L’été est là — pas depuis très longtemps : là où je réside, c’est depuis vingt-quatre heures…
Le ministre de l’Education s’échine rue de Grenelle (il a la chance de ne pas se présenter aux législatives, le voici assuré de rester en place), et multiplie les déclarations plus ou moins opportunes — j’avoue avoir un peu de mal sur l’autorisation donnée aux mères de famille voilées d’encadrer des sorties scolaires… Ma tolérance s’arrête à la porte des intolérances d’autrui.

Passons donc à des choses plus frivoles : que lire cet été pour ne pas bronzer idiot, comme on disait jadis à Tabarka ?
Voici mes suggestions du moment — non pas en fonction de ce qui est aujourd’hui aux devantures des libraires (parce que nous craindrions le rationnement, voire la disette), mais selon mes lectures-loisir des derniers mois, des dernières années.
Le salaire des enseignants français étant encore le plus bas d’Europe, Italiens exceptés, et les autres blogueurs ici présents n’étant pas nécessairement plus fortunés, j’en reste à des choses accessibles en Poche.
Or donc, après un coup d’œil dans les strates géologiques récentes de ma bibliothèque, je retiens et suggère de (re)lire :

– Agotha Kristof, « le Gand cahier » — et la suite, « la Preuve » et « le troisième mensonge »… Sans doute la fable la plus étonnante sur l’Europe centrale de l’ère communiste… Et un style au scalpel.
– Tom Sharpe, « la Grande poursuite » : le plus hilarant des romans de l’invraisemblable auteur de la série des « Wilt »…
– Carlos Ruiz Zafon, « l’Ombre du vent » — un pur chef d’œuvre de littérature noire, dans la lignée hispanisante (pardon : catalanisante) du « Tableau du maître flamand », de Perez Riverte (incontournable, mais déjà lu et relu mille fois, j’imagine…)
– Jonathan Coe, « Testament à l’anglaise » : le plus grand roman politique (au sens où je l’entends) des vingt dernières années — mais d’aucuns rectifieront certainement ce jugement péremptoire avec des propositions auxquelles je n’ai pas songé.
– Arto Paasilinna, « la Forêt des renards pendus » : le meilleur, me semble-t-il, des romans si décalés de ce romancier finlandais (ou finnois ?) qui vient de faire irruption dans le Petit Larousse — gloire à celui qui l’y a fait entrer…
– Norman Maclean, « la Rivière du sixième jour » : un roman qui commence par : « Dans notre famille, nous ne faisions pas clairement le partage entre la religion et la pêche à la mouche », ne peut être tout à fait mauvais (pour les amateurs, c’est ce texte — récit unique d’un vieil enseignant américain — que Redford a adapté dans « Et au milieu coule une rivière »).
– David Lodge, « Jeu de société » — le dernier-lu de l’auteur d’« Un tout petit monde », ce roman si exclusivement universitaire où l’on apprenait que « tout décodage est un nouvel encodage » — de mouches, probablement…
– N’importe quoi d’Yôko Ogawa, par exemple « Parfum de glace » ou « Hôtel Iris » — ou l’un quelconque de ses recueils de nouvelles… Cette Japonaise est étincelante de cruauté à petits mots.
– Arnaldur Indridason (« la Femme en vert », par exemple, ou « la Cité des jarres »). Un romancier noir islandais, avec un héros désabusé, cabossé, flic fatigué, en proie à des problèmes familiaux excessifs (c’est le nouveau topos de la littérature policière), dans un pays de brumes et de cauchemars — plus fort, dans le même genre, que Hening Mankell, son homologue suédois…

Je m’avise que tout cela est un petit peu systématiquement étranger. Mais si rien n’a paru en français depuis l’étonnant « Waltenberg » d’Hedi Kaddour, ce n’est pas ma faute (cette dernière phrase pour rappeler aux uns et aux autres que s’ils ne l’ont plus en tête, ils peuvent toujours se mettre à la relecture des « Liaisons dangereuses »).

À vous désormais de compléter cette liste squelettique. J’attends vos suggestions tout aussi partisanes que les miennes — et si d’autres titres me reviennent en mémoire, je les ajouterai, l’air de rien, avec la mauvaise foi qui me caractérise…

Last but not least. Vous pouvez bien sûr bronzer tranquille en bouquinant. Vous pouvez aussi laisser votre progéniture passée ou à venir se souiller aux bactéries de la plage, et rester chez vous à écrire — tout manuscrit intéressant pourra être expédié dès aujourd’hui aux éditions Balland, 17 rue de Buci, 75006…
Tiens, je vais m’y (re)mettre, dès que la période des examens et concours sera finie…

Jean-Paul Brighelli

(1) Tout le monde aura remarqué que le titre de cette note correspond aux deux parties des « Mots » de l’inusable Sartre. Je viens de le relire, dans le cadre du programme des Prépas sur « Puissances de l’imagination », et franchement, quarante et quelques années plus tard, ça tient remarquablement le coup. Pour mémoire, cette phrase lapidaire de la première partie : « Etait-ce lire ? Non, c’était mourir d’extase ». C’est cela que nous devons faire passer en classe — la tentation de l’extase.