Marronnier de printemps : le ministère vient de publier son palmarès des lycées français — tout en disant, selon un procédé bureaucratique bien connu appelé hypocrisie, qu’il ne s’agit en rien d’un classement, mais de simples « indicateurs de résultats »(1).

Cela intéresse principalement, en cette période de choix décisifs pour inscrire le petit de Troisième, les urbains et les périphériques : en campagne, quand on n’a le choix qu’entre un seul lycée, si je puis dire, on ne fait pas la fine bouche.

Curieux classement, qui pour ne pas désespérer Billancourt, comme on disait à l’époque où c’étaient encore des classes populaires qui habitaient entre Marcel Sembat et la route de la Reine, a choisi d’exalter les établissements guyanais, réputés les meilleurs de France, ou tel lycée de Seine Saint-Denis, dont on s’étonne après qu’il ne fasse pas l’unanimité des parents.

Deux critères pour parvenir à une évaluation : les résultats au Bac et la « valeur ajoutée » que représenterait l’écart entre les performances attendues en fonction du milieu social et celles finalement réalisées. En d’autres termes, une fatalité sociologique pèserait sur la tête des pauvres gosses qui marinent dans des zones abandonnées des Dieux et des édiles : ils sont, génétiquement sans doute, en difficulté scolaire — et le lycée qui les transporte jusqu’au nirvana du Bachot a d’autant plus de mérite…

Voyons voir…

Le Bac n’est plus, depuis vilaine lurette, un étalon du niveau. Une preuve parmi d’autres : je participe en ce moment au tri des candidatures sur les prépas du lycée Thiers, et comme partout, nous nous appuyons sur les bulletins des deux premiers trimestres (et éventuellement sur ceux de Première). Pas sur l’obtention du bac, qui va de soi : dans un système où l’année dernière, la moyenne nationale s’est élevée à plus de 86%, le Bac est ce que l’on appelle une formalité. Seule l’hystérie familiale (en fait, le décalage entre le Bac qu’ont connu les parents, et ce qu’il est devenu — même nom de famille, mais branche dégénérée) explique le stress des élèves, sidérés pour la plupart par l’extrême facilité des épreuves.

Quant au « critère social », il est de toute évidence une monstruosité. Ou alors, il dit sur le système, à mi-voix, des inconvenances qu’il est de bon goût de taire. Il dit que les écoles primaires et les collèges (uniques, oh combien ! — sociologiquement purs…) des ghettos sociaux constituent des ghettos scolaires dont on ne sort pas par le haut. Dont on ne sort pas du tout.

Ou alors, dans quel état…

Il n’y a pas de profil sociologique de l’intelligence et de la réussite scolaire. On peut être fils de bourgeois et cancre, fille de prolo et brillante. Après bientôt quarante ans de pratique, je suis même convaincu qu’il en est des hommes comme des chevaux : la proportion de cracks est la même, qu’il s’agisse de yearlings soigneusement sélectionnés ou de « sans-papiers » — et l’expression fait diablement métaphore.

En revanche… Il est une réalité brute : ces pauvres gosses élevés dans des milieux culturellement peu favorables n’ont qu’une voie de réussite, l’Ecole. Et cette Ecole, on la leur bousille précocement. On prétend, dès le Primaire, respecter leur culture — alors qu’on choisit de ne pas traiter leur acculturation. On proteste contre ce qui, dans les programmes, pourrait leur donner une chance de parler la langue de Descartes, au lieu de bafouiller celle de Section d’assaut. On les met au centre du système, alors même qu’on sait, vingt ans après la loi Jospin, qu’on les en éloigne ainsi durablement : la « reproduction » bourdieusienne s’est nourrie et sur-nourrie des bonnes intentions des pédagos. 15% d’enfants de milieu modeste dans les Grandes écoles dans les années 60-70, 5% aujourd’hui. La démocratisation est en train de tuer la République : demain le règne du piston, la transmission familiale des places (on y est presque, à l’ENA et ailleurs), la sélection par « entretien » — parlez-vous ou non notre langage ?

Quant au collège… Chose, étrange, il n’y a pas de classement officiel des collèges — sur les résultats du Brevet, peut-être ? Mais ces résultats friseront les 100% grâce aux propositions de la commission Grosperrin, comme nous l’avons vu (2). Alors ?

 

Malheureusement, le média le plus sûr, pour évaluer les lycées, reste le bouche à oreille. Les familles informées (pas les autres, malheureusement — et le système à deux vitesses accroît ainsi chaque jour ses différences) savent bien que sur Paris et sa région, ce sont les grands lycées parisiens les meilleurs, pas les lycées périphériques — Lakanal, Saint_Germain-en-Laye ou Hoche exceptés. Le vrai critère, c’est ce que deviennent les élèves à la sortie du lycée — il faudrait garder une trace sur deux ou trois ans, savoir combien entrent en prépas, en IUT, en BTS, et en sortent avec succès, combien réussissent en fac, et dans quels cursus, combien s’étalent en première année, combien entrent directement dans le travail ou le chômage. L’autre critère, c’est ce qu’ils étaient, scolairement parlant, à l’entrée en Seconde (et l’obtention du Brevet n’est pas un critère…), et comment ils ont évolué — il y a parfois plus de mérite à faire passer un élève de A à B que de Y à Z.

Les évaluations du ministère, qui mettent en tête pour l’essentiel des établissements privés, sont encore faussées par le manque de transparence des conditions d’admission. Le lycée du Buc, par exemple, régi par un statut franco-allemand dérogatoire, fait passer des examens d’entrée en CM2, en Sixième et en Seconde. Figurez-vous qu’il figure en bonne place dans les classements sérieux. Quant à Henri IV ou Louis-le-Grand, ils ont échafaudé leurs propres critères pour accepter les élèves en Seconde — et ce ne sont pas les critères du lycée Charlemagne ou d’Honoré de Balzac.

Le problème du bouche à oreille, c’est qu’il est toujours en retard sur l’évolution de l’établissement — dans un sens ou un autre. On peut ainsi mépriser un établissement qui a fait des efforts considérables pour se sortir de la zone d’ombre — c’est apparemment le cas de mon ancien lycée des Tarterêts, Robert Doisneau (3) —, ou surévaluer une boîte privée dont le seul mérite est la sélection par l’argent et le tout petit nombre d’élèves auxquels on offre (à nos frais) des moyens bien plus considérables que ceux du public.

Il faudrait surtout, avant de choisir, connaître très finement son enfant — savoir s’il est doué pour les contraintes parfois saignantes des établissements les plus concurrentiels (ceux qui, comme Henri IV, demandent aux petits de Seconde vers quelle prépa ils comptent aller), ou s’il s’épanouira davantage dans un établissement qui lui laissera plus ou moins la bride sur le cou. Il faudrait tout savoir des équipes en place, de leur pérennité, si essentielle à la bonne marche d’un établissement. Et rencontrer le chef d’établissement, dont il s’avère de plus en plus, dans le cadre de l’autonomie, qu’il joue un rôle-clé dans l’ambiance, la discipline, la bonne marche ou le laisser-aller.

Et in fine, ce qui compte, c’est la pédagogie. La transmission, et la volonté de faire arriver chacun au plus haut de ses capacités. Et rien d’autre.

En attendant que le ministère affine ses critères, nous voici réduits à répéter ce que confiait jeudi dernier Nathalie Bulle (4) à Natacha Polony, dans le Figaro : l’angoisse des parents n’est que le résultat de l’hétérogénéité croissante des établissements, entretenue par l’écart sans cesse grandissant entre une politique ministérielle démissionnaire, et des initiatives locales, heureuses ou malheureuses, qui selon les lieux corrigent ou aggravent les « critères sociaux ».

 

Jean-Paul Brighelli

 

(1)http://www.education.gouv.fr/cid3014/indicateurs-de-resultats-des-lycees.html

(2) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2010/04/03/les-casseurs-de-thermometres.html

(3) http://info.francetelevisions.fr/video-info/index-fr.php?id-video=manuel_avdj_20100415_16042010084605_F2&autresvideos=categorie&id-categorie=EMISSIONS_A_VOUS_DE_JUGER

(4) Voir http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/04/05/un-livre-indispensable.html