Ainsi donc, le ministre aurait reculé parce qu’il aurait eu peur (peur, Darcos ? Je rigole…). Lui ou le Château aurait craint que quelques monômes lycéens, quelques poubellades provinciales, allument en France un feu comparable à celui qui a embrasé la Grèce depuis une quinzaine de jours.

   Demain l’émeute ? Ouichtre ! La France n’est pas la Grèce, et les lycéens de Paris ou de Rennes, de Bordeaux ou de Nice, n’ont pas été nourris de récits d’insurrections sanglantes, de tortures et de déportations sur les îles sans eau de la mer Egée. J’étais en Grèce quand la dictature des colonels a été renversée, et en vérité je vous le dis, des gens qui, depuis dix ans, affrontaient la police de Papadopoulos n’ont pas été taillés dans le même patron que les Monchéri Moncœur d’aujourd’hui — ni même les enragés de 68.

   Quoique ! Quoique…

   Bien sûr, la crise — qui ne date pas d’hier — jette sur le pavé des milliers de travailleurs sans travail, d’exclus de plus en plus exclus, et surtout de demi-soldes (ou, si vous préférez, de classes moyennes) désemparés, démonétarisés, prolétarisés. Je dis « surtout », parce que les révolutions n’ont jamais été faites que par des petits bourgeois qui ne voyaient plus d’avenir à leurs enfants dans un système bloqué.

   Après, bien sûr, les révolutions, une fois lancées, dévorent quelques-uns de ces petits bourgeois…

   Nous sommes — tout le monde le sent — à peu de chose — deux doigts, deux mois — d’une insurrection massive. Qui n’aura lieu que si le Système en a besoin : on peut extorquer une émeute, pas un mouvement social de grande ampleur. J’ai d’ailleurs fait le pari que l’année ne se passerait pas sans des manifestations massives — mais je préférerais en faire l’économie, quitte à perdre : je préfère les révolutions de velours au déchaînement des pulsions.

   Mais l’Education peut fournir (fourbir ?) un prétexte tout à fait convenable à une explosion sociale qui n’attend qu’un élément de plus pour se précipiter — au sens le plus chimique du terme.

   Raison de plus pour tenter de réfléchir sur l’Ecole. Quant à ceux qui trouvent que tout cela n’avance pas assez vite, ils devraient d’abord penser que l’Histoire n’est pas à leur botte, et qu’elle sait prendre son temps : quelques mois, à l’échelle de l’Histoire, c’est roupette de sansonnet, roupie de samsonite. Ensuite, on sait qu’elle n’avance que par cahots (KOs ?), et peut paresser deux ou trois ans, voire plus (voir la « génération Frédéric » de l’Education sentimentale — et quelques autres depuis), avant d’accélérer subitement. Peut-être sommes-nous à l’aube d’une telle accélération — tant de gens le disent et l’écrivent que les mots, comme d’habitude, pourraient bien créer l’événement.

   Donc, l’Ecole…

   Il est indispensable de réformer un système qui aujourd’hui offre la rentabilité la plus basse de tous les systèmes éducatifs occidentaux. Le premier budget de la Nation — quel échec ! Quelle gifle à ceux qui pensent que la résolution des problèmes est quantitative ! Même si, comme dit D’Artagnan à Mazarin, qui ne les lâchait pas facilement, on ne fait pas de grande politique avec de petits moyens. Et de regretter Richelieu…

   Nous n’avons personne à regretter, à l’Education. Les ministres des trente dernières années (y compris le « Che » pour lequel certains gardent une tendresse, mais qui a été le premier à reconnaître que ses bonnes intentions étaient annihilées par les « bureaux » — les entrailles du Mammouth) ont été soit déplorables (Jospin), soit maladroits (Allègre), soit inexistants (Bayrou) — ou de passage, en attendant mieux. Pour le moment nous avons Darcos, et nous ferons avec — parce que je crois sincèrement qu’il est décidé à remettre la discussion à plat, et à envisager une refonte complète du système qui satisfasse à la fois les intérêts des élèves, les syndicats les plus pragmatiques, et les enseignants, qu’il est urgent, urgentissime de remotiver — en les payant mieux, nettement mieux, quitte à en resserrer les rangs. Allez, Xavier, quelques étrennes, pour les fêtes !

Jean-Paul Brighelli

 

PS. Il y a un peu plus d’un an, quelqu’un au ministère (quelqu’un de très haut placé — ne cherchez pas, vous ne trouveriez pas…) m’a demandé ce que je savais de SOS-Education. À l’époque, cette Association Loi de 1901, très proche de divers extrémistes de droite, était en procès contre Sauver Les Lettres et Reconstruire l’école (voir les infos sur la page d’ouverture de l’association, http://www.r-lecole.freesurf.fr/). Ce procès a été gagné par les deux associations, qui n’en sont pas encore à se réjouir, puisque SOS-Education, qui sait, comme tous les organismes d’inspiration américaine, être procédurier, a fait appel.

Cependant, des gens sérieux ont analysé, sinon les liens occultes de ces récolteurs de fonds, du moins leur système de récolte. On trouvera tous renseignements utiles sur http://keros.centerblog.net/ : ça vaut le coup d’apprendre le détail du réseau que constituent des organisations parallèles, construites en cascade par les mêmes personnes, avec des objectifs idéologiques semblables, et des méthodes financières identiques. Précipitez-vous, c’est instructif.