Les mauvaises nouvelles se ramassent à la pelle, sur le site de l’AEF. En marge d’un déplacement à Strasbourg, Xavier Darcos a fait deux ou trois déclarations à l’envoyée spéciale de l’honorable agence que j’aurais préféré ne pas lire.
   Et selon le principe du « qui bene amat » — on connaît la suite…

   Que raconte la dépêche de l’AEF ? La voici brut de décoffrage.

   « « Cette semaine, nous allons préparer une feuille de route sur la réforme du lycée en liant les deux questions, celle du lycée et celle de la redéfinition du métier enseignant », indique à l’AEF Xavier Darcos, aujourd’hui lundi 21 avril 2008. Le ministre de l’Éducation nationale compte soumettre cette feuille de route aux syndicats enseignants. Il ajoute que, dans le cadre des discussions sur le budget 2009 au début du mois de juillet, « il vaut mieux qu’il arrive avec des propositions ». La réforme du lycée devrait être annoncée dans les premiers jours du mois de mai, précise le ministre. Elle ne devrait pas concerner le bac, « qui n’est pas un sujet d’actualité ». « Le bac, c’est le sujet piège dont il ne faut pas se saisir », analyse Xavier Darcos. Le ministre dément par ailleurs vouloir supprimer les options rares. Il veut rééquilibrer les filières, non seulement au lycée général mais aussi dans les lycées professionnels et technologiques.
   « La feuille de route devrait s’articuler autour de trois items, explique Xavier Darcos:
– « une plus grande autonomie aux lycéens », qui « ne ressemblent pas aux lycéens d’il y a trente ans »;
– d’autres manières d’organiser le travail au lycée avec un renforcement de l’accompagnement éducatif et une aide à l’orientation pour que le lycée ne soit pas seulement « une machine à distribuer des cours »;
– une meilleure préparation des lycéens de terminale à la première année d’université.
   « Cette réforme, poursuit-il, exige des enseignants un « aggiornamento important »: une plus grande présence dans les établissements, une aide à l’orientation et la mise en place d’études surveillées. Pour le ministre, « le métier enseignant doit s’adapter à la société »: « il faut qu’ils acceptent de devenir des éducateurs ».
« Interrogé sur le mouvement lycéen, le ministre affiche « le soutien de l’opinion ». Il ne « mésestime » pas le mouvement mais ne cédera pas sur les suppressions de postes. Il confirme des « ajustements » en juin dans certains lycées difficiles. « Une liste » des établissements a déjà été établie. Les leaders lycéens, expliquent-ils, « entrent dans mon bureau, me demandent des moyens, je leur dis que je ne peux pas et que je ne veux pas et là, on commence à discuter de choses beaucoup plus intéressantes: la réforme du lycée », poursuit-il. »

   Cher Xavier,

   J’ai dans l’idée que ça ne passera pas.
   Je vois bien tout l’intérêt stratégique de la manœuvre : à court terme, se mettre les « syndicats » lycéens dans la poche en leur donnant quelques os à ronger — les nôtres ; à moyen terme, coincer les syndicats « de gauche » (je mets le mot entre guillemets parce que ces appellations contrôlées, par les temps qui courent, ne disent plus grand-chose) en les confrontant à certaines de leurs revendications « pédagogiques » (ou pédagogistes), comme la transformation des enseignants en éducateurs, et leur faire avaler, en même temps, une mutation irréversible du métier même d’enseignant qu’ils ont refusée avec acharnement du temps de feu Robien et de la réfection des « décrets de 1950 ». Après tout, si tu trouves le temps, cette semaine, de discuter avec Philippe Meirieu — qui dans Ripostes, dimanche dernier, s’affirmait chaud partisan d’un allongement de la présence des enseignants dans les établissements —, c’est que tu as sans doute l’intention de caresser dans le sens du poil les « démocrates » de toutes farines qui plaident pour une transformation des enseignants en gentils éducateurs. N’as-tu pas déjà fait des concessions majeures à ces mêmes pédagogues en maintenant, dans le projet de réforme du collège, la sacro-sainte « séquence pédagogique » que nombre de profs auraient voulu brûler en place publique — avec lesdits pédagogues ?
    Ou alors, penses-tu vraiment, comme tel ou tel de tes conseillers, qu’on ne peut vraiment discuter qu’avec le SGEN ou l’UNSA ? Frackowiack au pouvoir ?

   D’abord — et autant te le dire tout de suite — il y a tous les autres syndicats, avec lesquels ça ne passera pas, à moins de concessions majeures. Ensuite, je m’interroge sur cette politique étrange qui consiste à flatter des gens — syndicalistes à la marge, pédagogues lyonnais — comme le Jésus — ou inspecteurs généraux aux ambitions suspectes, qui te poignarderont dans le dos à la première occasion, et qui rêvent déjà tout haut de te remplacer par… n’importe qui, pourvu qu’il ne soit pas Darcos. Un ministre « d’ouverture », par exemple, qui a déjà donné deux fois et s’y verrait bien une troisième — inutile de te le nommer, n’est-ce pas ? Ou un olibrius quelconque de ta propre majorité — par exemple ce brave garçon qui prétendait jadis ne plus parler la langue de bois et pensait qu’un prof gagnait 5000 € par mois — ils aimeraient bien, les malheureux, et si tu consens à repenser sérieusement la condition enseignante, c’est par une revalorisation des débutants qu’il faudrait commencer.
   Le Figaro, il y a six mois, insinuait que tu étais « premier-ministrable » : faire miroiter le Capitole fut de tout temps la stratégie de ceux qui veulent vous pousser du haut de la roche tarpéienne. Curieusement, la même information a été reprise il y a peu par Brigitte Perucca, rédactrice en chef du monde de l’Education, et suppôt de Satan et des pédagogistes. Il y a des collusions qui méritent d’être soulignées, et pas mal de poignards derrière les sourires. Ce n’est pas à un latiniste que je l’apprendrai : voir Suétone, et la fin de César.
    L’année scolaire glisse vers sa fin, et sans doute ne crois-tu pas à un mouvement général d’ici juin. Mais méfie-toi des ides de septembre, si je puis ainsi m’exprimer. « Une plus grande présence dans les établissements, une aide à l’orientation et la mise en place d’études surveillées » ? En clair, passer de 18 heures à 35 — alors que tu sais bien que préparer un cours sérieusement, dans certaines matières et certaines sections, requiert un peu de temps à la maison, que corriger des copies ne s’expédie pas en dix minutes — si bien que tes propres services évaluent à un peu plus de 39 heures par semaine la durée réelle de travail d’un enseignant. Sans compter la fatigue nerveuse accumulée tout au fil de la journée, selon l’état mental des charmants petits monstres. Aide à l’orientation ? Mais nous le faisons tous les jours, parce qu’il nous arrive assez souvent de discuter avec les élèves — ou leurs parents. Quel besoin d’affecter spécifiquement les profs principaux à une tâche que nous effectuons déjà ? Est-ce cela, « professionnaliser la profession », comme dit l’immortel Pochard ? Ne serions-nous pas déjà des professionnels ? Quant à la mise en place d’études surveillées — tout en suggérant que ces jeunes gens accentuent la part « autonome » de leur travail… As-tu oublié ce frémissement qui parcourt les classes, un peu avant 16 ou 17 heures, quand la cloche va sonner ? La plupart des élèves ne rêvent, tout le jour durant, que de l’instant qui leur permettra de fuir le lycée. Nous étions pareils, et la mutation génétique des « lycées-casernes », comme nous disions jadis, en lycées « lieux de vie » n’y a rien changé. Et tous tant que nous sommes, nous savons déjà consacrer du temps — gracieusement — à tout élève qui vient nous demander une aide. Décréter que cette aide prendra telle ou telle forme, et s’exécutera dans tel ou tel délai, c’est stériliser les bonnes volontés.
    D’autant que la demande réelle des lycéens (voir le sondage effectué ce mois-ci par Phosphore), c’est plus de savoirs, et non plus de bien-être. Et un Bac de meilleure qualité, c’est-à-dire un accès sérieux au Supérieur : et je crois vraiment que, pour délicat que soit le sujet, on n’échappera pas à une réflexion sur l’avenir du Bac (ce même Monde de l’éducation a prévu, début mai, d’organiser un débat entre François Dubet, que tu reçois aussi cette semaine, et l’auteur de Fin de récré — que je salue au passage).
Je sens bien se profiler, derrière les discours incertains, ce vieux projet d’autonomisation des établissements qui peut fonctionner — peut-être  dans certains domaines (la gestion ?), mais certainement pas dans l’axe pédagogique, à moins de vouloir que les enseignants soient, en masse, livrés pieds et poings liés aux lobbies pédagogistes infiltrés depuis deux lustres.

    Résumons. Tu veux réformer le lycée ? Ça ne peut pas se passer sur un strict point de vue administratif. Personne ne suivra, et je ne suis pas sûr qu’il soit bien utile de donner, en ce moment, des aliments au mécontentement. Réformer ? Mais ce sont les études qu’il faut réformer d’abord — et quand les lycéens seront remis sur les rails, tu t’apercevras que le travail des enseignants se définit tout seul — par la transmission des savoirs. Oublie un peu les pseudo-démocrates qui veulent transformer le lycée en grand club de vacances, et pense un peu aux honnêtes républicains qui comptent sur l’Ecole pour développer la pensée en développant les connaissances, et remettre en route un ascenseur social que trente années d’errance pédagogiste — je reprends tes propres termes — ont démantibulé.

Jean-Paul Brighelli