Faire le jeu du FN, disais-je dans la Note précédente…

Mais quel est le jeu du FN ? Se contenter de dire que c’est un nid de fascistes, c’est un peu court, jeune homme. D’autant que ces jours-ci, on y vire les allumés qui font le salut nazi. Alors souligner que ce sont des libéraux dans l’âme ? C’est vrai, mais justement, ce n’est pas ce que Marine Le Pen met en avant. Expliquer que le chèque-éducation nous mènerait tout droit au démantèlement de l’Ecole telle que nous l’aimons ? Qui s’en soucie vraiment ?

Ce que le Front a l’intelligence de faire, c’est un « hold up idéologique », comme le dit Chevènement dans Marianne cette semaine. Ce qu’il a l’habileté de vendre, ces temps-ci, c’est la République. « Et si le Front national, poursuit le « Che », cherche à récupérer cet héritage en déshérence, il faut être idiot pour applaudir et pervers pour renverser les rôles en imputant à la gauche républicaine la responsabilité du hold-up dont elle est victime ! C’est le degré zéro de la réflexion politique. » Ça, c’est une pierre dans le jardin d’Ariane Chemin et de Jean-Michel Aphatie — mais nous allons retrouver le Nouvel Obs sur notre chemin.

Et si tant de gens s’y laissent prendre, c’est qu’il y a une demande, figurez-vous.

Parce qu’ils veulent un Etat. Pas une entreprise.

Et la République, en France au moins, s’est construite sur l’Etat. Pas sur son éradication. Ça, on nous le fourgue depuis quelques années sous la douce appellation de « démocratie », alors qu’il s’agit de libéralisme mondialisé. De démission. Baissez culottes !

Et vous savez quoi ? Le peuple français n’en a rien à foutre, comme aurait dit Hébert, du libéralisme mondialisé. Par les temps qui courent, il n’en a même rien à foutre de l’Europe — en tout cas, pas de l’Europe de Barroso and co.

Et il n’a rien à foutre d’une Education nationale qui suce la roue du Protocole de Lisbonne.

Que fait Sarkozy depuis quatre ans ? Il annihile l’Etat, pour lequel il a une haine d’autant plus étrange qu’il a tout fait pour arriver à sa tête. Il scie le trône sur lequel il s’est assis — comme s’il souhaitait, inconsciemment ou non, être le dernier président d’une Vème République dont De Gaulle avait fait le véhicule de l’Etat. Il se moque des Affaires étrangères, gérées durant trois ans par un médecin amoureux des caméras plus que du Quai d’Orsay, et contournées depuis quinze jours par un histrion qui se dit philosophe et n’est qu’une réclame vivante pour Armani ou Saint-Laurent — spécialisés dans l’art d’habiller le vide. Il se moque de l’Industrie, bradée, de la Santé, dégradée, et de l’Economie, fourguée aux banques et aux agences de notation. Il se moque de la Défense, confiée à l’OTAN : si les Ricains n’étaient pas là, comme disait Sardou, qu’il vénère, que deviendrait-il ? Il se moque même de l’Intérieur, dont il prétendait avoir fait sa chose, et qui ne cesse d’accumuler les contre-performances. Et je connais pas mal de Corses, entre autres, qui iraient jusqu’à dire qu’il se moque aussi de la Justice.
Quant à l’Education… Le fait que ce soit le premier employeur de la nation, le plus gros budget de l’Etat, lui donne visiblement des boutons — sinon, il n’y aurait pas nommé Chatel. La rue de Grenelle n’a eu de cesse de s’auto-détruire, particulièrement en transférant ses pouvoirs aux collectivités locales, qui n’ont ni les moyens ni la compétence. Le dernier avatar de ce mouvement de braderie, c’est l’autonomie des établissements — et le clou expérimental, c’est, en ce moment, le dispositif CLAIR, qui permet aux chefs d’établissements sélectionnés de recruter eux-mêmes leurs équipes pédagogiques — sur des critères que les pédagogues les plus aventureux leur fourniront sans trop de peine. Je conseille le léchement de pieds, comme dans les Morticoles (1) — au moins, ce sera… clair.

Et le dégraissage du Mammouth, à raison de 15 ou 20 000 suppressions de postes par an, participe aussi de ce « moins d’Etat », de cette République à l’encan qui sévit dans tous les domaines. Après tout, éradiquer les enseignants, ce n’est pas plus grave que de fermer des hôpitaux sous prétexte qu’ils se contentent de sauver quelques centaines de vies par an. La fin du service public, c’est aussi cela, la fin de la République.

Marine Le Pen, ou ses conseillers, qu’ils soient ou non d’anciens chevènementistes, comme le suggérait la semaine dernière Philippe Petit, ont parfaitement compris ce que demandaient les Français : le retour à l’Etat (providence ou pas), le retour aux fondamentaux de la République.
Le plus sidérant, c’est que peu de gens, à droite ou à gauche, semblent l’avoir saisi aussi vite que la nouvelle présidente du Front, dont on peut dire bien des choses, sauf qu’elle est une imbécile — les crétins sont ailleurs. À droite, qui l’a compris, à part les souverainistes, qui tiennent un discours parfois difficile ? Ou Villepin, qui se drape dans le drapeau pour faire oublier qu’il est tout nu ? Ou quelques représentants moins crapules que d’autres, qui savent fort bien ce qu’est un front républicain et n’approuvent pas la politique du ni-ni promulguée en haut lieu ? Il a fallu trois femmes (Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet et Roselyne Bachelot), pour sauver ce qui restait d’honneur — et amener un maigre électorat à prendre parti dans les duels du second tour des cantonales. Pas sûr que ça marche encore pour les présidentielles, tant le vote FN se décomplexe vite.

À gauche, c’est encore une autre histoire. Comment le PS peut-il être à ce point aveugle ? Comment peut-il encore, en matière d’éducation, se laisser guider par deux sociologues, trois journalistes et un raton laveur, — et un quarteron (restons gaulliens…) de pédagogues qui sont devenus spécialistes de la chose éducative afin de ne plus jamais enseigner — tout en inscrivant leurs enfants dans les systèmes élitistes sur lesquelles ils tirent ?

Vous voulez que les enseignants votent pour vous ? Restaurez un système réellement centralisé, seul gage d’équilibre et de justice. Restaurez des concours nationaux, et qui le resteront. Encouragez les jeunes à faire ce métier si difficile, en les payant tout de suite sur la même échelle que vos flics ou vos officiers : un étudiant doué pour les sciences a raison d’hésiter à se faire prof, quand n’importe quel ingénieur est payé deux à trois fois plus (et plus aucun « avantage » ne vient plus compenser des écarts salariaux monstrueux). Etonnez-vous que Singapour ait d’excellents résultats aux tests PISA — ils paient leurs profs, en moyenne, 5000 € par mois.

Et concevez des programmes nationaux — les mêmes de Lille à Nice. Ras-le-front d’avoir l’option foot à Gennevilliers et latin-grec à Paris Vème. Il n’y a qu’une culture à distiller — une seule. Une seule langue à apprendre — parce que si l’on sait bien le français, on a déjà moins de mal à apprendre l’anglais ou le mandarin. Une seule règle de trois.

Le clou de toutes ces démissions dont le Front fait son beurre, c’est le débat sur la laïcité (2).

Ça vient de loin — de Latran, au moins. Pour quelques bigots de plus, on s’est mis à nous parler de « laïcité aménagée ». Et le FN, qui recrutait naguère ses sympathisants du côté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, s’est engouffré dans la brèche et a revendiqué haut et fort la laïcité — parce qu’il est le seul parti à proclamer cette évidence, à savoir que la foi est du domaine privé et n’a pas à déborder sur les trottoirs. Du coup, dans un effort désespéré pour rattraper ces électeurs de 2007 qui glissent à l’extrême-droite, on nous suggère un débat national sur la laïcité — comprenez : l’Islam. Et la Gauche, obstinée à ne pas comprendre, se met à signer des pétitions où se lisent côte à côte les noms de Martine Aubry et de Frère Tariq (3) : ils sont donc cinglés, rue de Solférino, pour tomber systématiquement dans tous les pièges tendus ? Pour ne pas voir que la République et la laïcité ne sont pas des débats, mais des incontournables ?

Alors, cessons de nous indigner du caractère de plus en plus réflexe du vote FN. Marine Le Pen a intelligemment récupéré le cri du peuple, comme aurait dit Vallès — y compris le peuple enseignant. C’est aux vrais démocrates à leur tour de se réapproprier ces thèmes, afin d’en faire l’analyse et le cheval de bataille des futures élections — parce que ça se passera pour ou contre la République, et pas autrement.

Et par vrais démocrates, j’entends ceux qui croient à l’idée de démocratie, celle de 1793, « la république ailée et volant dans les balles », pas ceux qui s’imaginent qu’elle est ce concept mou au nom duquel s’expriment toutes les mauvaises idées qui passent dans les têtes creuses de nos enfants gâchés (4). Ordre républicain, ou Ordre nouveau : vous hésitez encore ?

Ce n’est pas en lâchant encore du lest que nous sauverons l’école : c’est en revenant — et ce serait une révolution au plein sens du terme que cette réaction-là — à des principes républicains, à des exigences nationales, à une ambition nationale, que nous rebâtirons une Education nationale. Pas autrement.

Jean-Paul Brighelli

(1) Roman quelque peu polémique et anti-sémite de Léon Daudet — mais pas inintéressant, pour qui s’intéresse aux mœurs des années 1890. Quelle référence, me direz-vous ! La prochaine fois, ce sera Bagatelles pour un massacre ? Ah, quelle délectation de passer pour un facho réac et raciste ! J’adore me conformer à l’image que les imbéciles ont de moi. C’est un plaisir de fin gourmet, aurait dit Courteline.

 

(2) Catherine Kintzler vient d’approfondir cette question dont je ne souligne que les grandes lignes. Son analyse couvre l’ensemble du problème. Voir http://www.mezetulle.net/article-comment-la-laicite-a-ete-offerte-en-cadeau-au-front-national-70336445.html

 

(3) Encore un gros coup de l’Obs, dont la Gauche devrait réaliser qu’il est une boussole qui indique obstinément le sud : voir http://www.marianne2.fr/Aubry-Ramadan-l-incroyable-croche-patte-de-l-Obs-au-PS_a204229.html?TOKEN_RETURN

 

(4) Pour reprendre le titre d’un livre fondamental de Natacha Polony. Par exemple… Le système scolaire va mal ? Détruisons-le davantage, clamait Caroline Brizard la semaine dernière dans le Nouvel Obs — qui indique toujours la mauvaise direction, et est au fond totalement fiable : faites le contraire de ce qu’écrit l’ancien hebdo  des équipes de Combat, vous avez des chances d’être dans les clous.