Les blogs s’agitent, les médias font chorus. Les uns et les autres renvoient à une vidéo qui montre Ségolène Royal, de passage à Angers en janvier dernier, quand elle en était encore à labourer le PS profond, livrant l’essentiel de sa pensée sur les enseignants.
Sauf erreur ou omission, la première à donner le lien fut « oiselle » — que je salue bien bas —, ex-enseignante qui a bénéficié de toute l’attention des pédagogues, il y a quelques années, jusqu’à la lie et l’hallali (http://www.ublog.com/oiselle/note/13).
Et pour ceux que le téléchargement agace, voici le texte intégral de cette intervention saisissante de la candidate à la candidature :
« Il va falloir être assez révolutionnaires dans les propositions que l’on va faire. Moi, j’ai fait une proposition. Par ailleurs, je ne vais pas encore la crier sur les toits, parce que je ne veux pas me prendre des coups des organisations syndicales enseignantes. Je pense qu’il faut un pacte pendant la préparation du programme du PS avec les organisations syndicales. Il faut un pacte avec elles pour que si on arrive aux responsabilités, on soit immédiatement opérationnel. Et je pense qu’un des nouds de l’échec scolaire se joue au collège. C’est-à-dire que les enfants arrivent en 6ème, 5ème, et là, si ils décrochent, on sait déjà ceux qui n’iront pas jusqu’au
baccalauréat ou ceux qui seront en situation de décrochage scolaire. Moi je pense qu’une révolution c’est de faire les 35 heures au collège, c’est-à-dire que les enseignants restent 35 heures au collège. Et dans ce paquet global, il y a des cours, mais ils ne quittent pas le collège quand ils ont fini leurs cours, parce qu’on est dans un système où, finalement, les parents qui ont les moyens, ou même ceux qui se saignent aux quatre veines lorsque leurs enfants sont en difficulté, qu’est-ce qu’ils font ? Ils donnent des cours de soutien scolaire individualisé à leurs enfants. On est quand même dans un système absurde où aujourd’hui en France on a maintenant des entreprises cotées en bourse de soutien scolaire (Acadomia, etc.) qui donnent droit à des déductions fiscales et ceux qui font cours dans ces entreprises, eux, c’est les profs du secteur public. Comment se fait-il que des enseignants du secteur public ait le temps d’aller faire du soutien individualisé payant et ils n’ont pas le temps de faire du soutien individualisé gratuit. Il y a quand même un. (Rires) Mais je pense que si on ne fait pas un pas, y compris pourquoi pas avec les nouvelles générations d’enseignants si les autres nous disent : « Ben non, droit acquis, on fait nos 17 heures de cours et on s’en va ». »
Ces déclarations d’une syntaxe si spontanée peuvent nous inspirer plusieurs sentiments.
Il y a l’analyse politique, qu’une blogueuse a résumée ici-même le 10 novembre :
« Beaucoup de choses sont dramatiques dans cette histoire de 35 h au collège selon sainte Ségolène. Tout d’abord, la haine envers les enseignants, qui se dégage du discours de cette personne.… Comme Allègre, cette dame carbure à la haine des profs : c’est porteur. De mon temps, on appelait ça du poujadisme. Mais maintenant il paraît que c’est de gôche — pas la mienne en tout cas. Secundo, la parole qu’elle libère : les nostalgiques du “dégraissage du mammouth” reprennent du poil de la bête, au moment même où l’on bourre les classes, où l’on supprime des milliers de postes, et où certains CAPES sont réduits à des peaux de chagrin, voire carrément fermés. Certains de ces propos révèlent une profonde méconnaissance des réalités du terrain. Dans les deux cas, la haine de l’enseignant semble aller de pair avec une véritable haine du savoir : car on n’instruit plus, on éduque— c’est-à-dire qu’on formate. Et pour éduquer ainsi, pas besoin de faire cours : une vague présence suffit. Ce qui m’amène à mon tertio, le projet pédagogique-sic qu’il y a derrière les propos de la dame : 35 h de présence au collège, ce n’est pas pour faire cours (impossible, quand voulez-vous les préparer et corriger les copies ?). Donc, c’est pour encadrer les gamins, “animer” (ça se gâte) ou faire garderie (c’est pire), voire pour jouer un rôle d’animateur social, ce qui est un métier, un vrai métier qui ne s’improvise pas — bref, éduquer à la place des parents, au lieu d’instruire : toujours moins d’école à l’école, avec Ségolène au moins on n’est pas déçu. Il ne faudra pas s’étonner que les voix se portent ailleurs, et il ne faudra pas venir accuser ceux-là de la présence du borgne au deuxième tour : il est grand temps que les socialistes apprennent à ne pas creuser eux-mêmes le lit de l’extrême-droite tout en accusant les autres de le faire. »
Il y a le sarcasme. Une enseignante de la région parisienne m’écrit : « Je me réjouis de bientôt faire 35 heures, enfermée au collège, parce qu’au moins je ne corrigerai plus de copies à 4 ou 5h du matin pour avoir la liberté d’aller voir des expos susceptibles de déboucher sur des projets pédagogiques à 9h. Et je ne corrigerai plus quelque 3500 copies dans l’année … Ah ! vivement qu’elle soit élue ! »
Puis il y a les petites et moyennes crapules — certains dirigeants de syndicats enseignants, en pleine campagne électorale interne, tentent de se concilier les partisans de Mme Royal (probablement motivés par quelque ambition forcément sublime), et les vrais syndicalistes scandalisés par tant de démagogie. Ainsi Bernard Boisseau (SNES), affirmant hier qu’« il y a des dizaines de milliers d’enseignants qui ont été destinataires de cette vidéo », qu’« on voit bien qu’il s’agit d’une étape dans la campagne interne au PS », et qu’« on n’a pas l’intention de se laisser instrumentaliser par un candidat quel qu’il soit ». À quoi a fait écho hier sur Europe 1 Gérard Aschiéri (Gérard, franchement, tu n’as pas honte, parfois ?), susurrant que le sujet « peut faire l’objet d’une négociation », mais qu’il faut « se donner les moyens d’avoir dans les établissements scolaires des personnels qui améliorent l’encadrement », et « prendre en compte le travail supplémentaire que cela demande » aux enseignants.
J’allais le dire.
Quant à Arnaud Montebourg, à qui tout ce qui pourrait l’éloigner se son strapontin futur de ministrable donne des boutons, il lance, sur la même radio : « Ce sont des méthodes un peu curieuses » (signées DSK ou Fabius, dans son esprit — ou les deux à la fois ?), alors que « sa » candidate pose de façon si pertinente « le problème de la marchandisation des produits éducatifs et de l’éducation », et de « la façon dont se développent les soutiens privés ».
C’est bien connu : les profs sont tellement bien payés (le plus bas salaire de l’OCDE, Italiens exceptés, faut-il le rappeler) qu’ils courent en masse se remplir les poches chez Acadomia : statistiques à l’appui, moins de 0,02 % d’entre eux ont recours à cette manière de boucler les fins de mois — chiffre donné hier par Bernard Boisseau.
Allons, soyons sérieux. Ne voyez-vous pas, les un(e)s et les autres, quel avenir radieux se dessine pour nos enfants — et les vôtres, m’sieurs-dames ? Garderie garantie — mais à la place de Ségolène, toutefois, je me méfierais, il y a tant de pédophiles parmi les enseignants — voir http://desirsdavenir.over-blog.com/article-1870012.html. Pendant 35 heures par semaine, les enseignants s’efforceront d’aider l’enfant à « construire lui-même ses propres savoirs », ce qui améliorera certainement le niveau, qui ne cesse de monter, comme chacun sait. Les parents sont sans doute contents, et je parie que demain, bien des profs trouveront que « c’est normal, après tout, il y a tant d’autres catégories qui travaillent 35 heures, et même plus » — oui, mais elles n’ont pas de cours à préparer, pas de copies à corriger.
Mais suis-je bête ! Qui parle de cours à préparer ? D’abord, on doit dire « séquence » — et ensuite, comme l’explique partout l’ineffable Bégaudeau, le prof n’est en cours que pour apprendre — apprendre de ses élèves qui détiennent le savoir inné et la science infuse. Quant aux devoirs-maison, ils sont illégaux depuis les années 50 dans les petites classes, autant généraliser l’interdiction, et l’étendre aux devoirs en classe — comme ça, on n’aura plus à les corriger, ni à noter. Ni, par voie de conséquence, à sanctionner. Tous bacheliers !
C’est décidé. Au nom du principe de Peter — le plus inapte aux plus hautes fonctions, et chacun à son niveau d’incompétence —, j’incite tous les enseignants inscrits sur les listes électorales du PS à voter Ségolène dès le premier tour — parce qu’enfin, ils ne vont pas élire des gens qui, comme DSK ou Fabius, hésitent devant l’ultime déferlement démagogique.
Déjà, Claude Allègre, avec ses propos sur le « mammouth », avait puissamment contribué à l’élection de Jospin en avril 2002. Cette fois, aucun doute, avec des propositions pareilles, Ségolène Royal est sûre de se faire plébisciter en avril 2007. Dès le premier tour.
Jean-Paul Brighelli