Franchement, les concours de Miss ne sont pas ma tasse de thé. La vraie beauté est dans les seins de la Vénus d’Arles, dans les fesses de la Vénus au miroir de Velasquez, ou le dos de la Grande Odalisque d’Ingres. Un rêve de pierre, comme dit Baudelaire. Un concept qui appartient au domaine de l’art, pas à celui des hommes.
Alors, Miss France ou Miss Monde sont juste des états intermédiaires de la matière…
Mais les déluges de haine qu’a suscités, il y a quelques jours, la désignation de Miss Provence comme « première dauphine » de la nouvelle Miss France m’ont quelque peu sidéré. Je savais que l’antisémitisme avait de beaux jours devant lui, que Mohamed Merah est révéré çà et là, qu’un Tchétchène assassin de prof est vénéré dans on pays, que l’arbre planté en mémoire d’Ilan Halimi a été arraché, que les salopards qui ont massacré Sarah Halimi étaient, quoi qu’en ait dit la Justice, de vrais racistes persuadés que tous les Juifs s’appellent Rothschild, etc. J’avais remarqué, dans mon adolescence militante, que la Ligue Communiste camouflait sous son antisionisme de principe des réflexes plus archaïques. Je n’ignorais pas que les Arabes, un peu partout dans le monde, rendent les Juifs responsables de leurs échecs chaque fois qu’ils ont tenté de les attaquer — comme un roquet se plaindrait de s’être fait bouffer tout cru par le molosse dont il a mordu les talons. Et que certains Musulmans pensent que le Prix Nobel devrait être attribué selon des principes ethniques, vu que les Juifs en ont récolté des paquets, et que les autres Sémites (faut-il rappeler à ces crétins que Juifs et Musulmans sont demi-frères, si l’on en croit la descendance d’Abraham ?) peinent à en décrocher un…
Mais enfin, écrire sur Twitter que la candidate — beau brin de fille, mais c’est normal, sinon elle ne serait pas là — est une bitch, comme disent ces analphabètes, parce que son père est israélien, ou que Hitler, encore une fois, a raté son coup, prouve le degré d’inculture, de racisme, de frustrations accumulées de quelques énervés dont on sait comment ils commencent et comment ils finissent. Moi qui croyais que le racisme était un délit, je me demande ce qu’attend la police pour arrêter les auteurs de tels propos. Ah, Twitter se gratte la fesse en se demandant s’ils ont enfreint ses standards. Nous sommes bien avancés.
Les Arabes ou les Turcs ont jadis constitué des empires. Les Juifs qui y vivaient étaient des citoyens de seconde zone — en Europe aussi, à la même époque. Mais aujourd’hui, de ces anciens empires crispés sur leurs certitudes religieuses, il ne reste rien — rien que des sables infertiles : inutile d’accuser la colonisation, il est des pays qui se débrouillent très bien pour faire leur malheur tout seul — l’Algérie, par exemple : comparez avec le Maroc, ancien protectorat français lui aussi, mais qui est largement sorti de la misère et de la superstition. Quant au sultan qui s’agite à Ankara, il cherche ainsi à camoufler l’échec de sa politique économique. Alors que l’Europe après la Révolution s’est réformée, même si comme disait Brecht, la Bête immonde est encore fertile — elle l’a prouvé à diverses reprises…
Eh bien voici la preuve de sa fécondité. Quelques énergumènes insultent, sous un courageux anonymat, une jolie fille qui par ailleurs ébranle sans doute leurs rêves… Et qui s’affiche en maillot de bain, sans même recourir au burkini exigé par la pudeur musulmane…
Ladite pudeur a ses meilleurs jours derrière elle. Dans les Mille et Une Nuits, l’un des plus grands romans jamais écrits (mais c’était il y a dix siècles), l’un des héros s’écrie, à la vue d’une houri terrestre : « Elle a un derrière énorme et somptueux qui l’oblige à se rassoir quand elle se lève, et me met le zeb, quand j’y pense, toujours debout ». C’était à l’époque où Bagdad était l’une des villes-phares de l’humanité — et où Haroun al Rashid, le sultan célébré de l’empire, parcourait sa ville en compagnie de son poète favori, Abbas Ibn al-Ahnafqui, aimait indifféremment les filles et les garçons et inventa l’amour courtois avant l’heure — et ça ne gênait personne. Mais les califes Abbassides, c’était autre chose que la dynastie des Al Saoud.
Quand une nation, un peuple, un empire, ont des ressources, ils ne s’émeuvent guère des débordements lyriques des poètes. Que ce soit au niveau des civilisations ou des individus, le puritanisme est un effet secondaire de la nullité culturelle et de la peur de disparaître. Ils peuvent bien crier, déjà ils n’existent plus que dans la vocifération, l’imprécation, et le racisme. En un mot, la violence.
Cela dit, je sais que nombre de Musulmans n’adhèrent pas aux propos outranciers d’une poignée d’imbéciles. Et qu’ils regardent April Benayoum avec admiration — parce que le Beau reste le Beau, quelle que soit son étiquette, et même s’il est éphémère. Mais les crétins hurlent si fort leur fierté d’être des imbéciles qu’ils occupent le champ médiatique. Qu’ils le sachent : jamais un hurlement de rage n’a été un argument. Ni même une opinion. C’est juste un aveu d’impuissance — et c’est peut-être cela, le sale petit secret des antisémites.
Jean-Paul Brighelli
PS. Houria Bouteldja s’y est mise à son tour, elle ne pouvait pas faire moins. L’ineffable auteur de Les Blancs, les Juifs et nous, un titre pas du tout raciste, vient de lâcher, sur Médiapart qui l’héberge : « On ne peut pas être israélien impunément. » Entre autres incongruités. Le genre de formule qui un de ces jours amènera Netanyahou à vitrifier Gaza, et personne ne s’en souciera.
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