Peut-être vous rappelez-vous :
« Hey hey hey, Monsieur Wilson Pickett
Hey hey hey, toi Monsieur James Brown
S’il vous plaît dites-moi comment vous faites
Monsieur Charles, Monsieur King, Monsieur Brown
Moi je fais de mon mieux pour chanter comme vous
Mais je ne peux pas grand-chose, je ne peux rien du tout
Je crois que c’est la couleur, la couleur de ma peau
Qui n’va pas
Et c’est pourquoi je voudrais
Je voudrais être noir… »
Le malheureux Nino Ferrer chantait cela en 1966, désespérant d’avoir un jour la voix de Ray Charles — dont il avait assuré la première partie au festival d’Antibes. Et l’année suivante, Claude Nougaro constatait :
« Armstrong, tu te fends la poire
On voit toutes tes dents
Moi, je broie plutôt du noir
Du noir en dedans
Chante pour moi, louis, oh oui
Chante, chante, chante, ça tient chaud
J’ai froid, oh moi
Qui suis blanc de peau… »
Ah, ces Blancs qui prétendaient chanter comme des Noirs ! Depuis Gershwin qui faisait du jazz comme Duke Ellington, depuis Elvis Presley, qui se déhanchait comme James Brown (« Read my hips ! »), nombre d’artistes blancs avaient fini par arracher à la musique noire tous ses champs spécifiques. A chaque fois d’ailleurs les Noirs inventaient un nouveau style, dont les Blancs, sales colonialistes de l’intérieur, maîtrisaient bientôt les codes. Lire sur le sujet le livre de Jean-Louis Comolli et Philippe Carles (deux Blancs, au passage) intitulé Free Jazz Black Power. Ça date de 1971, quand les révolutionnaires blancs que nous étions s’apercevaient, effarés, qu’en écoutant Chet Baker ou Paul Bley, ils s’appropriaient une musique noire. Fatalitas !
Mais on peut aller plus loin dans le fantasme. Jessica Krug l’a fait.
Pendant des années, cette Blanche de culture juive née à Kansas City a prétendu qu’elle était Noire — oh, pas tout à fait, juste ce qu’il faut pour bénéficier de l’affirmative action et des subsides du Schomburg Center for Research in Black Culture. Puis, un mensonge en entraînant un autre, elle a pondu un livre, Fugitive Modernities, où elle évoque avec lyrisme « ses ancêtres, inconnus, innommés, qui ont souffert toute leur vie pour un futur auquel ils ne pouvaient croire… » C’est beau. Ça émeut. Ça lui a valu un poste de professeur d’Histoire des Noirs américains à la prestigieuse université George Washington. Et en juin, sous l’identité latino de Jessica Bombalera, elle tenait une conférence à Harlem sur les brutalités policières. Black Lives Matter — et ça peut rapporter gros.
Jessica Krug a fini par reconnaître il y a quelques jours qu’elle n’avait en elle pas une goutte de sang noir. C’est pile ce que faisait l’apartheid sud-africain, qui mesurait la dose de sang « kaffir », comme ils disaient élégamment à Pretoria, pour savoir dans quel collège électoral vous inscrire — guettant le moment fatal où l’individu passerait la ligne et serait majoritairement Blanc. Les deux racismes se regardent et s’épaulent.
Krug n’est d’ailleurs pas la première. En 2015 Rachel Dolezal, une activiste notoire du NAACP, National Association for the Advancement of Colored People, une Fondation qui n’oublie pas de très bien payer ses dirigeants, dont elle faisait partie, a reconnu pareillement être Blanche de la tête aux pieds. Ce sont ses parents qui l’ont dénoncée, fatigués de la voir se prétendre noire. Cette arnaqueuse de la race est retombée sur ses pieds en prétendant être le premier « trans-black case » : on ne naît pas Noir, on le devient.
Quand Boris Vian s’amusait en 1946 à inventer un psychopathe noir mais blanc de peau (dans J’irai cracher sur vos tombes), c’était un jeu, une parodie des romans noirs qu’il traduisait par ailleurs, et une façon astucieuse d’éditer un bouquin érotique sous prétexte de combat anti-racial. Quand John Howard Griffin, entre 1959 et 1960, se déguisait en Noir, c’était pour faire connaître à ses contemporains Blancs ce qu’était l’existence d’un Noir dans l’Amérique ségrégationniste. Nous avons fait le tour, désormais des Blancs se prétendent Noirs — et en encaissent les dividendes.
Mais ce n’est pas parce que le racisme s’inverse qu’il disparaît. Se vouloir Noir, se croire Blanc, c’est persister dans l’essentialisation de la personne, réduite à son épiderme. Et n’en déplaise à Danièle Obono, ce qui compte, c’est l’intellect qu’il y a sous la peau — et c’est en quoi la plaisanterie de Valeurs Actuelles à son égard était non seulement de mauvais goût, mais intrinsèquement nulle. Oui, mais à privilégier l’intellect, qui prendrait encore Danièle Obono au sérieux ?
Jean-Paul Brighelli
Comments are closed.