Quid du grec et du latin dans le lycée nouveau — qui vient de débarquer, sous la férule conjointe de MM. Chatel et Descoings, un peu avant le beaujolais ? Je suis trop « lettres modernes » pour apprécier pleinement ce que nous ont tricoté les grands esprits de la rue de Grenelle, et j’ai donc décidé de laisser la parole à Béatrice Barennes, agrégée de Lettres classiques — et, accessoirement, secrétaire national à la pédagogie du SNALC, mon syndicat préféré…

Dans le contexte plutôt sombre de la démission en juillet du jury de CAPES de lettres classiques et de la publication dans le Monde d’une tribune de certains de ses membres (1), la parution au Bulletin officiel n°30 du 26 août 2010 (pour une application immédiate à la rentrée une semaine plus tard !) d’une parodie de programme pour l’enseignement d’exploration « langues et cultures de l’Antiquité » signe encore la désinvolture avec laquelle sont traitées des disciplines considérées autrefois comme fondatrices et qu’on préfère aujourd’hui enterrer — le comble pour des langues mortes ! — vivantes…

Les lettres classiques font l’objet depuis longtemps d’un traitement exceptionnel de l’Institution. L’enseignement d’exploration « langues et cultures de l’Antiquité, grec ou latin », créé prétendument à égalité avec les autres enseignements d’exploration lors de la réforme du lycée, n’est que le dernier témoignage de cette tendresse toute particulière dont le « latin-grec » se passerait volontiers..

La procédure adoptée est inédite. Alors même que des programmes ont été rédigés et présentés au Conseil Supérieur de l’Education pour tous les enseignements d’exploration les 31 mars et 1er avril, le plus grand flou entoure depuis le début les langues anciennes sans qu’aucune concertation ne vienne éclairer un tant soit peu la perspective.

L’horaire seul ayant été fixé (3 heures comme celui de l’option facultative ), les lycées n’ont guère envisagé l’ouverture d’enseignements d’exploration et dans le meilleur des cas, dans le contexte des suppressions de poste, ils ont réussi à maintenir les options existantes (latin et exceptionnellement grec dans la continuité des enseignements du collège et/ou option de débutants). Beaucoup de lycées cependant ne proposent plus aucun enseignement facultatif de langues anciennes et les élèves intéressés sont contraints de s’adresser au Cned. Quant à l’information des élèves de Troisième en fin d’année scolaire, on ne voit guère comment les professeurs auraient pu attirer quiconque à suivre un enseignement d’exploration fantôme…

Le contenu du texte, paru si tardivement au Bulletin Officiel qu’on a décidément du mal à ne pas y voir l’intention délibérée de fragiliser au maximum des enseignements qui résistent encore trop bien peut-être aux attentions perfides, ne clarifie guère la situation. Conforme à l’esprit des enseignements d’exploration (butinage, utilitarisme jusqu’à l’absurde – «  (explorer) les divers usages de l’Antique que l’on peut faire aujourd’hui », exhortation à la « mise en activité »), il propose un panachage des thèmes des programmes de l’enseignement optionnel sur les 3 niveaux (Seconde, Première, Terminale) et dans les deux langues. Il semble donc que cet enseignement soit envisagé comme bilingue puisqu’en outre il est préconisé de « croiser autant que de besoin les systèmes linguistiques grec et latin ». Nouveauté complète et irréaliste, en contradiction par ailleurs avec l’idée affichée au départ (par le choix d’un horaire de 3h au lieu des 1h30 des autres enseignements d’exploration) d’inclure dans le même groupe, les élèves qui auraient choisi latin ou grec comme enseignement d’exploration ou comme option. En clair, ta zoa currit, si je puis ainsi m’exprimer. Et tout sérieux trekei avec eux. L’enseignement de l’anglais mène au globbish, celui du latin et du grec à la confusion.

Rien n’arrête cependant nos gestionnaires et surtout pas les contingences pédagogiques. Il est en effet prévu que cet enseignement « s’adresse aussi aux élèves qui souhaiteraient ‘débuter l’étude de la langue grecque ou latine en seconde, avec le projet de la poursuivre jusqu’en terminale ». Le sommet de la bouffonnerie est à venir : « Dans ce cas, pour leur permettre d’acquérir un niveau de langue suffisant pour une poursuite en classe de première, ils feront l’objet autant que de besoin d’un accompagnement personnalisé, qui peut prendre des formes souples et variées ». On voit mal comment un professeur de lettres classiques obtiendrait dans un contexte aussi porteur l’une des deux heures prévues à l’emploi du temps pour l’accompagnement personnalisé (dont l’emploi pour cette année a déjà été discuté), et cela pour la poignée d’élèves hypothétiques qui auraient réussi par miracle à obtenir une information et à s’inscrire dans un des rares lycées proposant cet enseignement (2)…

Mais peut-être est-ce lui faire trop d’honneur que de tenter d’analyser avec rigueur un texte qui masque mal une indifférence profonde et un vide abyssal de contenus derrière de vagues incantations à la souplesse comme à la variété (entendez que rien n’est prévu ni défini) et à l’innovation (parce qu’il faut bien bricoler quand on a réussi à rameuter un groupe d’élèves totalement disparate). Qu’importent la cohérence et le réalisme pour un enseignement qu’on s’acharnera à rendre exsangue ! Ne vaut-il pas mieux « de l’aide aux devoirs pour des centaines d’élèves que du grec pour 5 ? » comme le disait récemment l’un des grands inspirateurs de la réforme du lycée (3) ? Et pourquoi pas du grec pour des centaines d’élèves, M. Descoings ? Etes-vous sûr que l’accompagnement personnalisé décliné selon les académies et les lycées en dispositifs divers incluant éventuellement « club astronomie », « atelier théâtre », « club d’écriture » (4) — on attend l’ « atelier cuisine » et le « club sophrologie » — contribuera davantage à l’égalité des chances que l’étude rigoureuse des langues et des cultures qui sont au fondement des nôtres ?

La précipitation et l’improvisation caractérisent certes cette réforme des lycées comme en témoigne l’émoi entraîné par l’absence de manuels scolaires dans certaines matières. Mais pour les lettres classiques, le Ministère a perfectionné la méthode : pas de concertation, pas de programme, aucune visibilité… L’objectif est évident : tendre vers un nombre nul d’élèves et bientôt de professeurs, déjà victimes prioritaires des mesures de carte scolaire. Une fois le latin et le grec passés à la trappe par un ministre-Ubu armé de son croc à phynances, à qui le tour ? Le lycée était déjà léger, il sera tout à fait light — et qui saura encore que cela vient de levis — une marque de jeans du Ier siècle, sans doute.

Béatrice Barennes

(1) Voir « Cibles émouvantes », in Le Monde, 20 aqoût 2010 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/08/20/langues-anciennes-cibles-emouvantes_1400980_3232.html

(2) D’aucuns s’empresseraient de voir dans ces disparités, d’un établissement à l’autre, la preuve par neuf d’un enseignement à deux vitesses. Mais ne soyons pas mauvaise langue : il va de soi que le lycée Henri IV fera du soutien au détriment de la formation classique réclamée par les parents de ses élèves, et le lycée Tartempion, en pleine Zone d’Exclusion Programmée et de pédagogisme renforcé, aura à cœur d’insister sur les Lettres classiques — on s’en doute… (JPB)

(3) Le Point, jeudi 26 août 2010, propos de Richard Descoings.

(4) Dépêche AEF ,vendredi 27 août 2010, « paroles de proviseurs de l’académie de Lille ».