Les mauvaises idées sont insubmersibles — c’est même à cela qu’on les reconnaît.

Un arrêté de 2001 — sous Lang — permet virtuellement de ramener le Bac Pro de quatre à trois ans, à titre expérimental. Diverses « expérimentations » sont donc lancées, en 2004, et l’Inspection générale, peu suspecte en général de vouloir à toute force déplaire, mais dont la probité professionnelle n’est pas niable, rend en septembre 2005 un rapport accablant : « Au motif d’économies immédiates apparentes (gain de moyens d’enseignement de 25%), ces dernières pratiques sont de loin les plus pénalisantes. En effet, elles négligent les publics relevant d’un parcours ordinaire en quatre ans (BEP + Bac Pro) qui sont les plus nombreux et qui sont ainsi obligés d’aller chercher ailleurs leur formation. »
Explication de texte : l’enseignement technique fonctionne par cycles de deux ans (CAP -> BEP -> Bac Pro). À chaque étape, un certain nombre d’élèves s’orientent effectivement vers la vie active — mais majoritairement, ils vont le plus haut possible : le Bac Pro est donc l’espoir d’une grande majorité d’entre eux.
Pour quelle finalité ? Si CAP et BEP sont reconnus par les conventions collectives, il n’en est pas de même du Bac Pro, qui n’a d’autre valeur (théorique) que d’ouvrir vers l’enseignement supérieur.
Et tout est là. Lorsqu’on a créé les Bac Pro (sous Chevènement), le ministre voulait que ce soit un diplôme « de niveau Bac ». Il s’est laissé embobiner par des idéologues fumeux qui ont voulu le persuader que là encore, appellation oblige, ce « Bac » devait ouvrir automatiquement les portes de l’enseignement supérieur. Et qu’en est-il ? 97% des bacheliers « pro » passés dans le Supérieur échouent en première année (contre 50% en moyenne nationale pour l’ensemble des Bacs). C’est dire que le niveau atteint en Bac Pro 2, particulièrement dans les « matières générales », ne satisfait guère les exigences des formations supérieures. À commencer par les BTS, qui devraient être la filière « naturelle » des Bac Pro, et qui, au grand dam du ministère, recrutent pourtant au goutte-à-goutte les lycéens des LP, préférant de beaucoup (à part peut-être dans les sections industrielles — et encore…) les lycéens des Bacs généraux.
Et on voudrait nous faire croire que ce qui ne se fait pas en quatre ans pourrait se faire en trois ?

La cause première et dernière de l’hypothèse « trois ans », c’est d’économiser des postes (20 à 25 %, calculent les syndicats — tous les syndicats), et de reverser ces enseignants PLP en collège, pour éponger sans créer davantage de Certifiés, le choc du baby-boom de l’an 2000 (qui a commencé en fait en 1998, d’où l’urgence).
Comme si une réflexion un peu poussée sur ce qui s’enseigne en Collège ne pouvait suffire à amortir au moins le premier choc démographique…
À ce jour, j’attends encore que l’on me présente un enseignant de LP désireux d’aller enseigner en Sixième. D’autant que le PLP est un concours bivalent — pratiquement, un étudiant qui a fait ses études dans une matière (mettons «Lettres) passe en Lettres / Histoire — et passe, comme me dit l’un d’eux interviewé récemment, « sur ses souvenirs de lycée » : quel « historien » de formation a vraiment envie de faire de la grammaire française en Sixième ? Le ministère prétend-il réinventer l’expérience peu encourageante des PEGC ?
Sans compter que cette formation semble décourager une masse considérable d’élèves de poursuivre des études, pour lesquelles ils se sentent encore moins bien préparés qu’en quatre ans — d’où la sonnette d’alarme agitée par l’Inspection générale.

De surcroît, cette idée mirobolante, que le ministère a ramassée dans les cartons de Robien qui lui-même l’avait trouvée dans ceux de Fillon qui en héritait de Ferry et de Lang, va mettre dans la rue (si, si, je n’exagère pas — seul le pire est sûr) les enseignants unanimes de LP, tous syndicats confondus, et leurs élèves, charmants bambins à qui on ne peut pas demander la même modération dans les manifestations qu’à leurs homologues de lycées classiques. Le ministère, qui avait finement joué la désunion syndicale, en mettant le qualitatif en avant au détriment du quantitatif, a toutes les malchances de se retrouver avec un mouvement d’ensemble, qui pourrait bien cristalliser les mécontentements diffus de ceux qui attendent beaucoup et qui ne voient pas tout venir tout de suite. En désespérant Billancourt, on prend le risque de désespérer Neuilly — et les autres.
Le ministère prévoit d’ores et déjà une application de 10 à 50% dans les LP à la rentrée 2008, selon que l’on est en « Métiers du bois » ou en « Comptabilité ». C’est mettre inutilement le feu aux poudres et 600 000 élèves dans la rue. C’est inutilement créer les conditions objectives d’une levée de boucliers syndicaux, comme il n’y en a pas eu depuis les protestations sur les « décrets de 1950 » — une réforme que Darcos a eu la sagesse de passer à la trappe. Aujourd’hui, du SNETAA au SNFOLC en passant par le SNALC, aucun syndicat n’est favorable à la réforme. Ils l’ont dit, ils le répètent — saura-t-on les entendre ?

Que faire ?
Il y a deux problèmes objectifs. L’un est le manque de considération patronale pour le Bac Pro. L’autre, le faible niveau des lycéens des Lycées professionnels en phase terminale, si je puis ainsi m’exprimer.
Alors, pourquoi ne pas monter une sorte de « BEP Sup », en trois ans — un super-diplôme professionnel destiné à celles et ceux qui veulent entrer plus rapidement dans la vie active avec un bagage technique réel — et reconnu comme tel par les entreprises, qui sur cette base pourraient bien plus aisément être associées à la formation ? Et, en aval, réserver une quatrième année aux lycéens décidés à se lancer dans le Supérieur — une sorte de propédeutique qui mettrait le paquet sur les matières générales, aurait effectivement rang de Bac — et le mériterait ? Cela permettrait sans doute de dégraisser en partie les LP, en dégageant vers la vie active ceux qui le souhaitent — et qui, actuellement, redoutent surtout les cours de matières générales, où le faible niveau acquis en Collège éclate tout particulièrement. J’ai chaque année en BTS d’excellents élèves issus du Bac Pro qui rament comme des damnés pour rattraper le niveau — alors même qu’ils sont tout à fait compétents dans les domaines techniques. C’est cela qu’il faut traiter en priorité — quitte à sélectionner (ciel, un gros mot !) en amont les volontaires, et à les préparer réellement à une formation (les BTS) particulièrement appréciée par les chefs d’entreprise.
L’idée d’une propédeutique généralisée fait de toute façon son chemin. Nombre de facs ont inventé dans leur cursus une « année zéro » de remise à niveau (Orsay, par exemple). C’est faire de l’élitisme intelligent — et plus rentable, à moyen ou long terme, qu’un envoi massif sur le marché du travail de gosses mal dégrossis. Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que de renoncer à appliquer tout de suite une mauvaise idée : autant prendre le temps de la concertation — il vaut mieux réfléchir à plusieurs que se tromper tout seul.

Jean-Paul Brighelli