Pierre Frackowiack a encore frappé, Pierre Frackowiack est toujours frappé.
Voici qu’un linguiste, Alain Bentolila, propose dans un rapport tout récemment remis au ministre (http://media.education.gouv.fr/file/70/4/4704.pdf) de faire apprendre des mots nouveaux aux élèves de l’école primaire — aux plus petits particulièrement. Il s’insurge contre l’apartheid qu’une maîtrise fort différente du vocabulaire institue entre les élèves les moins favorisés et ceux qui baignent dans un jus linguistique varié — des « bourgeois », sans doute… Bentolila, qui pas plus que moi n’est né avec une cuiller en argent dans la bouche, voudrait que tous les élèves apprennent à lire et à écrire, et parlent une langue grammaticalement correcte utilisant un vocabulaire adéquat. Il montre fort bien dans son rapport l’écart terrible entre les malheureux utilisateurs du langage schtroumpf, et ceux qui, dès le CP, font une différence entre le langage orwellien qu’on nous prépare (« c’est double-plus bon ») et un usage précis de la langue — « c’est succulent ».
Peut-être n’insiste-t-il pas assez, à mon goût, sur un fait essentiel : c’est faire violence aux enfants que de les laisser s’encroûter, sous prétexte de respect des différences culturelles, dans des opinions aberrantes (« succulent » ou « exquis » seraient trop « intellos » — et, pour tout dire, un peu fiottes). Tout comme c’est faire violence aux enfants que des les obliger à passer en CE1 alors qu’ils ne maîtrisent pas du tout la lecture. Et cette violence-là, ils la retournent, à un moment ou un autre, soit contre eux, soit contre leurs camarades — qui ont cessé de l’être —, soit contre l’institution, soit contre vos biens. Derrière chaque voiture brûlée, derrière chaque professeur poignardé, chaque enfant auto-scarifié, il y a une violence institutionnelle — celle qui a permis, sous prétexte d’égalité, de stigmatiser un malheureux enfant poussé dans une classe où il n’entend goutte à ce qui se dit. Derrière chaque colère, il y a un Frackowiack.

Alain Bentolila — il me l’a encore répété hier soir au téléphone — voudrait le meilleur pour chaque élève. Il souhaiterait que les plus pauvres disposent des moyens qui lui ont permis, à lui, petit pied-noir qui parlait l’arabe et l’espagnol en même temps que le pataouète, de devenir linguiste français — et d’apprendre aux enfants d’Haïti ou d’ailleurs à « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Bref, lui comme moi voudrions substituer à la gabegie présente un enseignement de qualité qui permettrait à chacun d’aller au plus haut de ses capacités, quelles que soient ses origines sociales. On sait qu’on en est loin aujourd’hui — où, à grands coups d’idéologie égalitariste, les « chercheurs en sciences de l’éducation » dont se réclame Pierre Frackowiack ont construit une école à deux vitesses : l’apartheid scolaire pour les plus humbles, et, pour les privilégiés, le contournement de la carte scolaire, les bonnes sections des bons lycées — ou des cours particuliers dans l’une de ces multiples officines privées qui prospèrent depuis une quinzaine d’années — depuis que l’école publique n’a plus d’autre fonction que de fabriquer des cons / ommateurs.

Il ne faut pourtant pas être grand clerc pour savoir que les enfants adorent apprendre de nouveaux mots — et en apprendre, au passage, l’orgine. On peut séduire un fils de Maghrébin en lui expliquant que « divan » ou « algèbre » sont d’origine arabe — et qu’un « bon » musulman ne doit pas ignorer que l' »alcool » donne le même regard alangui que le khöl… On peut intéresser un insulaire du Pacifique en lui révélant que « tabou » est polynésien — et amuser une classe entière en lui faisant composer un logo-rallye (voir Queneau et ses Exercices de style, mine inépuisable de jeux de mots, au plus beau sens du terme) qui en quelques lignes associerait logiquement « tabou », « alcool », divan » — et quelques autres.
Encore faudrait-il qu’ils sachent lire et écrire…

Pendant ce temps les « chercheurs » — ceux qui ne trouvent rien, aurait dit Picasso — se déchaînent contre le rapport Bentolila. En même temps que Frackowiack, l’ineffable Eveline Charmeux, qui use et abuse du pouvoir extravagant que confère aujourd’hui l’ignorance, fustige l’idée même que l’on puisse apprendre des mots aux élèves — comme elle s’indignait récemment que l’on prétende leur apprendre la grammaire. Les syndicats, note le Monde, sont eux-mêmes hostiles aux propositions de Bentolila.
Peut-être pas tous les syndicats : on peut protester contre les réformes statutaires fort peu indispensables que veut imposer Gilles de Robien, on peut s’indigner qu’il réinvente les PEGC en proposant la bivalence des enseignants, et qu’il n’obéisse, ce faisant, qu’à une stricte logique comptable — des économies de bouts de chandelle, au prix d’une impopularité dont ses amis pourraient payer l’addition — sans pour autant faire l’amalgame, comme je l’ai vu et entendu dans une manifestation récente, avec les suggestions pédagogiques de bon sens qu’il a tenté de mettre en place, méthodes de lecture ou apprentissage systématique de la grammaire.
Ceux qui récusent la notion de « règle » confondent, comme il arrive trop souvent, ce que l’on doit apprendre à des enfants, et ce que l’on peut apprendre à des étudiants spécialisés. Que l’orthographe soit souvent une convention, et la dictée un exercice inventé par la bourgeoisie du XIXe siècle, quelle importance ? C’est pourtant en s’appuyant sur ces « découvertes » que les mêmes imbéciles ont laissé s’effondrer le niveau orthographique — au point que les Ecoles d’ingénieurs et les IUT remettent la dictée au goût du jour — et préconisent cette « Observation réfléchie de la langue » qui suppose que chaque enfant, chaque jour, réécrive la Grammaire de Port-Royal.
Tout comme les pseudo-spécialistes ont repensé les programmes de Français à la fin des années 90 en affirmant la prédominance du « Discours » — au point que Tzvetan Todorov, jadis complice des ces illusions, rue désormais dans les brancards et dénonce l’idéologie qui a mécaniquement plaqué sur les programmes du Primaire et du Secondaire les recherches linguistiques des formalistes russes et de leurs émules.
Tout comme les « spécialistes » d’Histoire-Géographie ont modifié les programmes en fonction des théories de l’Ecole des Annales — sans voir que ce qui est stimulant à Bac + 5 est mutilant dans les vingt années qui précèdent.

Un ami inspecteur, en septembre-octobre dernier, au moment où Pierre Frackowiack, qui n’en est pas à son coup d’essai — mais, comme disait à peu près Audiard, c’est à cela que l’on reconnaît les imbéciles, ils osent sans cesse — était sous la menace d’une sanction ministérielle, m’avait suggéré de me montrer grand seigneur, et de plaider sa cause. Je l’ai fait, ici même, et au ministère. Pure charité.
J’ai eu tort.
J’ai connu un ministre qui, conscient qu’une inspectrice générale faisait du dégât à chaque inspection, parce qu’elle avait atteint son point d’incompétence, l’a décorée et l’a placardisée à Bruxelles. C’est la méthode qui permet, dans l’administration, d’éliminer les nuisibles. Alors, Monsieur le ministre, je vous le demande humblement : donnez à Pierre Frackowiack quelque hochet qu’il agitera fièrement — les Palmes académiques, s’il ne les a déjà —, confiez-lui une réflexion sur un sujet confus, et éloignez-le de toute activité d’inspection. Rien de plus nocif qu’un illuminé convaincu d’avoir raison : Frackowiack, qui dirige la commission Education du PS, qui sera peut-être quelque chose dans le gouvernement de la Sainte Vierge, si elle parvient à illusionner assez de Français, doit être très vite dégagé en touche — définitivement. Ses amis, à l’inspection, me menacent tous les jours de leurs foudres, « quand ils seront revenus au pouvoir ». Je suggère à Gilles de Robien d’exercer sur quelques-uns son droit au mépris — en les versant dans un service inactif, un quelconque tonneau des Danaïdes qui les fera transpirer loin du monde réel — la rédaction d’un rapport sur l’utilité des IUFM, par exemple.

Jean-Paul Brighelli

PS. J’ai tellement envie d’être clair que je ne résiste pas à l’envie d’en rajouter une couche. Autant faire savoir aux enseignants de passage sur ce blog que c’est ce même Frackowiack qui, récemment, s’est insurgé contre la liberté pédagogique (http://www.unsa-education.org/sien/sections/lille/libpedPF.htm). Incompétent un jour, et stalinien le reste du temps.