Nous proposions il y a un mois sur ce blog une « Charte pour l’éducation » — parce que l’Ecole est dans un tel état qu’elle ne peut manquer d’être un enjeu majeur des politiques à venir.
Les grandes idées se ramassent à la pelle — c’est même à cela qu’on les reconnaît. Au même moment, Natacha Polony (celle qui, dans « Marianne », pourfend chaque semaine les jusqu’auboutistes de la pédagogie, et avait rudement sonné le tocsin avec « Nos enfants gâchés » — JC Lattès, 2005) faisait les envois de presse de son dernier grand petit livre, « M(me) le Président, si vous osiez / Quinze mesures pour sauver l’école » (Mille et une nuits).
Résumons — et commentons — en attendant vos commentaires.

1. Organiser un audit indépendant, une évaluation générale du système éducatif.
Nous disons tous, depuis des années, que l’Ecole est une maison commune, qui devrait être à l’écart des récupérations partisanes. N’empêche que tout ministre frais émoulu de l’ENA, de l’agrégation de Lettres ou de son garage (les intéressés se reconnaîtront) veut laisser son empreinte sur l’Ecole — syndrome hollywoodien, sans doute. En fait, je crois que l’Education nationale ne devrait pas même être un ministère, mais un organisme du type INED ou INSERM. Mais comment éviter qu’il soit rapidement annexé par tous ces « chercheurs en sciences de l’éducation » et autres « personnalités incontournables » qui s’entre-cooptent depuis vingt ans ?
2. Dans ce débat souhaité, faire intervenir tous ceux qui ont quelque chose à dire — et pas seulement (je traduis de mon mieux les sous-entendus du livre) des syndicats avides d’immobilisme ou des organisations de parents vendus à tel ou tel lobby éducatif — FCPE, mon amour !
3. Sanctuariser l’école, dit-elle… Du port de la blouse ou de l’uniforme à l’interdiction faite aux entreprises privées de sponsoriser telle ou telle action éducative (qu’on se rappelle, il y a quelques années, un jeu électronique sur le code de la route fourni gracieusement aux écoles par je ne sais plus quel fabricant de biscuits sur-sucrés), Natacha Polony tente de remettre en place l’école à l’abri des rumeurs délétères du monde — le souci autrefois de Jean Zay. En clair, l’école pour rester laïque doit renouer avec la tradition de Jules Ferry, qui en faisait en 1885 un contre-pouvoir à l’institution religieuse, et qui devrait être, aujourd’hui, un contre-pouvoir aux marchands du temple — et, plus globalement, à la bêtise. « Vaste programme », disait De Gaulle.
4. Distinguer opinion et savoir — l’école est là pour enseigner des faits, non des opinions. Que l’on pense par exemple à ce que signifierait une telle mesure dans l’enseignement du fait religieux, enfin débarrassé des contorsions idéologiques visant à « respecter » les superstitions des uns et des autres. Cela supposerait une barrière étanche entre la culture du premier cercle (failial) et la culture commune dispensée à l’école. Ciel ! Et la « liberté d’expression » des ilotes ?
5. Refonder les maternelles, c’est-à-dire les dissocier définitivement du Primaire, avec un statut précis et une direction autonome. Je comprends bien l’intention, mais je connais nombre de villages où ce ne serait pas possible. Il me paraît en revanche autrement urgent de s’interroger sur le « bon » âge d’entrée en maternelle — bon pour le gamin, pas seulement pour des parents désireux de retrouver leur autonomie.
6. Apprendre à lire, écrire, compter — mais c’est le programme du SLECC, cela, ma bonne dame ! Voir http://grip.ujf-grenoble.fr/spip/article.php3?id_article=1 . Et c’est un projet qui va en heurter certains…
7. Enseigner les disciplines — et se débarrasser de tout ce fatras d’obligations pédagogiques (diététique ou permis de conduire…) qui ont peu à peu empiété sur les horaires de Français ou de maths. À trop vouloir en faire, nous savons bien qu’on ne fait plus rien.
8. Sauver la carte scolaire, pas le collège unique. Ou si l’on préfère, constituer des classes homogènes, et des filières d’excellence, dans tous les établissements. Elle ne serait pas un peu élitiste, cette Polony ? M’étonnerait pas qu’outre son profil de journaliste, elle soit agrégée de Lettres, tiens !
Plus sérieusement, je crois que derrière la fin du « collège unique », il y a là la volonté de repenser complètement les ZEP. Cela supposerait une autonomie réelle des établissements, et en même temps un programme strictement défini, au plus haut niveau. Je participai il y a quelques jours à une émission d’Europe 1 où une intervenante notait avec accablement l’écart entre ce qui s’enseignait en collège en banlieue parisienne dure, et ce qui s’enseignait à Paris-centre. Et le proviseur d’Henri IV (lycée désectorisé, qui recrute sur la base des résultats scolaires) de noter benoîtement qu’il parvenait à accepter chaque année « un certain pourcentage » d’enfants de ZEP. Ils ont bien du mérite, d’avoir le niveau, dans des établissements où on se soucie davantage, souvent, de gérer le quotidien que de transmettre des savoirs complexes.
9. Etablir un examen d’entrée en sixième et en seconde. Nous en avons parlé maintes fois sur ce blog, et le problème n’est pas le redoublement, mais le meilleur moyen de récupérer ceux qui se plantent — entre le CM3 ou une Sixième aménagée pour un temps plus ou moins long, mon cœur balance.
10. Récompenser ceux qui travaillent — via les primes à l’internat, une remise en état des IPES (je le proposais dans À bonne école, et j’ai cru entendre le petit Nicolas reprendre l’idée il y a quelques mois (« Je m’engage à instaurer un système comparable à celui des IPES, qui jadis permettait aux bons élèves qui se destinaient à l’enseignement de financer leurs études », a-t-il annoncé dans son discours de Villepinte, disponible sur http://www.u-m-p.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_a_maisons_alfort _ et je ferai de la pub aux autres quand ils diront des choses intéressantes).
11. Revaloriser l’enseignement professionnel — nous savns tous qu’on oriente aujourd’hui par défaut vers les CAP ou les BEP, alors que l’artisanat, par exemple, offre des milliers de métiers valorisants — plus valorisants que titulaire d’une place dans la queue à l’ANPE après cinq ans d’étude de psycho.
12. Garantir des diplômes nationaux — et je voudrais que chacun mesure exactement ce que représenterait une « régionalisation » de l’enseignement. Evidemment cela suppose de refonder le Bac – et les autres examens — selon de nouveaux programmes exigeants.
13. Evaluer les enseignants sur leurs résultats — ce qui suppose une entière liberté pédagogique (un objectif commun, et une infinie variété de méthodes). Bien sûr, une telle évaluation n’est pas facile à mettre en place — faut-il faire confiance à l’Inspection ?
14. Sélectionner à l’entrée des universités — mais c’est déjà le cas dans plus de 50% des établissements du Supérieur, de Médecine aux IUT en passant par les BTS. En fait, c’est en amont, au niveau de l’orientation, qu’il faut agir précocement, avant de laisser des élèves qui ne nous ont rien fait foncer dans le mur — voir le scandale des STAPS…
15. Fermer les IUFM — sans commentaires, chacun sait ici ce que j’en pense…

Bonne lecture à toutes et à tous — et à vous de proposer, proposer sans trêve — n’oubliez jamais que les politiques n’ont pas un gramme d’idée sur la question…

Jean-Paul Brighelli