Ai-je dit « enfantines » ?

« A la hauteur du petit chemin qui part du Chaâba pour rejoindre le boulevard, trois putains travaillent à l’abri des platanes. Elles attendent là des journées entières, debout sur le trottoir, vêtues de shorts ou de minijupes qui découvrent des jambes interminables, gantées de soie.

[…] Sur le trottoir, le commerce du bonheur éphémère va bon train. Deux putes travaillent à l’intérieur des voitures, tandis que les mâles qui attendent leur tour trépignent d’impatience dans leur véhicule.

[…]Pince-moi, s’écrie Saïda, tout heureuse.
Je la pince sur les fesses. (Elle veut partir.)
– Non, attends, regarde. T’as déjà vu une zénana coupée ? Tu veux voir la mienne ?
– Non, c’est dégueulasse.
Après avoir défait ma braguette, je sors mon outil et le dévoile sous toutes ses coutures.
– T’as vu qu’c’est pas sale ?
– Ouis, j’ai vu.
– Et si on s’enculait comme les grands ?
– D’accord, mais si ma mère nous voit ?
Je la rassure :
– Elle n’est pas là, ta mère. Enlève ta culotte.
Après quelques secondes d’hésitation, elle s’exécute.
Je m’approche d’elle, ma zénana entre les doigts. Saïda s’assied sur les fesses, entr’ouvre ses jambes pour m’offrir son intimité.Je dépose délicatement mon marteau sur son enclume et j’attends que les choses se fassent.
– Alors, qu’est-ce qu’il faut faire?
– Rien, on s’encule, et c’est tout.
Hacène intervient après avoir sagement suivi la leçon.
– Moi aussi, j’veux enculer !
Il dégaine à son tour et m’imite.
Au bout d’un instant, content d’avoir lui aussi enculé, Hacène remonte son pantalon.
(La mère de Saïda l’appelle.)
La fille crie aussitôt :
– C’est ma mère!
Elle enfile sa culotte, et supplie une ultime fois :
– Vous rapporterez rien, hein !
– Non, non, n’aie pas peur…dis-je en même temps qu’ Hacène.
Dès le lendemain, tous les gones du Chaâba savaient que Saïda s’était fait enculer. »

Tout le monde a reconnu le Gône du Chaaba, l’immortel livre pour enfants qui a valu à Azouz Begag une immense réputation lyonnaise et un poste de ministre… C’est une lecture que le libraire d’une amie enseignante conseille en Troisième — « ou en Seconde si les élèves ne sont pas assez mûrs ». Bientôt Faiza Guene, dont je ne saurais trop recommander la verve quasi bégaudienne (Kiffe kiffe demain ou Du rêve pour les oufs — les grands succès actuels de Hachette Littérature…).

Les programmes officiels — consultables, pour le collège, sur

– http://www.cndp.fr/textes_officiels/college/programmes/bacc_6/fran_6.pdf
– http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/lettres/Inspection/Annexes/acc6_cc_Litt_jeunesse.htm
– http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/Lettres/Inspection/FrTroisieme/Analytique/Lectures_3e.htm

mélangent allègrement des textes tout à fait recommandables, les « classiques » de la littérature de jeunesse, de tous temps et de tous pays, et des productions plus récentes — plus « abordables », sans doute —, dont font partie, pour une classe ou une autre, les œuvres complètes d’Azouz Begag et de ses émules.
Bientôt Entre les murs, ce néo-classique écrit l’année dernière par François Bégaudeau, entièrement rédigé dans la langue si explicite du XIXe arrondissement de Paris…

Comprenons-nous bien : je ne suis pas bégueule, la situation décrite par Azouz Begag pourrait paraître drôle, avec beaucoup d’indulgence, tout Classique a été un jour un Moderne, et j’aime beaucoup San-Antonio — un autre auteur lyonnais, mais un grand, lui…
Etc.
Mais il y a des priorités. Des urgences.
L’urgence, c’est aujourd’hui d’apprendre aux enfants, aux adolescents, la langue et la culture françaises — celles qui lui permettront de communiquer avec ses enseignants, avec ses futurs employeurs, avec des étudiants européens de passage en France et sidérés de se trouver plus cultivés que le petit Français moyen — pour ne pas parler de ceux qui ont tiré le gros lot, une inscription automatique en Zone d’Exclusion Programmée. Les programmes pèchent par excès d’optimisme (« les enseignants feront le tri »), et par excès d’ambition (« lire tout et n’importe quoi »). On aurait bien plutôt intérêt à se recentrer sur quelques titres par niveau, quelques outils indispensables pour aller plus loin. Que l’on fasse des coups d’édition avec des sous-produits culturels, que l’on monte en épingle une adolescente délurée, que l’on donne en exemple la vulgarité rebaptisée « contre-culture », soit — la société du spectacle en a fait bien d’autres, et en digèrera bien d’autres. Mais que des enseignants soient à ce point esclaves des médias, et pensent que se complaire dans la langue de la rue plaira aux Pédagogues et à leurs épigones, non ! Trois fois non !
C’est aux parents aussi de vérifier ce qui se fait en classe. La plupart des instituteurs et des professeurs font de leur mieux pour transmettre une langue et une culture. Alors qu’on met en avant quelques illuminés auto-proclamés avant-gardistes, qu’on encense ce que la littérature contemporaine fabrique de plus bas, qu’on donne des tribunes à des auteurs dont les œuvres pourraient, au mieux, pallier une pénurie de papier-toilette — surtout dans des écoles et des collèges qui en manquent chroniquement.
Parents, enseignants, refusez la démagogie du n’importe quoi ! Pensez que ce que des enfants lisent à six ans comme à seize restera longtemps gravé dans leurs mémoires. Voulez-vous vraiment qu’ils se répètent, des années durant : « Tous les gones du Chaâba savaient que Saïda s’était fait enculer » ?
Et je passe — je ne devrais pas, d’ailleurs — sur ce que de tels textes transbahutent de « valeurs » machistes et anti-féministes. Et ce sont les partisans de la « citoyenneté » et de l’Instruction civique qui les recommandent ? Allons donc !

Que pensent les divers présidentiables de telles dérives ? Ce que Nicolas Sarkozy pense d’Azouz Begag n’est pas imprimable — et réciproquement, autant que je sache… Mais la Sainte Vierge qui produisit jadis une circulaire si virulente sur la pédophilie sait-elle ce que ses amis pédagogues, le roitelet lillois de la commission Education du PS, et l’autre grand manitou lyonnais qui a voulu les IUFM, aiment cette sous-littérature du n’importe quoi — n’importe quoi pourvu que ce ne soit pas de la littérature !
Mais j’oublie que dans les établissements où les futurs candidats ont envoyé leurs enfants, l’Ecole Alsacienne ou Jeanson-de-Sailly, on n’étudie pas la langue du cloaque. C’est réservé à l’autre côté du périphérique. C’est la littérature pour les pauvres.
J’ai dans l’idée que les pauvres en ont marre, d’étudier de la merde.

Jean-Paul Brighelli

PS. Merci à A-M. V.