Bientôt le Bac. On sent déjà dans les lycées le léger fumet d’angoisse qui caractérise la période. Les magazines interviewent les profs, pour savoir comment y faire face. C’est par excellence le marronnier de fin de printemps.
Et dans les salles des profs, une certaine forme de découragement se fait jour. On a reçu les convocations pour les corrections, on s’interroge sur les lieux exotiques où l’on va sévir  encore que « sévir », en ce qui concerne le Bac, ne soit pas tout à fait le mot… Et on soupire en haussant les épaules.
Pourquoi ? Parce que les délais de correction se resserrent considérablement. Le ministre, et il n’a pas tort, veut « reconquérir le troisième trimestre ». On repousse donc la date de début des épreuves. Un internaute remarquait récemment, ici même : «  Les correcteurs auront autant de copies à digérer que d’habitude, mais en beaucoup moins de temps. Veut-on par là amener tous ces braves gens à avouer que les épreuves écrites sont trop lourdes et donc les réduire ? Sous prétexte de reconquête du troisième trimestre, on contribuerait ainsi, en les poussant à bout, à une future réforme du bac… »

C’est une question insidieuse, bien typique de la paranoïa professorale, mais qu’il n’est pas inutile de poser. Quand on voit des concours prestigieux (l’ENS…) mis à mal parce qu’on a mal rédigé un sujet ici, ou égaré une copie là, et que l’on connaît la terrible tentation qui agite ces temps-ci ces Ecoles pour se transformer en Instituts à l’américaine, qui recruteraient désormais sur dossiers, comme c’est déjà le cas pour les « auditeurs libres », et délivreraient leurs propres diplômes… Un concours intenable est un argument de plus pour les tenants d’une réforme de fond…
Qu’en est-il du Bac ? Cela coûte cher (60 millions d’euros), et désorganise le mois de juin. Ça déborde même sur juillet, ce qui doit mettre en fureur le lobby des loueurs de vacances, beaucoup plus efficace, de tous temps, que celui des profs. Pour un profit modéré : à 83% de réussite, ce n’est plus un examen, c’est une formalité.
Encore que 17%d’échecs, dans un système aussi laxiste que le nôtre, c’est beaucoup. Autant de redoublants qui vont user leurs fonds de culottes et de strings sur les bancs du lycée un an de plus. C’est dispendieux, et est-ce bien nécessaire ?
On voit bien ce qui se profile sournoisement : une augmentation de la part « contrôle continu » du Bac. À terme, la régionalisation d’un examen auquel les Français, sondage après sondage, souhaitent pourtant conserver un caractère national.

Admettons même que ce soit jouable. Cela ne changerait pas grand chose, sinon dans le sens du pire, aux 50% d’échecs en première année d’université.

Il faudrait être cohérent, et reconnaître que le Bac est un examen de fin d’études. La garantie qu’un certain cursus a été accompli. Et cesser d’en faire le premier titre universitaire, donnant automatiquement accès aux études supérieures.
Enfin, quand je dis automatiquement… Déjà plus de 40% des formations supérieures recrutent sur dossiers, et avant le Bac — en fonction des résultats de Première et de Terminale. BTS, IUT et Classes préparatoires, parmi d’autres. Ça ne marche pas si mal que ça. Pourquoi ne pas généraliser ? Pourquoi ne pas laisser chaque université recruter ses étudiants comme elle l’entend ?
Cela aurait entre autres l’intérêt de décharger les universitaires de la présidence des jurys de Bac (avec tous ces examens en souffrance, cette année, ils auront bien autre chose à faire — et au passage, cela supprimerait la tentation, mise en avant par les jusqu’auboutistes du mouvement, de prendre le Bac en otage des mouvements d’humeur du Supérieur). Et d’en finir avec cette hypocrisie sans nom qui confère à tous les Bacs le même pouvoir d’accès au Supérieur, alors même qu’il y a dix Bacs, qui ne se ressemblent que par leur nom de famille.

Ce qui me ramène au stress. « Bac » est un patronyme. Mais le Bac 2009 ressemble peu au Bac 1909 — pour ne rien dire du Bac 1809. Il y avait bien un Brighelli à cette époque, quelque part en Toscane. Mais qu’ai-je à voir avec cet ancêtre ?
Ce sont les parents qui sont les plus grands générateurs d’angoisse, en ce mois de juin. Parce qu’au mot « Bac », ils revoient celui qu’ils ont passé, il y a 25 ou 30 ans, en moyenne : c’est-à-dire à l’époque où Darcos ou moi les abreuvions en manuels — quand je vois ce que nous leur proposions, et ce que leurs enfants ont aujourd’hui en mains, on mesure l’écart. Et l’idée (fausse) que Moncœur va connaître les mêmes affres les affole — rien ne se transmet plus aisément que le stress. Mais « Bac » 1969 — ou 1970, le mien —, ou Bac 1984 (celui des heureux « géniteurs d’apprenants ») n’ont aucun rapport avec le Bac d’aujourd’hui — sinon le nom de famille.

D’ailleurs, quelle est la valeur marchande du Bac ? Il y a quarante ans, il permettait de passer le concours d’entrée des Ecoles Normales — on n’avait pas encore inventé ces monuments de la civilisation avancée que sont les IUFM. Ou d’être recruté comme facteur, ou employé de banque. Aujourd’hui, on n’achète rien avec le Bac. L’inflation des diplômes l’a rejeté dans l’arrière-cour de l’ANPE. C’est la seule mesure réelle de ce qu’on appelle parfois trop vite la baisse de niveau.

Je ne sais pas si les lycéens d’aujourd’hui savent ou non plus ou moins de choses que leurs parents à leur âge. Des choses différentes, certainement. Des choses qui leur seront peut-être utiles — mais pas pour suivre en fac : le Supérieur a toujours les mêmes codes, et sélectionne sur les mêmes critères qu’autrefois — même s’il les a détendus quelque peu.

Alors, un examen de fin d’études, oui. Donné à peu près à tous ceux qui auront suivi en Terminale. Que l’on épaulera au besoin, par stages intensifs, pour qu’ils suivent — à peu près. Un examen noté, chiffré, qui ne vaudra que ce que vaut le Bac — pas grand chose. Mais la certitude en tout cas d’en avoir fini avec le Secondaire. Economisons le stress, économisons sur les épreuves. On reconquerra vraiment le mois de juin, parce que les élèves de Terminale, comme les autres, iront en classe jusqu’au bout. Après tout, parmi les 17% de recalés, qui sait combien s’en seraient sortis, avec un mois de cours de plus ? Les profs sont faits pour être devant les élèves, leur transmettre le plus grand nombre possibles de savoirs, et non pour pédaler à Pétaouchnok pour y faire passer un examen dévalué. Cessons de nous voiler la face : on ne redonnera pas au Bac son lustre d’antan. D’abandons en abandons, nous avons si bien perverti le système qu’il est plus que temps d’en changer. Et les universités recruteraient selon leurs propres critères — ça ne signifierait pas forcément que des populations entières resteraient à la porte des facs : on trouve toujours chaussure à son pied. En tout cas, ce serait cohérent avec l’autonomie des universités…

Mais voilà : quel ministère prendra le risque de se mettre à dos cette population qui persiste à vouloir faire du Bac un sésame, afin d’avoir le droit de se planter en Fac ?

Jean-Paul Brighelli

PS. Bien sûr, j’aurais pu faire une Note sur le rapport Descoings, qui vient de tomber. Mais il n’y a rien à en dire. C’est un vide intersidéral. Revaloriser le Technique. Ne plus traumatiser Monchéri en lui refusant l’entrée dans une voie générale déjà surchargée. Faire, tant que se peut, un lycée unique comme il y a un collège unique. Confier l’orientation à tout le monde, et surtout pas aux conseillers d’orientation (la seule suggestion qui me paraît globalement sensée). Penser la réforme dudit lycée en ne regardant qu’en aval — les études supérieures — sans se demander ce qui cloche en amont. Et suggérer de revoir l’orientation — si peu de gens intègrent les classes préparatoires et les grandes écoles… Faire un peu de social, ne pas oublier le coup de brosse aux syndicats majoritaires, en suggérant de réduire uniformément (ah, l’égalité, la sainte égalité !) d’une ou deux unités le nombre d’élèves par classe : sûr que tout le monde se sentira mieux avec deux loupiots de moins. Tant de temps et de consultations pour en arriver là : il aurait aussi bien pu pondre les 85 pages dudit rapport tout seul au bistro du coin. Ou chez Lipp, qui est à deux pas de Sciences-Pô. Ça n’y changerait rien, ce serait toujours 85 pages de brèves de comptoir.