Une « honorable correspondante » installée aux Etats-Unis m’a fait parvenir un résumé de cette pédagogie à l’américaine qui a si fort inspiré les pédagogues français — qui n’ont effectivement de français que les appâts rances, comme disait jadis Bérurier… D’où peut-etre cette obstination à promouvoiir ces « cultures plurielles » qui, en mélangeant tout, permettent de plafonner le la culture de la République — et, à terme, la République.

Je livre cette note à l’attention des blogueurs de passage. J’attire leur attention sur l’existence de contre-pouvoirs, aux Etats-Unis, qui ont permis de résister localement aux déferlantes de « nouvelle pédagogie », et au poids du privé qui se plie globalement aux desiderata des parents — ce qui présente d’ailleurs, sur certains points, bien des dangers…
Bref, le système américain était à même de digérer les lubies pédagogistes — et je rappelle qu’il l’a fait : ce qui est évoqué ici est de l’histoire, — un anglicisme qu’on me pardonnera pour dire que c’en est aujourd’hui fini de ces belles théories fracassantes : il est essentiel que chaque pays (regardez donc les Scandinaves, qu’on ne cesse de nous donner en exemple) comprenne qu’on n’emprunte pas un système éducatif clés en main, et qu’il est de notre devoir de réinventer une Education qui colle au plus près du génie national, et de nos institutions.
Sur ce, je laisse la parole à Danièle S.

« L’histoire de l’éducation, hors de l’hexagone, fait état d’un ensemble de théories fumeuses qui ont porté les pseudo « sciences de l’éducation » sur les fonds baptismaux, outre-Atlantique, il y a plus de cent ans. La Progressive Education qu’elles ont enfantée y commença ses ravages dans l’entre-deux guerres. La France, (comme la Suisse, et en fait toute l’Europe occidentale à l’exception de la Scandinavie) a cinquante ans de retard, mais elle a mis les bouchées doubles. Elle n’a pas non plus de secteur vraiment privé, ce qui aux Etats-Unis a un peu minimisé les dégâts, notamment grâce aux écoles catholiques très peu chères et un système de bourses très répandu. Mais l’école publique a connu le même désastre que chez nous. Lilane Lurçat (voir http://www.sauv.net/lurcat1.htm) est l’un des rares auteurs français à avoir analysé cette similitude dans « La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs » (1889).

Parmi les gourous-fondateurs de la Progressive Ed, ces ancêtres de nos Diafoirus pédagogistes, voici par exemple G. Stanley Hall, né en 1846 au Massachusetts, et qui aimait un peu trop les éphèbes, ce qui lui valut quelques bricoles… Il fut le premier Américain auquel Harvard décerna un doctorat en psychologie, en 1878 et un pionnier de la psychologie génétique, celle-là même qui sera promise à un bel avenir en URSS (Langevin et Wallon le portaient aux nues). Sa philosophie de l’éducation est un mélange de rousseauisme et de darwinisme et repose sur l’apologie de l’ignorance et de l’illettrisme, et sur la diabolisation de l’instruction : « We must overcome the fetichism of the alphabet, of the multiplication table, of grammars, of scales, and of bibliolatry » proclamait-il, la redondance ne l’effrayant point. L’école avait pour mission première d’exaucer les desiderata des enfants : « What children love to do, are curious to know and the things they most want ». Il eut pour disciple un certain…John Dewey et William Heard Kilpatrick, professeur de mathématiques au Teacher’s College de Columbia, où l’on professait une foi indéfectible dans les vertus insurpassables du puérocentrisme. ( child-centered education). Les premiers défenseurs de la Progressive Education étaient des pacifistes post14-18, admirateurs de la révolution russe et du Grand soir, défenseurs du prolétariat et de la lutte des classes, bourgeoisophobes et membres d’un mouvement « anti-intellectualiste »,
Les critiques à l’encontre de ces théories ineptes ne tardèrent pas et William Bagley fut le premier à mettre en cause la validité des analyses « scientifiques » et de la « recherche » sur lesquelles reposaient leurs affirmations péremptoires. « The evidence for these sweeping indictements has, so far as I know, never been presented, disait-il en 1914… et Alain en dira autant vingt ans plus tard dans ses Propos sur l’éducation, et Arendt en 1953, dans The Crisis of Education.
Bagley adjurait ses contemporains de sauver les apprentissages de la destruction par les membres de cette nouvelle secte, et ce pauvre élève si malmené, sous prétexte de faire son bien, il voulait « rid his mind of superstition and error, and energy-destroying forces that reduce strong men to the helplesness of infancy ». Ce langage, Condorcet ne l’aurait pas renié, — mais peut-être Bagley l’avait-il lu ?
Il ne fut pas écouté car la nouvelle idéologie (Thoughtworld ou pensée unique) avait déjà investi les bastions de l’éducation américaine, par le biais du Teachers’ Collège et d’autres institutions similaires à travers le pays, d’où essaimeront pendant plusieurs décennies les armées de pédagogues en chef des School Boards, réformateurs de programmes, et enseignants, tous bien intentionnés, pétris de bonne conscience, et tous persuadés que l’égalitarisme est la panacée de la démocratisation de et par l’école. Pour la suite se reporter à la version française, cinquante an plus tard, les même causes produisent les mêmes effets.
Un système scolaire qui était en 1880 le plus performant au monde, (avec celui de ces Allemands dont ils s’étaient considérablement inspirés et qui nous avaient flanqué la pâtée à Sedan car leurs soldats savaient lire et pas les nôtres — un constat qui ne fut pas pour rien dans la déccision de la IIIe République d’universaliser l’Instruction obligatoire) et notamment grâce à un certain Horace Mann (leur Jules Ferry), bref ce système s’est effondré en l’espace de quelques années , avec un petit sursaut entre 1945 et 1960 : mais dès le milieu des années soixante, l’idéologie progressive est repartie de plus belle, et pendant 20 ans.
Jusqu’au rapport alarmiste commandé par Reagan : « A nation at risk ».
Seulement c’est beaucoup plus facile de descendre la pente que de la remonter. Et les universités avaient quand même pris le relais pour combler les abysses d’ignorance des élèves des highschools. Et l’Amérique est un pays ultra décentralisé, cela n’avait pas empêché la catastrophe mais ça aide quand on veut ne pas faire comme le voisin. Certains état s’en sortent plus vite que d’autres et savez-vous d’où vient la résistance, et pourquoi c’est si dur de remonter la pente ? Il y bien sûr nombre de raisons — par exemple le fait que leurs syndicats sont au moins aussi puissants que les nôtres…

A lire pour creuser la question : Diane Ravitch : Left Back, a Century of Battles over School Reform, ED Hirsh « The Schools We Need and Why We Don’t Have Them, et des centaines d’autres ( comme Dumbing Down Our Kids, qui rappelle le « Crétin ») Il y a une version US de nos Maschino, Milner, Boutonnet, Brighelli and Co…
Et ils ont une palanquée de Meirieu, et comme leur dieu c’est Bourdieu ( sans parler des autres French theorists, Derrida, Foucault, etc….) Ils ne sont pas sortis de l’auberge. »

Danièle S.
JP Brighelli