Le Parti socialiste nous concocte, paraît-il (1), un nouveau projet éducatif. Bonne idée : cela fait beau temps que le divorce entre les enseignants et le parti de Ségolène Royal, la madone du Poitou qui pense que les enseignants ne fichent rien (2), est sur les rails, autant essayer de les rabibocher. Natacha Polony expliquait l’année dernière (2) pourquoi, mais le mal venait de plus loin — sans doute de cette loi Jospin qui mettait l’élève, soudain apte à « construire ses propres savoirs », au « centre du système » en lui donnant toute licence d’expression.

C’est si vrai que dès 2002, nombre d’enseignants avaient choisi de voter pour Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens soutenu par le Pôle républicain. Sur les 1 518 528 voix qui se portèrent sur le « Che », et manquèrent tant au candidat Jospin pour atteindre le second tour, combien d’enseignants dégoûtés par les réformes successives portées par une Gauche plus idéologue que pragmatique — plus « démocratique » que réellement républicaine ? Assez, en tout cas, pour passer devant Jean-Marie Le Pen… Mais voilà, Jospin et le PS les méritaient-ils, ces voix ?

Et encore, cette année-là, 72% des enseignants avaient encore porté leurs voix à la gauche et à l’extrême-gauche, toutes étiquettes confondues. En 2007, ils n’étaient plus que 45%, et près de 30% d’entre eux ont voté à droite ou à l’extrême-droite (3).

Et en 2012 ? Une chose est sûre, nombre de ceux qui ont voté pour l’actuel président de la République, sur la foi d’un programme qui semblait vouloir mieux faire, n’apporteront plus leurs voix à un homme qui a méprisé la plupart de ses engagements (4). Si la réforme du Primaire allait dans le bon sens, la semaine de quatre jours a réduit la possibilité d’appliquer les programmes raisonnables de la réforme Darcos, a fortiori les programmes ambitieux nécessaires pour remettre les enfants sur la voie d’études heureuses. Renoncer à réformer le collège unique sous prétexte que cela ne ferait guère gagner de postes a signé le glas des espérances des Républicains. Quand le seul souci, d’un côté, est financier (la réforme du lycée n’a absolument aucun autre objectif — et surtout pas pédagogique), et que de l’autre on ne s’occupe que d’idéologie, et non d’efficacité et de réussite ; quand le ministre le mieux coiffé du gouvernement met devant les élèves, et à temps plein, des néo-professeurs désemparés, et qu’il envisage sereinement de les remplacer, à l’occasion de stages improbables, par des étudiants qui ont échoué aux concours de recrutement (5), pendant que les autres n’ont d’autre solution que de ressusciter des IUFM qui ont largement fait la preuve de leur nocivité éducative ; quand les réunions du CSE, rue de Grenelle, sont l’occasion de distiller mépris et menaces envers les syndicalistes qui n’ont pas, pour le patron de la DGESCO, les yeux de Chimène, mais qu’on attend toujours des propositions constructives du syndicat majoritaire, qui persiste à se prétendre à gauche — eh bien, je ne vois pas ce qui attirerait les enseignants chez les uns ou les autres. Et les professeurs, de la Maternelle à l’Université, vont avoir tendance à se retirer sur l’Aventin — comme on disait du temps des études classiques, qui n’existent plus qu’à l’état de reliques dans quelques lycées pour privilégiés. La politique des ZEP a instauré un enseignement à deux vitesses. Libéraux et libertaires s’entendent comme larrons en foire pour démanteler l’Education nationale, trop nationale pour les uns et encore trop éducative pour les autres. En avant vers l’autonomie, le recrutement des enseignants par les chefs d’établissement (6), le chèque-éducation et la privatisation pour tous (7).

Que faire ? Où Aller ? Sur l’île d’Arros ? Sur la planète Mars ? Où inscrire nos enfants, pour qu’ils échappent d’un côté aux délires économiques (n’en déplaise aux géographes parisiens, il est évident, depuis trois ans, que la rue de Grenelle commence et finit à Bercy), de l’autre aux expérimentateurs fous ?

On pouvait donc raisonnablement espérer qu’un PS désireux de revenir aux affaires comprendrait les enjeux : c’est en restaurant l’Ecole de la République, en prenant des options claires, en tranchant une fois pour toutes entre pédagogistes et « instructionnistes », en pariant enfin sur l’intelligence, au lieu de se cantonner dans la routine qui a produit tant de défaites, que le parti de Martine Aubry peut espérer provoquer, chez les enseignants, un sursaut d’espoir qui se traduira en vote positif.

Peine perdue (8). En nommant Bruno Julliard aux commandes du secteur Education, en écoutant les suggestions aberrantes d’un Vincent Peillon ou d’un François Dubet, tous deux avides de briser ce qui marche encore, comme je l’explique dans mon dernier livre (9), l’affaire était mal engagée.

Qu’apprenons-nous des grandes directions du projet PS ? Que la réforme du Primaire sera balayée — on apprend encore trop de choses à l’école élémentaire… Que le collège sera « primarisé » — en fait, on entérine la baisse dramatique du niveau en descendant encore les exigences : c’est la vieille technique du bris de thermomètre qui efface la fièvre. Diversifions les parcours — pourquoi ne pas dire tout de suite qu’il y aura ceux qui iront dans les bons lycées et ceux qui « s’exprimeront » sur le dos de leurs petits camarades ? Supprimons des heures de cours, transformons l’enseignant en Gentil Organisateur — l’Ecole de Bruno Julliard, c’est le Club Med’ du pauvre, la récréation perpétuelle, sous prétexte de « soutien ». Nous ne serons plus professeurs, nous serons fournisseurs de béquilles. Cajoleurs de bisounours. Et supprimons les prépas et les grandes écoles, de façon à les noyer dans des facs auxquelles cela ne changera rien, sans un plan concerté d’expansion de la recherche, aujourd’hui sinistrée.

Pour la séance de conciliation, encore un effort, camarades — sinon, le diovorce sera définitivement consommé. Surtout qu’en cas d’alliance avec Europe Ecologie au second tour, Eva Joly se fera un plaisir de pousser aux premières loges son spécialiste Education, tête de liste élu en Rhônes-Alpes aux dernières Régionales. Philippe Meirieu rue de Grenelle ? Help !

Dans l’Arnaqueur (10), le héros, Eddy Felson, joueur de billard de grand talent, apprend à gagner en comprenant comment il a perdu — comment, à force de narcissisme et de suffisance, il s’est pris la raclée de sa vie, face à l’inébranlable Minnesota Fats. Je suggère aux plus intelligents des Nouveaux Caciques du PS (il y en a — Guillaume Bachelay, par exemple, qui s’occupe de l’Industrie) d’en acheter un stock et de le faire lire à Bruno Julliard, qui est jeune et peut-être récupérable, et à quelques autres.

Mais pour François Dubet et Vincent Peillon, il n’y a plus rien à faire.

Jean-Paul Brighelli

(1) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/09/08/les-enseignants-et-le-ps.html

(2) http://www.dailymotion.com/video/xmjx7_segolene-profs-fracassante_news

(3) Ce sont les chiffres fournis par le SNUIPP, syndicat quasi unique des instituteurs, membre de la FSU dont les convictions de gauche sont officielles. Voir http://www-old.snuipp.fr/spip.php?article4631

(4) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2010/01/31/words-words-words.html

(5) Voir Capital sur M6, dimanche 3 octobre : http://www.m6replay.fr/#/info/capital/18008

(6) http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3732

(7) http://www.marianne2.fr/Le-cheque-education,-machine-de-guerre-contre-l-ecole-republicaine_a197930.html

(8) http://www.slate.fr/story/27819/ps-education-idees-reforme

(9) Tireurs d’élites, Plon. Courez le commander !

(10) Série noire ou Folio noir. Indispensable. Le film de Robert Rossen avec Paul Newman et Piper Laurie est remarquable, mais le roman est exceptionnel.