La licence nouvelle est annoncée par Valérie Pécresse : une première année « fondamentale » qui ressemblerait (un peu) à ce qu’étaient les anciennes « propédeutiques » — en fait, une mise à niveau des ces néo-bacheliers tout fiers ‘avoir entre les mains un diplôme sans v&leur et pas grand-chose dans la tête. Cela afin de diminuer (« de 50% », dit la ministre) le taux d’échec en première année (aujourd’hui 52%, toutes filières confondues, mais avec des variables significatives selon l’origine scolaire des candidats : moins de 30% pour les titulaires d’un Bac S, et 97% pour les Bac Pro : en chiffres, c’est 160 000 étudiants priés de redoubler ou d’aller voir ailleurs — et, au total, 20% quittent l’université sans le moindre diplôme — rapport Hetzel, 2006). Cette première année, outre la dominante disciplinaire, inclura des heures de langues vivantes, de méthodologie, et d’informatique (tout sur le copier-coller). Un « enseignant-référent » prendra en tutelle les étudiants, pour les aider au mieux. La deuxième année (« consolidation », en langage ministériel) sera la véritable entrée dans la discipline — et dans le monde professionnel, via des séminaires, des forums et du tutorat d’entreprise. La vraie spécialisation interviendra en troisième année — et dans tous les cas, l’étudiant devra accomplir un stage en entreprise.
Tout cela ne pourra se faire qu’avec une augmentation sensible des heures de cours (aujourd’hui entre 15 heures / hebdo en Lettres, et 30 en Sciences). Faut-il en déduire que l’on va embaucher massivement — qui ? « Des enseignants-chercheurs », dit l’UNEF.
Pauvres d’eux ! Ce sont des enseignants non-chercheurs qu’il faut embaucher pour repriser les trous de la culture mitée des néo-bacheliers.
Mais Valérie Pécresse a bien précisé que tout cela se fera sans embauches supplémentaires — les profs de Fac sont priés de travailler plus pour gagner plus — j’ai dans l’idée que ça ne les intéressera pas. De jeunes thésards, des étudiants de quatrième ou cinquième année feront du tutorat.
Hmm…
Ajoutons, pour être objectif, que le plan prévoit des passerelles avec les filières post-Bac (IUT / BTS), afin de réorienter rapidement les étudiants qui se seraient engagés sur des voies inadéquates — et qu’il est prévu, comme cela se fait déjà, que des universitaires aillent dans les lycées informer les Terminales sur ce que sont vraiment la vie et les exigences de la Fac. Le but avoué est de dissuader les Bacheliers technologiques d’aller s’égarer dans des formations généralistes, et de poser leurs candidatures vers les BTS / IUT qui ont été créés pour eux — et qui actuellement recrutent pour l’essentiel (68%) leurs élèves dans les filières générales… Quant aux Bac Pro, peu de nouvelles…
Et 730 millions d’euros seront débloqués (en quatre ans) pour mettre en œuvre toutes ces belles choses à la rentrée 2009 — en attendant, les facs anticiperont sur leurs fonds propres.

Ce dont ce « plan » témoigne, c’est, au moins, d’une prise de conscience : on ne peut pas laisser les étudiants payer les pots cassés d’un enseignement secondaire délité. En attendant qu’un Primaire rénové engendre un Collège nouveau qui produira un Lycée honorable, il faut bien gérer l’existant : instaurer — comme à Orsay — une « année zéro » de remise à niveau, qui marche fort bien. En Lettres, ce pourrait être par exemple la mise en place d’un système qui combinerait méthodologie et culture de base. Bref, des maths-sup bis ici, des hypokhâgnes-bis là : ce sont les facs qui doivent venir en prépas (ou en venir aux prépas), et non l’inverse, quels que soient les appétits (financiers) de présidents d’universités qui lorgnent depuis des décennies sur le budget des Classes préparatoires. Le maintien d’une absence de sélection est à ce prix : évidemment, les horaires doubleront, et il faudra bien trouver des enseignants pour former tant d’étudiants en déshérence — des généralistes, et non des « enseignants-chercheurs » !

Second volet intéressant des projets Pécresse, la formation des maîtres.
La « lettre de cadrage » envoyée par la présidence de la République en juillet 2007 recommandait à Xavier Darcos de « veiller, en lien avec la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à ce que les instituts universitaires de formation des maîtres donnent aux enseignants les outils dont ils ont réellement besoin pour exercer leur métier, et non pas qu’ils cherchent à imposer certaines méthodes de préférence à d’autres. La formation des enseignants devra durer cinq ans et sera reconnue par un diplôme de niveau master. »
Comme tout ce qui est du domaine politique, il y a de tout dans cette phrase.
D’abord, un constat critique : les IUFM actuels ne préparent pas à l’enseignement, mais transmettent une idéologie pédagogique sans lien réel avec les nécessités du métier. Ensuite, une inquiétude : les « masters » ne vont-ils pas remplacer, à terme, les actuels concours ? De surcroît, la barre des « cinq ans » ne signifie-t-elle pas que tous les concours seront alignés — ce qui signe la fin de la différence CAPES / Agrégation, et la disparition probable de cette dernière ? Bref, ce qui paraissait initialement une critique des pédagogistes finit par leur donner tout pouvoir : intégrés dans les Facs comme un chancre sur un cerveau sain, voici les IUFM chargés de la formation des futurs enseignants — ou de leur déformation, au choix.
Autant dire et redire : ce dont un enseignant a prioritairement besoin, c’est de savoir. On ne peut pas contrôler une classe si l’on ne maîtrise pas la discipline, c’est aussi simple que cela. Et pour maîtriser l’apprentissage des conjugaisons en Sixième, il faut en connaître un peu plus que le Bescherelle : toute transmission suppose une maîtrise des concepts complexes, une arrière-garde intellectuelle que l’on ne lancera peut-être jamais, ou très rarement, mais qui donne à l’enseignant l’assurance dans les choses simples.

D’où sort cette idée de « masters » d’enseignement ?
On lira avec intérêt l’article de Pedro Cordoba sur le sujet, sur le site de Reconstruire l’école (http://www.r-lecole.freesurf.fr/iufm/gueguerre.html). Pour faire court, l’idée vient de gauche (tous égaux !), et remonte à 1999. Une première pétition entraîna le retrait du « plan Oriano ». Vinrent alors les plans Alluin-Cornu, puis Brihault-Cornu — sous Lang. Une seconde pétition fit capoter ces tentatives — mais les IUFM se vengèrent en s’annexant le concours de recrutement des professeurs des écoles. C’est une vieille lune des Instituts de Formation des Maîtres : leur existence est incompatible avec les concours, qui forcément sont préparés hors de leur sphère d’influence. Le même Pedro Cordoba a rédigé il y a maintenant presque trois ans une analyse de ce que pourrait être la formation des maîtres (avec, me semble-t-il, Isabelle Voltaire : http://www.r-lecole.freesurf.fr/iufm/fform.pdf), un argumentaire dont certain(e)s se sont fortement inspiré(e)s sans jamais faire mieux. Merci à lui.
Ce qui est évident dans les projets qui s’agitent aujourd’hui, c’est l’alliance objective entre la « gauche » pédagogiste et la droite la plus décomplexée (l’Institut Montaigne).
Soyons réaliste, demandons l’impossible. Quitte à maintenir une différence entre CAPES et Agrégation, suggérons que le premier se passe à M1 (première année de Master), et la seconde à M2 — l’un allant vers le collège, l’autre vers le lycée, sans que ce soit une obligation absolue : il est plus que temps d’en finir avec la rivalité saugrenue mais persistante des uns et des autres. On n’a pas besoin d’une « commission Pochard » pour cela — je dirais même qu’il est urgent de dissoudre ladite commission, et le refus du SNALC de continuer à jouer le jeu des auditions devant cette parodie de réflexion est sans doute la meilleure preuve de la vacuité intellectuelle de messieurs Forestier, Maurin and co., et de la confusion mentale de Michel Rocard.

Jean-Paul Brighelli