Ainsi, les urnes périgourdines ont rendu leur verdict — et Darcos à sa liberté : il a tout loisir désormais de démontrer à ses amis et à ses ennemis qu’il est un vrai ministre, un grand ministre. « Mettre fin à trente ans de pédagogisme », disait-il il y a quelques jours en réponse à une diatribe signée, dans le Nouvel Observateur, par les deux petits marquis de la Droite et de la Gauche, Luc Ferry et Jack Lang. « Philosophe de salon » et « socialiste d’opérette », disais-je d’eux deux jours plus tard à l’émission des Quatre Vérités. Comme me le faisait remarquer ici même un blogueur attentif, les mots, malgré les apparences, ne sont pas interchangeables : il y a des philosophes ailleurs que dans les salons, mais le spectacle de la Gauche aujourd’hui ne vaut guère mieux que la pire opérette.

Cela vaut-il la peine de répondre à ces messieurs ?
Et d’abord, pour commencer, remarquons cette collusion spectaculaire de deux grandes incapacités : zéro plus zéro égale zéro. Un homme choisi par la Gauche (sous Allègre, de si spectaculaire mémoire) pour coordonner la commission des Programmes dont sont sortis ces « années Viala », en Lettres, qui ont achevé de déstructurer ce que la loi Jospin avait déjà bien entamé. Et l’homme à tout faire de la chemiserie française, jamais fatigué de plastronner devant les étranges lucarnes, dont le passage au ministère a effectivement entériné ces programmes à vocation létale, si plein de bonnes intentions égalitaristes qu’ils ont donné un sacré coup de pouce — et un eu plus — à toutes les officines privées du style Acadomia, qui se sont engouffrées dans la carence organisée rue de Grenelle. J’ai souvent dit et écrit que l’égalitarisme fabriquait plus d’exclus que l’élitisme le plu strict. La loi Lang / Ferry, c’est la politique des cycles, en Primaire, qui permet de passer l’élève en difficulté au collègue de niveau supérieur, et, in fine, à amener en Sixième (rapport du HCE d’août 2007) 40% d’élèves incapables de maîtriser la lecture et l’écriture (et je ne parle pas des maths : en commençant la division en CM1, on comptait sans doute qu’elle soit maîtrisée en Troisième ? Manque de pot, 160 000 élèves de Troisième, totalement dégoûtés, quittent l’école chaque année sans rien savoir de ce que l’on ne leur a pas appris — sur ordre ! Lang et Ferry, ce sont les gesticulations en directions des « cultures plurielles », qui permettent avec une bonne conscience de gauche caviar de ne pas voir que tant de malheureux gosses n’auront pas accès à la culture française la plus élémentaire. Refuser un apprentissage sérieux, systématique, de la grammaire, c’est privilégier les privilégiés — forcément : un philosophe qui n’a fait ses études que apr correspondance sait-il ce que c’est que de ne pas entendre parler français correctement à la maison ? Sait-il que ce qu’on n’apprend pas intuitivement à trois ans, il faut l’apprendre patiemment à six ? Ce que Darcos a proposé — mais j’ai confiance, certains syndicats, debout comme un seul homme SNUIPP en tête, vont y mettre bon ordre —, c’est l’accès de tous les élèves, à commencer par les plus défavorisés, au Savoir bourgeois (un gros mot, sans doute, pour ces types qui se gobergent Rive Gauche). Donner la liberté pédagogique aux enseignants, c’est autoriser l’emploi de méthodes de lecture efficaces — mais condamnés par des Inspecteurs idéologues — et idéologues avant d’être inspecteurs, n’est-ce pas, Frackowiack ?
Et je n’évoquerai que pour mémoire ces parents déboussolés par une phraséologie, une nomenclature grammaticale absconse : on parle sans cesse d’ouvrir le dialogue avec les parents, mais la Pédagogie (la P. Respectueuse, devrais-je dire) s’empiffre d’un jargon incompréhensible aux âmes simples qui savaient ce que c’est qu’un article et un nom, un sujet et un verbe, mais ignorent tout du Groupe Sujet et des Déterminants.

Quels chantiers s’ouvrent à Xavier Darcos ?
– Reprendre la réforme des collèges : la liberté pédagogique décrétée pour le Primaire doit s’étendre à partir de la Sixième — et permettre aux enseignants qui ne désirent pas travailler sous les fourches caudines de la « séquence » d’opérer à leur gré — permettre aux profs de Lettres désireux d’enseigner de la grammaire un peu sérieusement d’abandonner l’ORL et son cortège de massacre ; et remettre l’écriture au goût du jour ;
– Préparer une réforme des lycées qui débouche sur un Bac sérieux, quelles que soient ses futures modalités — et il y a de quoi faire : voir, sur le sujet, le chapitre XV d’un excellent ouvrage que je ne saurais trop recommander aux passants de ce blog, intitulé « Fin de récré » et qui vient juste de sortir en librairie… C’est en amont que l’on peut sauver le soldat Bac — pas en fin de Terminale, où l’on peut tout au plus gérer l’inacceptable, et certainement pas l’année d’après : quand la réforme des lycées produira des élèves bardés de savoirs, on ne se demandera plus s’il faut ou non ouvrir des « propédeutiques » en Fac.
– À terme, c’est vers la formation des maîtres qu’il faut aller — et quand les maîtres en formation verront que les méthodes qui marchent, dans une pédagogie par objectifs clairs, ne sont pas celles que leur instillent l’IUFM, sans doute opteront-ils pour la désobéissance.

Peu de choses, en vérité : après le scandale des nouveaux programmes de Primaire, il reste à élaborer le scandale des Collèges qui cessent d’être « uniques », et l’horreur de lycées préparant sérieusement à un examen de fin d’études valorisant. Sans parler — ce sera pour une prochaine Note — de l’enseignement professionnel, dont il est évident qu’il meurt lui aussi de bonnes intentions: tout le monde le plus haut possible, et 50% d’une classe d’âge en Licence — pour quoi faire ?

Jean-Paul Brighelli

PS. Je m’avise à l’instant que Marie-Christine Bellosta a commis de son côté une analyse sur son blog de l’article de nos duettistes, avec sa sagacité et sa causticité coutumières (http://education.blog.fondapol.org/refonder-lecole-le-blog-de-marie-christine-bellosta/blog-post/mm_lang_et_ferry_sacres_menteurs.html)