Guy Béart chantait jadis « le premier qui dit la vérité il doit être exécuté ». Mais dans le monde merveilleux de l’Education nationale, c’est le premier qui est réellement compétent qui se fait dézinguer. Comme chez Orwell : « l’Ignorance, c’est la force », et tous ceux — toutes celles — qui s’acharnent à leur apprendre à lire, écrire et compter sont des déviants qu’il faut mettre au pas.

Une amie chère, qui intervient régulièrement sur ce blog depuis sa création, vient de se faire virer manu militari — ou presque — par le principal forum d’instits. La police d e la pensée a frappé : n’avait-elle pas eu le culot de promouvoir les méthodes qui ont fait d’elle, dans son petit village drômois, la star des Grandes Sections et CPO réunis ? Ne se targue-t-elle pas de réussir à faire lire et écrire tous les enfants de cinq et six ans — nouilles comprises ? 

Comme Catmano — c’est elle ! — a un style inimitable, je lui laisse la parole pour raconter ce qui pourrait n’être qu’une mésaventure, mais qui est un révélateur de l’ordre parfait qui règne dans le Primaire — et ailleurs, là où le Principe de Peter bien appliqué permet de tout donner aux moins compétents, et de sacquer les plus performants.

Jean-Paul Brighelli

Feignants, les instits ? Pas tous, cela est sûr. La preuve ? Dès qu’ils ont pu communiquer entre eux par le biais de l’informatique, ils se sont empressés de créer des sites, des blogs, des forums consacrés presque exclusivement à leur métier, leurs préparations de classe, leurs méthodes, leurs manuels et l’aide qu’ils pourraient apporter à leurs élèves.

Parmi  les dizaines de sites répertoriés sur la Toile, il en est un dont l’importance est reconnue. Fort de plus d’une centaine de milliers de membres et de 3 638 351 messages au moment où j’écris ces lignes, il trône parmi les premiers lorsqu’on demande à un moteur de recherche de nous aider à trouver un site qui intéresserait un jeune professeur des écoles débutant cherchant des interlocuteurs, de l’aide ou du soutien.

Mais, car il y a un mais, il est bon qu’il sache avant de s’y inscrire qu’il a intérêt à méditer longuement la maxime suivante : « Sur la Toile comme ailleurs, le chef a toujours raison. Et, même quand le chef a tort, il vaut mieux faire comme s’il avait raison. »

Jetée… Virée… Lourdée… N’importe quel mot m’aurait mieux convenu que celui qui nous a été attribué, à nous, les désobéisseurs d’un nouveau style !

Eux, ils ont dit « bannie » ! Bannie… Mise au ban… Condamnée à rôder derrière les barrières, comme ce type qui aurait démoli sa femme et ses enfants à coups de barre à mine, comme celui qui aurait revendu des substances illicites aux gamins de l’école primaire ou comme cet autre qui avait oublié d’informer les autorités que sa famille était morte de la peste… Ce n’est pas glorieux, hein ?

 Ou alors, comme cette institutrice de 1905, mise au ban par les intolérants de tout poil, ceux qui lui reprochaient de travailler pour l’École sans Dieu et ceux qui ne supportaient pas que tout en y travaillant, elle éprouve le besoin d’aller à la messe tous les dimanches…

 Ou encore comme cet instituteur des années 30, viré de son école de village et condamné à en créer une en dehors de l’Institution pour refus de se plier à la norme des bourgeois de son département… Comment s’appelait-il déjà, ce désobéisseur, cet insoumis qui visait la réussite de tous, même des plus pauvres, des plus réprouvés, des moins « dans la norme » et qui choquait le bourgeois par ses méthodes innovantes ? Je l’ai sur le bout de la langue…

 Ouf ! Il a existé dans l’histoire de l’École Publique des bannis reluisants ! Et puis, il y a bannisseur et bannisseur… Ne vous inquiétez pas trop pour moi, mon bannissement à moi ne me fera aucun tort en fin de mois, ni au moment de faire valoir mes droits à pension civile. De ce côté-là, tout va bien.

J’ai même été contrainte de recevoir récemment le début de ma panoplie pour l’été prochain… J’attends toujours le masque et le tuba, mais, dorénavant, mes pieds, recouverts de leurs palmes violettes, me valent les félicitations de toute la hiérarchie républicaine ! Il n’y a que mon député  qui m’ait oubliée…

 Alors ? D’où avez-vous été bannie, chère amie, me direz-vous. Et quels sont ces désobéisseurs qui auraient comme vous subi cet opprobre ?

Hélas, braves gens, à la vitesse où vont les événements, vous allez sans doute être obligés de me croire sur parole.

 Ceux qui me connaissent un peu savent sans doute que j’intervenais de façon assez régulière (environ une heure par jour les jours de classe, et entre deux et sept heures par jour, les mercredis, samedis, dimanches, jours fériés et vacances scolaires), sous le pseudonyme d’Akwabon, sur un forum d’enseignants de l’École Primaire et ce depuis trois ou quatre ans (excusez-moi mais, n’ayant plus accès à mon « profil », je ne peux vous donner la date exacte de mon inscription à ce forum associatif).

 Malgré quelques alertes, essentiellement dans les sujets consacrés à la maternelle et à l’apprentissage de l’écriture-lecture, j’avais petit à petit réussi à « faire mon trou », rencontrant des collègues qui, pour certains, étaient devenus des amis, fournissant du matériel qui était très abondamment téléchargé (environ trente à cent téléchargements en trois à quatre jours à chaque nouvel envoi), échangeant des pratiques et des nouvelles qui ne me semblaient absolument pas contraires à la Charte que j’avais promis de respecter en m’inscrivant sur ce forum.

Il me semblait en effet que mes amis et moi-même avions toujours respecté la Charte que nous avions acceptée au jour de notre inscription (même pour ceci, vous êtes obligés de me croire sur parole, puisque, depuis quelques jours, la Charte évolue au gré des événements et qu’elle ne correspond donc plus à celle que nous avions les uns et les autres signée).

 J’y avais attiré des collègues du GRIP (1) et nous y évoluions tous au milieu des autres comme des « instits normaux », appréciés par certains, parfois seulement pour certaines de nos interventions, rejetés par d’autres, mais apparemment acceptés dans notre différence.

Je me félicitais intérieurement d’avoir trouvé un lieu d’accueil aussi ouvert et tolérant que celui-là ! J’en allais même jusqu’à rêver que cela finirait aussi par atteindre la partie du forum consacrée à la maternelle où des amies non-SLECC et moi-même  avions hélas vu souvent nos messages ou même les fils de discussion que nous avions créés disparaître, comme touchés par le doigt d’un Dieu vengeur et omnipotent.

Après tout, un fil aussi politiquement incorrect que « L’apprentissage de la lecture au jour le jour par des méthodes graphémiques » avait bien fini par être accepté (ne le cherchez pas, il a été supprimé corps et bien, même pas verrouillé, purement et simplement supprimé) !

 Et il était fréquenté par toutes sortes de collègues ! Des « instructionnistes », des « pédagogistes », des « constructivistes », des « rien-du-toutistes-qui-privilégient-avant-tout-l’efficacité », de tout, je vous dis. Bien sûr, il avait fallu ruser un petit peu et repartir de rien à une ou deux reprises parce que le problème avec les « rien-du-toutistes », c’est qu’ils privilégient avant tout l’efficacité justement et sont assez déconcertants pour les intégristes purs et durs qui voudraient que tout le monde respecte le Dogme avec autant d’étroitesse d’esprit qu’eux.

Et c’est de là que le problème est venu. On nous avait laissé du bout des lèvres ouvrir des sujets évoquant des méthodes déviationnistes, d’accord. Seulement, ces sujets, alimentés par ces fameux rien-du-toutistes, avaient l’énorme désavantage d’être un peu foisonnants.

Ça bouillonnait là-bas dedans. Les idées se succédaient les unes après les autres, à la vitesse de la lumière certains jours ! Un vrai laboratoire d’idées où chacun construit ses propres savoirs et s’enrichit des savoirs des autres ! Une université populaire consacrée à l’apprentissage de l’écriture-lecture ! Un vrai bonheur !

 Mais un bonheur empoisonné, car, c’est bien connu, « les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux » !

Les interventions de certains habitués de ce fil, fréquenté sans doute par des esprits trop libres, des gens capables de choisir comme « signature » (vous savez, ces deux ou trois lignes qu’un forumeur choisit d’apposer en bas de chacun des messages qu’il mettra sur le site) la phrase de Voltaire disant « Je ne suis pas forcément d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire », se sont mises tout à coup à gêner.

 Deux membres furent « modérés », c’est-à-dire empêchés d’intervenir spontanément dans une conversation puisque leurs messages, contrairement à ceux des autres membres devaient passer sous les fourches caudines des modérateurs avant d’être publiés.

De ce fait, ils ne pouvaient même pas annoncer sur le forum qu’ils étaient modérés et que leurs non-interventions n’étaient pas de leur propre fait mais de celui de l’éternel doigt de Dieu !

 Comment vouliez-vous alors qu’une « personne bien née » telle que moi n’aille pas, sabre au clair et panache blanc au vent, défendre la veuve et l’orphelin ?

Je ne fus pas seule, d’ailleurs. Les deux « modérés » avaient su s’attirer les sympathies de collègues de tous les horizons, dont un certain nombre de Don Quichotte persuadés comme moi que le bon sens finirait bien par primer.

Les uns comme les autres, nous nous chargeâmes alors du rôle de « facteurs », écrivant sur chacun des sujets où les modérés intervenaient naguère qu’ils n’étaient plus en mesure, provisoirement nous l’espérions, de répondre aux conversations engagées.

 Cela n’eut pas l’heur de plaire au Webmestre qui nous demanda fermement d’arrêter de polluer le site par nos conversations oiseuses et hors-sujet. Nous nous défendîmes et d’autres vinrent en renfort prendre le parti de la liberté d’expression.

Il nous fut répondu que l’administrateur était maître chez lui, que ces personnes avaient mal fait, que leurs interventions contrevenaient gravement à la Charte et que nous devions cesser au plus vite nos agissements. Il y eut même quelques secondes où, sur le forum public, en contravention totale avec la loi « informatique et liberté », on pouvait lire des messages issus des messageries privées des deux membres modérés !

 L’affaire prenait une telle proportion que, en bloc,  nous avons décidé de « changer de crémerie », demandant l’accueil sur un autre forum, jusqu’alors plutôt fréquenté par des professeurs du Secondaire ou de l’Université. Nous y fûmes accueillis de manière charmante et nous y commençâmes une nouvelle vie.

 Et là, nous n’avons plus rien compris. Certains d’entre nous avaient déjà été modérés à la suite de nos revendications de réintégration des deux premiers désobéisseurs. Les autres continuaient à faire le relais, informant d’une part les membres de l’ancien forum que dorénavant nous interviendrions ailleurs et d’autre part les premiers « bannis » (puisque la modération s’était peu à peu transformée en bannissement) de l’évolution de la situation sur notre ancien « lieu de vie ».

 Que se passa-t-il alors ? Je suis bien en peine de vous le dire : mon mail privé est resté sans réponse et  mon deuxième et dernier contact de la part de l’administrateur est toujours enfermé dans ma messagerie personnelle à laquelle je n’ai plus accès puisque, lorsqu’on consulte la liste des membres, Akwabon apparaît comme un « ancien membre », donc comme quelqu’un n’existant plus et n’ayant plus, de ce fait, de messagerie privée ! Dieu s’est métamorphosé en Ubu !

Un Ubu mâtiné de Big Brother puisque, régulièrement, à chaque allusion d’un innocent qui s’interroge sur un sujet ou un autre de la disparition d’un message, d’un membre, d’un profil ou d’une messagerie, les archives sont alors immédiatement recomposées, réécrites, rapetassées…

 Cela donne d’ailleurs des fils de discussion complètement surréalistes où Ipomée discute longuement avec elle-même, les messages de ses interlocuteurs ayant été gommés, où Barbichette, Renoir, Désirdamour et Grosraton s’énervent tout seuls contre un interlocuteur qui n’existe plus, où un désobéisseur ouvre un sujet qui tient quelques minutes, montre en main, avant de disparaître (le désobéisseur disparaît alors lui aussi sans sommation ni avertissement de quelque nature que ce soit) !

 Notre matériel a disparu, nos collègues, nos amis parfois, ont été traînés dans la boue par d’autres collègues qui prônent sans doute bien fort la tolérance dans leurs classes.

Je me permets d’ailleurs de m’interroger sur la façon dont sont accueillis les enfants « différents » par des gens aussi peu capables d’ouverture et de tolérance, et je plains franchement le petit élève qui arrive dans leurs classes et ose proposer une idée qui n’est pas inscrite en lettres d’or dans la « Charte du Consensus Mou Universel » lors de l’atelier-philo qui remplace sans doute l’heure d’écriture-lecture dans leurs emplois du temps.

Puisqu’il nous a été interdit de nous défendre sur le forum incriminé, puisqu’il y circule, là et sur le blog de son administrateur (selon son message du 2 avril 2011 à 4 h 50), des informations sur nous que nous estimons erronées, puisqu’enfin, notre adhésion passée à ce forum pourrait faire croire à des lecteurs éventuels que nous partageons des « valeurs » et des méthodes qui nous font horreur, j’ai demandé à Jean-Paul, qui a accepté, de me servir de son blog pour exercer notre droit de réponse. Qu’il en soit remercié, de ma part et de la part de tous mes co-bannis !

Catherine Huby, dite Catmano, dite Akwabon.

 

(1) Le  GRIP élabore de nouveaux programmes d’instruction appliqués autant qu’il est possible dans les classes SLECC, le retour d’expérience permettant d’infléchir ou de corriger ces programmes. Plus de renseignements sur http://www.slecc.fr/. On y trouvera aussi bien le projet pédagogique que les publications du GRIP, en particulier des manuels et divers documents pédagogiques de grand intérêt, pour tous ceux qui se demandent comment amener réellement les enfants à la maîtrise des vrais fondamentaux sans s’embarrasser d’un quelconque discours égalitariste dont la caractéristique principale est de respecter… les inégalités. (JPB)