Langues anciennes (Spécial Hypokhâgne)

La filière L va mal, la filière L se meurt… Je l’évoquais il y a quelques mois dans une note (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/02/02/sauver-les-lettres.html), à la suite d’un rapport alarmant de l’Inspection générale. Et les Langues anciennes (LA — grec ou latin) sont vraiment, pour le coup, langues mortes.
Qu’y faire ?
Bien sûr, le retard à l’allumage dans les apprentissages fondamentaux, dès la grande section de Maternelle, les 17% (chiffre officiel…) d’analphabètes en Sixième, et le mépris dans lequel les « programmes Viala » tiennent la littérature n’est pas pour rien dans la désaffection des séries littéraires. Divers intervenants évoquaient en juin sur ce blog les choix drastiques auxquels sont obligés les administrations et les enseignants lorsqu’ils veulent maintenir une section de Langue Ancienne dans les collèges et les lycées.
Et la rue de Grenelle, constatant qu’il n’y a parfois que quelques élèves dans les classes, hésite à maintenir ce qui paraît être un privilège hors de prix, en ces temps de disette…
Tout cela, c’est l’amont — les causes diverses de la disparition du Latin et du grec.
Quelques bons esprits — il en est — ont toutefois pensé que la réponse pourrait venir de l’aval — de l’enseignement dispensé dans les classes préparatoires littéraires, Hypokhâgne et Khâgne.
On sait que les Khâgnes avaient, à l’origine, des débouchés particulièrement… bouchés. Les ENS ne constituent pas un vivier quantitativement prometteur, et les chances d’insuccès à un concours hyper-sélectif sont nombreuses. D’où la seconde voie, qui s’est ouverte depuis quelques années, de préparation aux Instituts d’Etudes Politiques (IEP), les Sciences-Pô de Paris et de Province, ou certaines écoles commerciales ouvertes aux littéraires.
La réforme tout récemment lancée — à la hussarde, juste avant les élections, mais c’est qu’il y avait urgence — visait à instituer un concours unique, une sorte de banque d’épreuves regroupant les ENS et les écoles susdites. Cela permettait d’évacuer la formation (et les heures) strictement IEP, et de revaloriser les LA, imposées à tout le monde, puisqu’une Langue ancienne est obligatoire à l’entrée d’Ulm.
Bien sûr, tout un tas d’organismes forcément indispensables se sont insurgés, par principe, de ce que l’on ne les avait pas consultés. La LA pour tous a créé des réactions de rejet très violentes de la part des philosophes, des historiens,des collègues enseignant en option IEP, et surtout des profs de LV2, craignant de se voir définitivement marginalisés, d’autant qu’il avait été décidé, voici quelques semaines, de faire en sorte que les étudiants puissent arrêter la LV2 à la fin du premier semestre pour ne pas être submergés au niveau des horaires.
Incapacité à suivre, souci des corporatismes ou haine fondamentale de tout ce qui ressemble à des études classiques, le SNES-CPGE a toujours été opposé à la réforme ; il est tenu par un nommé J. Hervé Cohen (« un garçon peu au fait du problème », me dit avec un sens très personnel de l’euphémisme Françoise Guichard, qui est à la fois prof de CPGE et militante du SNES) un physicien qui ne comprend rien aux problèmes des prépas littéraires et décide à peu près tout seul, — ou manipulé par un lobby anti-langues anciennes (géographes, linguistes) et pro-heures IEP (ah, les positions établies… Ah, les fromages !). Il doit bien s’entendre avec l’artisan de la réforme, un autre physicien, Boichot, doyen de l’Inspection générale de Physique… Il fallait un danseur, ce fut un calculateur qui l’obtint…
Après avoir menacé d’un recours contre la réforme (comme le SNALC, que l’on a connu plus intelligent, mais qui n’a pas insisté vu le tollé de la base), cette conjurtion des imbéciles a changé de tactique, et proposé un « petit » amendement selon lequel les étudiants peuvent AUSSI abandonner la LA au bout d’un semestre. Ce qui ramène les HK Lyon au statu quo ante, aligne les HK Ulm sur Lyon — Ulm perdant ainsi l’obligation de la LA — et dynamite le principe intelligent de la banque d’épreuves — et la volonté de revalorisation de la série L en amont.
C’est qu’il faut bien comprendre qu’imposer une Langue Ancienne à ce niveau, c’est inciter fortement les parents, ou les enseignants, à la proposer aux enfants dès le collège, et à la maintenir au lycée. On entre trop souvent aujourd’hui en série littéraire par défaut — faute d’être admis ailleurs. On doit à nouveau y aller par goût des Belles-Lettres, et selon une ambition. Des parents poussent aujourd’hui eurs enfants à faire des maths à tout prix, quitte à les dégoûter des sciences. Il est bon qu’ils sachent que l’on peut orienter un élève vers les Lettres et qu’il y a au bout de possibles orientations prestigieuses.
Et je ne reviendrai pas sur tout ce que l’apprentissage des Langues anciennes apporte non seulement à la culture, mais à la maîtrise de la grammaire et de l’orthographe, à la rigueur de la pensée, à la structuration grammaticale — toutes conséquences dont peuvent profiter toutes les autres matières.

J’ai interviewé Emanuele Blanc, présidente de l’APFLA-CPL (Association des Professeurs de Français et de Langues Anciennes, http://www.apfla-cpl.com/), qui vient d’écrire à Xavier Darcos pour l’informer d’une situation qui lui a peut-être échappé. « Le SNES, dit-elle, profite de la rivalité Pécresse -Darcos pour faire capoter la réforme » — et prétend que l’on procède à un nouvel examen de l’arrêté, pourtant approuvé par le CNESER, qui a la haute main sur tout ce qui est université / recherche — et publié au BO. Une réunion préparatoire du CSE, ce machin dont j’ai déjà parlé il y a un mois ou deux dans une note intitulé « Apparatchiks » — http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/03/04/apparatchiks.html), se tenait le 3 juillet — en attendant une grand-messe d’enterrement dans une semaine.
La position du SNES, sous couleur de défendre je ne sais quelle spécificité, prétend condamner à court terme les Prépas littéraires, en les empêchant, via la banque d’épreuves, d’ouvrir sur plusieurs concours.
En fait, comme le fait remarquer l’un des rares Inspecteurs généraux à soutenir la réforme — les autres comptent les coups —, la volonté d’obstruction des révisionnistes ne devrait pas tenir face à la réalité juridique d’un arrêté pris et publié en bonne et due forme. Mais seul le pire est sûr — loi de Murphy.

Rivalité Darcos-Pécresse, disais-je… Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une rivalité de personnes, mais de cabinets, peut-être : les classes préparatoires sont installées dans les lycées (Darcos), mais appartiennent à l’enseignement supérieur (Pécresse), et viennent d’ailleurs d’être rattachées aux universités, avec lesquelles elles passent en ce moment des contrats de bonne entente.
Détruire les Lettres Sup, c’est détruire aussi le dernier lieu où l’on fait sérieusement de la littérature, l’ultime vivier de profs de Lettres dominant leur savoir — mais sur ce point précis de la formation des maîtres en Lettres, je reviendrai prochainement : j’ai trop d’amis en ce moment et une petite cure de haine me fera le plus grand bien.

Jean-Paul Brighelli