L’heure est aux restrictions budgétaires, on s’en est aperçu.

À l’Education nationale particulièrement : les (maigres) subsides de nombre d’associations parfois essentielles sont sucrés les uns après les autres. Tout le travail patiemment réalisé année après année par le GRIP, par exemple, est aujourd’hui menacé. On ne peut même pas accuser le ministère de favoriser tel ou tel. Les Cahiers pédagogiques, si longtemps bien en cour, ont vu réduire de 50% (en fait, un poste d’enseignant détaché) la manne qui jusqu’alors tombait du ciel grenellien. Ils ne meurent pas tous, mais ils sont tous frappés, comme dit le poète…

Et d’encourager ces associations à trouver ailleurs les conditions de leur survie. Que les gros mécènes lèvent le doigt !

Parmi ces associations étranglées par une politique… aveugle, il en est une à laquelle je voudrais aujourd’hui faire un peu de publicité.

Philippe Claudet, un instituteur que j’ai rencontré en juin dernier, s’est ému dans les années 1990 de la difficulté d’amener à la lecture ses élèves mal-voyants ou aveugles. « J’avais des élèves mal-voyants dans la classe mais pas de livres pour leur apprendre à lire ! J’ai commencé à en faire pour ma classe et ce sont les parents d’élèves qui sont venus me voir pour m’encourager dans ma démarche qui est ensuite remontée à des enseignants spécialisés puis à des bibliothèques. La France est un pays où les livres de jeunesse sont très développés mais il n’y a rien pour les enfants mal-voyants… J’ai donc lancé Les Doigts Qui Rêvent en 1994 pour pallier ce manque. » 
Mais un livre tactile coûte cher — près de 100 euros l’ouvrage, prix de revient et prix de vente. Les 175 titres publiés depuis 1994 incluent des matières découpées à la main pour susciter l’imaginaire de l’enfant qui les caresse. « Cela fait 30 ans que la science prône que le toucher est indispensable au bon développement de l’enfant », insiste Philippe Claudet. « Les livres tactiles ne fournissent pas seulement de la lecture, mais aussi de la culture. Un enfant voyant apprend à nommer le monde à travers les contes illustrés avant de le lire. Les enfants malvoyants ont également besoin de le faire et cela passe par le contact avec la matière. Nous soutenons l’idée que ces enfants ont des droits. Les mêmes droits que les autres enfants ! »

Il a donc fabriqué des livres, créé une revue (Terra Haptiqua (1) — l’haptique désigne notre capacité à percevoir le monde par le toucher), créé un prix international, Typhlo & Tactus (2) pour connecter toutes les initiatives au niveau mondial — il traduit et adapte les créations étrangères les plus adaptées —, bref, il s’est échiné à donner à voir aux aveugles.

Une activité qui a finalement pris le pas sur son travail de classe. Mais, coup de chance, le Ministère lui a accordé une décharge complète à partir de 2000 — en clair, Claudet était payé à travailler bien davantage que devant ses élèves.

À partir de là, le pendule a oscillé d’un côté puis de l’autre. Robien, en 2005, l’a renvoyé en classe — le sort des malvoyants n’intéressait pas le ministre, apparemment. Darcos, plus au fait des nécessités, a rétabli ladite décharge, que Chatel vient de supprimer. Sic transit

Les Doigts qui rêvent passent donc le plus clair de leur temps, en ce moment, à faire la quête. L’association vient de recevoir le Prix de l’économie solidaire, décerné par le Monde en partenariat avec Finansol et la MAIF. Ça doit faire plaisir au ministère, ce genre de prise en charge par le privé — quand bien même ce privé est, comme dit la pub, un « assureur-militant »…

Mais les sommes allouées ne sont pas à la hauteur de la subvention qu’accordait la rue de Grenelle — loin de là. Une décharge d’instit, c’est visiblement le Pérou…

Monsieur le Ministre, ce sont là des économies de bouts de chandelles — et les non-voyants se brûlent aux bouts de chandelles. Que vous ajustiez les dépenses et les rentrées, pourquoi pas ? Mais vous vous en prenez directement à ce qui marche, à ce qui marche bien — comme ces patrons qui licencient pour faire plaisir à la Bourse, et qui se retrouvent, un an plus tard, exsangues à force d’avoir rogné sur la force de travail, la créativité, bref, tout ce qui constituait leur crédibilité. Au lieu d’inventer sans cesse des « missions » sur la violence scolaire ou le temps de travail, confiées à de sinistres imbéciles, au lieu de laisser le Mammouth se dilater encore dans des méandres administratifs qui sont autrement ploutophages que le corps enseignant, concentrez-vous sur ce qui va pour le mieux, en usant de votre pouvoir pour le diffuser, le promouvoir, l’imposer. Telle association édite des manuels qui permettent de maîtriser les fondamentaux dès le Primaire ? À quoi bon la frapper à la caisse ? Telle autre fait un travail formidable pour les mal-voyants ? Pourquoi l’asphyxier ? 

Et quitte à être un peu cynique… Je m’étonne qu’un homme qui passe pour avoir été un grand communicant dans le privé, et qui a inventé rue de Grenelle le poste certainement indispensable de directeur général des ressources humaines (bonjour, Josette…), ne saisisse pas l’opportunité de se faire un peu de publicité positive grâce justement à ces associations qui font le travail que personne ne fait. La mise de fonds (allons, une décharge, c’est un poste, soit ; mais quelle rentabilité !) est minime, et le retour sur investissement, bien géré, serait énorme. Combien de journalistes, et dans des publications qui vous sont globalement hostiles, seraient bien obligés de saluer vos heureuses initiatives, au lieu de critiquer une politique qu’ils jugent à très courte vue — au pays des mal-voyants, c’est donc un aveugle qui est roi ?

Et combien de blogueurs de handicapés et de familles chanteraient vos louanges, au lieu de lancer des buzz négatifs qui ne vous feront aucun bien, dans six mois…

Jean-Paul Brighelli

Pour plus de renseignements, allez donc sur http://www.liredanslenoir.com/index.php?option=com_content&task=view&id=885&Itemid=7

Et pour voir d’un coup tous les produits réalisés par Philippe Claudet, ainsi que divers films explicatifs : http://www.ldqr.org/

(1) http://ldqr.org/boutiqueLDQR/article.php?cat=33

(2) http://www.tactus.org/but_fr.html