Natacha Polony, dans le Figaro du jeudi 3 septembre, a magistralement résumé les démêlés de la Gauche socialiste et des enseignants, depuis les années de grande défiance (Allègre) jusqu’aux années de rejet épidermique (Ségolène Royal) en passant par les années de chiens de faïence et de défiance (Jospin).

Comme je ne saurais mieux faire, je lui ai demandé de bien vouloir me prêter sa tribune pour Bonnetdane. Je vous la livre ci-dessous — elle appelle une foule de réactions qui nourriront, à n’en pas douter, sa réflexion, la mienne, et surtout celle de tel parti, ou de tel mouvement, qui pense encore pouvoir récupérer ce « vote enseignant » désormais si dispersé.

Pourquoi le PS a perdu le vote des profs

Bruno Julliard, ancien leader étudiant et nouveau secrétaire national à l’éducation du Parti Socialiste, présentait hier son programme pour une école «juste», qui «fasse réussir tous les élèves»… Bref, un bréviaire des vieilles lunes pédagogiques : moins de connaissances disciplinaires et plus de didactique dans les concours de recrutement, le grand retour des IUFM, ces usines à produire de gentils «animateurs de groupe-classe», des professeurs enseignant deux matières en 6ème et 5ème (ce qu’il se refuse à baptiser bivalence pour ne pas éveiller la colère des profs qui votent encore PS), la promotion des « expériences pédagogiques innovantes »… Même si les socialistes se veulent raisonnables, expliquant que des moyens supplémentaires ne «sont pas la seule réponse au problème de l’école» (mais sont tout de même «un préalable»), le fond idéologique reste inchangé. Les professeurs qui entendront parler de «lissage pédagogique entre le primaire et le collège» ou de «pluridisciplinarité» le comprendront aussitôt.
C’est un fait désormais acquis, le temps où les enseignants votaient à gauche comme un seul homme est bel et bien révolu. Mais on en accuse un peu facilement les évolutions sociologiques et la dépolitisation des jeunes professeurs. La rupture entre le Parti Socialiste et une partie des enseignants n’est pas sociologique mais idéologique. Elle n’a pas pour origine la volatilité d’un électorat moins dévoué à la « maison éducation » mais l’abandon par une grande partie de la gauche des idéaux de l’école républicaine et de la méritocratie au profit d’une rhétorique égalitariste teintée de toutes les lubies pédagogiques.
C’est ce que nous enseignent les votes du corps enseignant aux deux dernières élections présidentielles. Car ce sont ces votes qui firent défaut à Lionel Jospin le 21 avril 2002. Ils ne furent alors que 27% des professeurs du primaire et du secondaire à voter pour lui, 13% pour Noël Mamère et 17% pour Jean-Pierre Chevènement. Non pas l’homme des 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, mais celui qui rappelait à longueur de discours que l’école est le lieu de la transmission des savoirs, et que cela ne peut se faire que par le truchement de l’autorité des maîtres. Celui qui s’inspirait de la prose d’un Henri Guaino (déjà) pour voir dans l’école le creuset de la Nation. Les professeurs qui ont rompu ce jour-là avec le parti socialiste se souvenaient que le candidat Jospin était à l’origine de la loi d’orientation sur l’école de 1989, et de « l’élève au centre du système ». Ségolène Royal fut la seule à tenter de cette fracture (même si son passé de ministre ne plaidait pas pour elle). Ils furent 41% à voter pour elle en 2007, ce qui reste en deçà de l’ancien étiage du PS et marque la méfiance des professeurs envers cette adepte de la « parole sacrée des enfants » et de la supériorité de l’oral sur l’écrit. 24% des professeurs se reportèrent sur un François Bayrou qui avait le mérite d’avoir laissé de son passage rue de Grenelle un souvenir neutre. Et venant de la gauche, il leur semblait moins violent de voter au centre qu’à droite. Mais 17% des enseignants votèrent pour Nicolas Sarkozy, séduits par ses discours vibrants sur la transmission des savoirs et la fin du pédagogisme.
Depuis, la réforme du primaire les a conquis, mais celle du lycée les a déstabilisés; autant d’ailleurs que le discours convenu de la gauche sur ces questions. En entendant les vieux refrains de Bruno Juillard, on sait que les professeurs qui ont divorcé avec le PS au nom d’une certaine idée de l’école républicaine ne reviendront pas en 2012

Natacha Polony