui ne signifie rien, entre gens qui ne se connaissent pas, mais qui semble de règle sur le Net, particulièrement dans les forums d’enseignants — comme si nous formions une grande famille… Alors qu’une salle des profs est le plus souvent un creuset de petites haines, de passions brûlantes ou refroidies, de rancœurs rances, de jalousies morbides — et d’amitiés spontanées.

Les années ont passé, dans l’exaltation des projets, des coups donnés et reçus, des perspectives ouvertes – et fermées. Je rassemblerai quelque jour tout ce qui s’est proposé ici — les milliers de recettes/conseils/progressions de l’une, les éructations des autres, les programmes complètement écrits, puis réécrits. Les coups de gueule et les coups de cœur.

Et l’humour, constant chez les uns (je pense à un certain sirénien, mammifère marin en voie d’extinction…), relatif chez les autres. Les obsessions, au gré de l’actualité. Les soucis domestiques — les enfants des uns, les petits-enfants des autres, les agressions professionnelles, les élèves toujours plus durs, l’administration à l’unisson…

Bien sûr, le thème initial rassemblait naturellement des enseignants — mais j’ai vite été convaincu que les non-enseignants apportaient des idées tout aussi intéressantes, tant il est vrai que les professionnels de l’Instruction publique, moi le premier, ont parfois le nez dans le guidon. Même les trolls, inévitables sur un support anonyme et gratuit, ont parfois un goût étrange venu d’ailleurs qui n’est pas toujours désagréable.

Que de rires et de sourires, en cinq ans…

À l’arrivée, ce blog, avec une moyenne de 40 000 connexions par mois, et près d’un millier de post à chaque Note, est le premier en France dans sa catégorie. Comme quoi, il n’est pas nécessaire de faire dans l’érotisme pour créer un espace populaire…

D’autant que j’y interviens peu, en dehors des Notes-prétextes — c’est aussi pour ma relative absence, ma discrétion, la certitude de ne pas être importuné par le maître de maison, que certains viennent ici épancher leurs humeurs, s’apostropher les uns les autres, se défier sur le pré informatique — ou se donner des rendez-vous suspects, vivre parfois des aventures étranges.

Il y a même eu un peu d’amour, de-ci, de-là…

Quant aux vraies raisons qui vous amènent ici, les unes et les autres, ce n’est pas à moi de les dire.

C’est de cela, et de quelques autres choses encore que je débattrai, avec d’autres, jeudi prochain à partir de 19h30, à la librairie Palimpsestes, 16 rue Santeuil à Paris (Vème, Métro Censier-Daubenton). Avec quelques autres blogueurs de diverses catégories. Si vous êtes par là, anonymes du blog, qui hantez ces lieux sous des pseudos vraisemblables et invraisemblables, et parfois sous votre nom à vous, ce serait l’occasion de mettre des visages sur des noms — on finit, dans l’univers du Net, par mieux connaître le style de chacun que la couleur de ses yeux (1).

Et ce sera sans doute une fois encore l’occasion de se rassembler, ou de s’opposer.

Venez nombreux — il y aura toujours un verre à boire, avant ou après.

Jean-Paul Brighelli

(1) Signalez votre participation via : http://www.oftt.eu/en-bref/article/cafe-des-idees-blogs-debats-et-decisions-publics