Mercredi 6 décembre, Libération, ce moribond qui n’en finit pas de mordre, a publié deux « Rebonds » qui valaient chacun leur pesant de bêtise. Le premier (http://www.liberation.fr/rebonds/221402.FR.php) signé par un certain Romero, ancien enseignant, auteur de « l’Ecole des riches, l’école des pauvres » (Syros, 2001) reprend les propositions de Sainte Ségo : « Bien sûr, écrit cet honnête homme, que les professeurs devraient passer plus de temps dans leur établissement ! Non pas pour y corriger leurs copies, mais pour y travailler ensemble à mettre en œuvre des démarches pédagogiques cohérentes à l’intention des enfants les plus démunis, les plus éperdus… » Pas pour corriger leurs copies, dit-il : j’imagine qu’ils n’en auront plus, bientôt… Ce brave garçon, dont je ne mets pas en doute un seul instant la sincérité — oh, comme je préfère, au fond, le vice intelligent à la vertu stupide ! — se bat pour la démocratisation, et conclut : « Nous avons été nombreux ces dernières années à dire, publiquement et sur tous les tons, que la ghettoïsation conjuguée au communautarisme et travaillée par l’intégrisme religieux conduisait à des catastrophes dont les événements de l’automne 2005, dans certains quartiers, sont un avant-goût. »
Et il a raison. Ce qu’il ne voit pas, c’est que cette communautarisation, cette violence, cette ghettoïsation, sont le pur produit de trente ans de pédagogie loukoum et, justement, de « démocratisation », arme de destruction massive de la République. Il a encore l’espoir chevillé au corps que la « pédagogie d’équipe » évitera de transformer le système éducatif en « entreprise productrice de «ressources humaines» » — mais nous y sommes, et sans que Sarkozy y soit pour rien !
Etrange pays où des ambitions de gauche ont réalisé ce que la droite la plus libérale n’avait jamais osé rêver.

Plus grave. Dans le même numéro (Libé se surpasse, ces derniers temps), une seconde tribune (http://www.liberation.fr/rebonds/221404.FR.php) de l’ineffable Jean-Michel Zakhartchouk-tchouk-nougat (voir les insultes du capitaine Haddock, http://jeanpe.free.fr/tintin/dico-insultes-22.html), qui critique, du haut de son savoir considérable, les propositions d’Alain Bentolila et d’Erik Orsenna sur l’apprentissage de la grammaire. Et d’affirmer qu’il s’agit là d’idées simples (donc simplistes — forcément !), et que « l’observation réfléchie de la langue », la fameuse ORL (en clair, la grammaire de texte, étudiée au petit bonheur la chance de ce que l’on met sous les yeux des élèves, par opposition à la grammaire de phrase, qui suppose l’apprentissage systématique du code) est un gage d’égalité…
Et de glisser — là était son vrai sujet, le reste n’était que prétexte indéfendable — sur le soutien aux élèves en difficulté, qu’un candidat propose de rémunérer aux enseignants qui s’y collent, et qu’une autre candidate propose d’imposer à tous ces paresseux qui hantent les couloirs des collèges et des lycées — plus démago que Ségo, tu meurs… Et Zakhartchouk de conclure : « Donner des moyens (qui seront d’ailleurs probablement pris sur des projets culturels ou sur des dispositifs innovants) pour développer des études, sans avoir réfléchi sur leur contenu, en se contentant de jouer sur l’envie de gagner plus, tout cela ne résoudra nullement l’échec scolaire. Mais il est vrai que les jeunes ne seront pas dans la rue, si toutefois ces études sont obligatoires. Comprenons-nous bien : mettre en place un véritable accompagnement scolaire dans et hors de l’école (avec le secteur associatif) est une excellente chose, mais pas dans n’importe quelles conditions et pas à la place d’une réflexion globale sur les manières d’enseigner à tous, pour tous. »
Nous y voici : réflexion globale sur la manière d’enseigner et les « dispositifs innovants » (traduisons, pour ceux qui ne parlent pas le Meirieu dans le texte : faire de la pédagogie l’alpha et l’oméga du travail de classe, au détriment des savoirs savants), et proposition de couplage avec les « associations » (lesquelles ? Choisies ou repérées sur quels critères ? Zakhartchouk sait-il combien d’associations sont infiltrées par des sectes, des partis ou des extrémistes de tout poil ?). « Souhaitons, conclut cette éminente éminence, qu’il y ait de vrais débats, à l’occasion des élections présidentielles, où on donnerait la parole non à des idéologues et à des inquisiteurs méprisants, mais à des praticiens et des chercheurs qui savent de quoi ils parlent. » Ah, les chercheurs !
J’imagine que l’idéologue méprisant, c’est moi, c’est vous, qui sommes des pragmatiques : tous ceux qui voudraient que les enfants se hissent à leur plus haut point de compétence — l’inverse du Principe de Peter (« tout individu tend vers son plus haut point d’incompétence ») dont les IUFM ont fait leur fière devise — en apprenant, en travaillant, en s’efforçant. Est-ce si difficile à comprendre ?
Je quitte à l’instant une ancienne directrice d’école qui utilise une partie de son temps libre à tenter de récupérer les élèves assommés par un système qui ne leur donne rien à faire. Elle a vu, me disait-elle, l’idéologie pédagogiste envahir peu à peu les notes administratives, les programmes, les recommandations — et formater le langage des inspecteurs. Une gangrène, dont nous allons crever — à coup sûr.
Parce que je crois que la Sainte Vierge est dans une spirale ascendante — parce que seul le pire est sûr, dès qu’on entre dans un système irrationnel. Ces gens-là — les Zakhartchouk, les Frackowiack, les Charmeux, les Bégaudeau et autres « chercheurs » pas du tout idéologues — seront au pouvoir dans quelques mois. En attendant, il faut dénoncer, inlassablement, les idéologies mortifères qui sont à l’œuvre derrière ces discours compassés (n’est-ce pas un mot un peu long ? Je m’interroge…) et haineux. Se battre jusqu’au bout : ce blog, je vous le dis, c’est Alamo.

Jean-Paul Brighelli

PS (si je puis dire…) : Je vous demande instamment, à tous, d’aller en masse poster des « observations réfléchies » sur le site de la Sainte Vierge consacré aux questions d’éducation (http://www.desirsdavenir.org/debats/list.php?93). Cela ne servira à rien, parce que tout est déjà décidé par une poignée de « démocrates » tyranniques, mais c’est bien plus beau lorsque c’est inutile, et autant ne pas laisser de champ aux idéologues de la Pensée Unique et des Cahiers pédagogiques réunis.