Dans cette histoire de mastérisation, quelque chose m’échappe. Et, visiblement, échappe aussi au ministère, tout étonné de la résistance à son décret, et au refus de la quasi-totalité des universités de faire remonter, avant la date butoir du 15 février, les maquettes requises de ces « master pro ». Tout confus aussi d’avoir ainsi fourni aux enseignants et aux étudiants un excellent prétexte à l’unanimité dans la protestation.

    Tout cela au moment où Valérie Pécresse, avec une absence sidérante de psychologie, sort de sa poche un décret sur les enseignants-chercheurs qui ne pouvait manquer d’attiser le mécontentement latent — qui monte, qui monte… La mastérisation potentialise un mouvement qu’on aurait pu, avec un peu de mauvaise foi, faire passer pour une protestation corporatiste. Et voici, grâce à la mastérisation, les enseignants promus défenseurs des étudiants, qui vont faire chorus. Carton plein.

    Une conseillère à la Cour des Comptes, Claire Bazy-Malaurie, est aujourd’hui chargée d’aménager ledit décret. Les syndicats, qui sentent le bon bout et l’odeur de la poudre, refusent de la rencontrer — « pourquoi une médiatrice, et pourquoi pas la ministre elle-même ? » disent-ils au soir d’une manifestation réussie. La situation se bloque. Les députés ovationnent Pécresse. Ça va finir par se jouer dans la rue.

    Foutoir et foutaises. « C’est déjà l’odeur de 68 que l’on renifle dans les universités », disait hier Axel Kahn. « Ça démarre doucement, puis ça monte… »

    Suggérer que les concours de recrutement se passent désormais au niveau Master, pourquoi pas ? La valeur marchande de la Licence, qui était jusque là le diplôme requis, a tellement baissé, ces dernières années, du fait de cette « inflation scolaire » dont parle si bien Marie Duru-Bellat (1), qu’il est nécessaire à la fois d’entériner cette dévaluation et de revaloriser le cursus. Lorsqu’un conseiller du ministre, tongue in cheek comme on dit outre-Manche, a déclaré en juin dernier aux membres (inquiets) du jury du CAPES d’Histoire-Géographie que les candidats avaient déjà été testés sur leurs aptitudes disciplinaires, puisqu’ils avaient une Licence, c’était de l’humour à froid. Il sait bien, comme nous tous, que nombre de Licenciés ne le sont que parce que les facs veulent garder quelques étudiants en quatrième année — et les subventions qui vont avec. Déjà qu’ils en perdent 50% dès la fin de la première année, grâce au décalage violent entre le niveau requis et celui des néo-titulaires d’un Bac qui ne vaut plus tripette…

    La préparation, en quatrième année, d’épreuves sérieuses était tout de même une (petite) garantie que les postulants aux concours de recrutement maîtriseraient au moins une partie de ce qu’il est nécessaire de connaître pour être prof — nous savons tous que Pédagogie sans Savoir, c’est lettre morte et emplâtre sur jambe coupée.

    Mais voilà : les « Master pro » sont, d’un côté, la roue de secours des pédagos, un instant malmenés par l’intégration / dissolution des IUFM dans les universités, et, d’un autre côté, généreront des « reçus-collés », comme l’analysait dès le mois d’octobre notre ami Pedro Cordoba, qui fourniront aux Recteurs, toujours en quête de bouche-trous, un volant d’auxiliaires taillables et corvéables à merci.

    Tout cela n’est pas bien sérieux. Que vont devenir les étudiants qui n’entreront pas dans ces Masters ? Qu’apprendront-ils, si ces Masters sont principalement dirigés, comme il en a été tout de suite question, par des spécialistes des pseudo-sciences de l’Education ?

    Il est de toute urgence de décréter, comme le Ministère en avait d’abord eu l’intention (faut-il que le lobby pédago soit puissant, rue de Grenelle !) que tout master permettra l’inscription aux concours — comme aujourd’hui toute Licence. Cela permettra de conserver les filières actuelles, sans avoir besoin de construire un nouveau tuyau dans l’usine à gaz. De conserver aux enseignants des disciplines la maîtrise de leur discipline. Et d’autoriser les étudiants à se consacrer à la spécialité pour laquelle ils sont entrés en fac, souvent sans trop savoir où elle les mènerait, et qui se tournent vers les métiers de l’enseignement après avoir découvert ce qu’il en était vraiment des Lettres ou des Mathématiques — ce n’est pas en collège ou en lycée qu’ils pouvaient en avoir une idée !

    Il ne restera plus qu’à redéfinir les stages des futurs enseignants. Je suggère très fort au ministre, comme je l’ai déjà fait dans Fin de récré, ‘en revenir au système qui l’a fait lui-même prof : la résurrection des défunts CPR, sacrifiés sur l’autel des sciences de l’Education. C’est dans une combinaison d’artisanat et de compagnonnage qu’on peut au mieux apprendre les rudiments d’un métier difficile, qu’on ne maîtrise jamais à fond  et certainement pas en suivant, hors les murs des lycées ou des collèges, les cours de gens qui se sont spécialisés en Pédagogie de façon à ne plus être devant de vrais élèves.

    Quant à la situation des enseignants-chercheurs… Un décret général jette les bébés (les vrais chercheurs) avec l’eau sale. Et bousille la Recherche, aujourd’hui en danger, sans pour autant relancer l’acquisition des savoirs fondamentaux. Peut-être faut-il laisser jouer à plein les possibilités d’autonomie de la loi LRU : quand chaque fac aura défini son rapport recherche / enseignement, il se dégagera forcément, à terme, une capacité différentielle des universités que les futurs étudiants apprécieront avant de s’y inscrire, et en toute connaissance de cause.

Jean-Paul Brighelli

 

(1) Marie Duru-Bellat, l’Inflation scolaire, Seuil, 2006. Le sous-titre (« les désillusions de la méritocratie ») marque assez l’appartenance de l’auteur au clan pédagogiste. Mais les faits sont incontournables. Plutôt que de gloser sans effet sur la « baisse de niveau », que les imbéciles contesteront toujours, autant apprécier la valeur marchande des diplômes (en régime libéral, autant parler la langue dominante). Avec le Brevet, en 1965, on pouvait entrer dans une Ecole Normal qui, en trois ans, vous amenait au Bac et au diplôme d’Instituteur. Avec le Bac, dans les années 1980, on accédait directement à une foule d’emplois qui requièrent aujourd’hui la Licence — qui est, depuis quelques années, le minimum requis pour entrer dans un IUFM afin de s’y préparer à la profession… d’instituteur (pardon : professeur des écoles). En quarante ans, le prix d’une partie de flipper est passé de vingt centimes (de franc) à un euro (et de cinq boules à trois : calamitas !). Et les connaissances requises, maîtrisés jadis au niveau du Bac, sont désormais reportées au niveau Master. C’ets un fait, pas une interprétation partisane. Quant à ceux qui prétendent que les professeurs des écoles d’aujourd’hui en savent plus que les instits d’autrefois, que leur mauvaise foi les étouffe !