(Non, je ne dis pas « racisés ». « Racisé » est un mot de bobo raciste.)

Donc, ô vous frères humains, de quelque couleur que vous soyez, excusez-moi de vous infliger un petit cours de culture générale.

Vous vous distinguez en ce moment en vous en prenant à des statues — que cela laisse de marbre. C’est que vous ignorez l’Histoire, et que vous croyez naïvement qu’en détruisant le totem, vous détruisez la civilisation qui les a érigés. Cela fait les affaires de ceux qui, justement, font des affaires, sur votre dos et sur le mien. Vous n’êtes pas noirs avant toute chose : vous êtes, nous sommes exploités. La réalité, c’est la lutte des classes — pas la rivalité des peaux.

Dans votre inculture, vous vous en prenez même aux statues des Blancs qui vous ont libérés — Schoelcher par exemple. Parce qu’il ne fallait pas compter sur les Noirs pour faire cesser l’esclavage : c’est dans les pays africains, arabes et indiens que l’esclavage, le vrai, avec chaînes et fouet, existe encore. C’est d’ailleurs en Afrique que la traite s’est développée — du fait des Noirs d’abord, entre eux, puis grâce aux négociants arabes, trop content d’avoir des odalisques et des eunuques pour leurs harems. À côté des horreurs de la traite transsaharienne, la traite atlantique fait pâle figure. D’ailleurs, combien de Noirs américains retournent vivre en Afrique — au Libéria ou ailleurs ?

Tant qu’à détruire des statues, afin de porter le crétinisme à incandescence, je vous conseille aussi de vous en prendre, si vous les trouvez, à celle d’Alexandre Laveran, qui a compris le mécanisme du paludisme en Algérie ; à celles d’Albert Schweitzer, qui a combattu la lèpre au Gabon ; à celle d’Alexander Fleming, qui a découvert la pénicilline — et à quelques autres Prix Nobel, tous d’extraction européenne.
Aucune relation de cause à effet : c’est juste que la civilisation européenne n’a rien de fataliste ; pour elle une maladie est un défi ; et les principes chrétiens de l’Europe ont épaulé ces recherches. Pas l’Islam, je suis confus de l’avouer.
Il est d’ailleurs un peu paradoxal, ô mon frère hébété, d’avoir adopté la religion de gens qui vous ont déportés tant et plus. Et châtrés, au passage.

On sent bien que vous vous en prendriez plus volontiers à des êtres de chair et de sang, comme Jean-Jacques Dessalines l’a fait à Haïti en 1804, en massacrant tous les Blancs, enfants compris — même que c’est pour ça que l’hymne haïtien s’appelle la Dessalinienne…Capture d’écran 2020-06-30 à 10.08.35Il était temps que la civilisation et le progrès descendent sur cette île, n’est-ce pas… Il n’y a qu’à voir comme elle a prospéré depuis.

Vous pouvez cracher sur la police, qui fait des efforts méritoires pour ne pas riposter, et qui en a toujours fait. Si vous ne réalisez pas que les flics sont bien sympas avec vous, quoi que disent des starlettes en manque de notoriété et des passionaria en quête de subsides (il ne suffit pas de se coiffer comme Angela Davis pour rendre un combat légitime), c’est que vous ne savez pas ce qu’est une police de tolérance zéro. Allez donc voir aux Etats-Unis — ou en Arabie Saoudite, ou en Turquie. Là, vous verrez ce que sont vraiment des policiers sans concession.
Vous ignorez l’Histoire, ô mes frères, parce que vous avez l’impression qu’elle vous a toujours desservis. Mais c’est qu’on vous l’a mal apprise — et certes les territoires perdus de la République sont ceux où l’Ecole fonctionne le plus mal. Peut-être serait-il temps de se mettre vraiment au boulot — tous ensemble. En vérité, la colonisation européenne a été presque partout un immense facteur de progrès.
Si tu crois le contraire, ô mon frère en errance pédagogique, c’est que tu es mal informé.

Tu accuses les acteurs blancs qui jouent des rôles de Noirs. Blackface ! comme tu dis en bon français. Allons, je t’accorde qu’Al Jonson maquillé en Noir pour jouer le Chanteur de jazz n’était pas une grande réussite — cela prêterait plutôt à sourire. Mais Orson Welles grimé en Maure pour jouer Othello était sublime — et aucun acteur noir n’aurait pu l’égaler à l’époque. Qu’à talent égal on choisisse un Noir pour jouer le Noir, pourquoi pas ? Mais à talent inégal, ce serait une erreur de casting, n’est-ce pas… Tout comme Burt Lancaster a joué l’Indien avec un talent qu’aucun Peau-Rouge de son temps ne possédait. C’est cela, le théâtre ou le cinéma : donner l’illusion. Si demain un acteur noir doué joue le Christ ou Dom Juan, je n’y vois aucun inconvénient. Mais il ne suffit pas d’être noir et de faire le pitre pour interpréter décemment le Docteur Knock. Le génie n’est pas génétique. C’est le fruit d’un long, très long travail.

Plutôt que d’accuser les enseignants de ne pas t’aimer parce qu’ils te mettent de mauvaises notes — et ce n’est en rien une généralité —, accroche-toi, redouble d’efforts, et n’attends pas de pédagogues repentants qu’ils te surnotent pour te faire plaisir et acheter la paix en Seine Saint-Denis. C’est ce qu’ont fait bien avant toi, et avant moi, des hommes comme Léopold Sedar Senghor ou Aimé Césaire — d’immenses poètes pour lequel j’ai une grande vénération.Capture d’écran 2020-06-30 à 11.55.32 Senghor n’a pas décroché l’agrégation de grammaire grâce à je ne sais quelle discrimination positive. Césaire n’est pas entré à l’Ecole Normale Supérieure parce qu’on lui a fait une fleur. Ils ont l’un et l’autre bossé. Et ils sont devenus les chantres de la négritude en utilisant leur plume comme fusil — pas en cassant des vitrines.

Les fautes supposées de nos pères sont très légères à nos cœurs de Blancs — c’est toute la différence entre la culture, qui fait la part du feu, et la religion qui croit qu’hier pèse encore aujourd’hui.
Et les Blancs qui cherchent à gagner tes faveurs en s’agenouillant ou en léchant tes bottes sont juste des jobards que l’idée de culpabilité fait frétiller. Chacun ses fantasmes.

Alors en vérité je te le dis, mon frère : mets-toi au boulot, décroche des qualifications qui feront envie à tous, entre toi aussi à l’Académie française, fonde une entreprise dynamique et nouvelle, n’oblige pas ta femme à exciser vos filles, renonce à la polygamie, et nous discuterons à égalité.
Parce que l’égalité, vois-tu, est un droit théorique. Tous tant que nous sommes, frères humains de diverses couleurs, nous avons les mêmes droits — mais nous n’avons de valeur qu’en fonction de nos actes. Tant que tu t’obstineras, ô mon frère, à réclamer des subsides et des génuflexions sans rien apporter par toi-même, tu seras juste un fardeau, pour toi et pour les autres.

Même le droit de gueuler se conquiert — par le talent. Nombre de poètes antillais ou africains qui ont exalté l’homme noir l’ont fait avec un génie des mots que j’admire profondément. Mais ils n’ont pas pour autant craché sur l’homme blanc, ni revendiqué des droits qu’ils n’auraient pas mérités.
Tu devrais te demander quels sont tes vrais ennemis, mon frère. Te demander si ce ne sont pas certains activistes qui te manipulent et te marchent dessus pour s’élever ou s’enrichir. Quand tu as fini de souiller une statue de peinture rouge, es-tu plus riche pour autant ? Colbert, ça ne lui fait rien que des crétins à Thionville débaptisent un lycée pour l’appeler Rosa Parks— et ça ne fait rien non plus à Rosa Parks, qui ne savait pas où était Thionville — et toi non plus, mon frère en ignorance. Colbert reste grand — et le Code Noir, il ne l’a pas signé, il était déjà mort : mais qui te l’a expliqué, dis-moi, ô mon frère en grande ignorance ?

Quant à vouloir purger les arts de tous les termes qui t’offensent… Les universités américaines interdisent en ce moment des grands noms de la lutte antiraciste, Harper Lee ou Mark Twain, sous prétexte qu’on trouve dans leurs œuvres des mots qui pourraient offenser les oreilles des étudiants noirs. Nigger ! Mais le mot n’est là que pour donner une idée juste de ce qu’était vraiment l’Amérique de la ségrégation. Et quand Montesquieu ou Voltaire parlent de « nègres », c’est pour condamner l’esclavage. Se focaliser sur le mot sans voir l’intention qui est derrière témoigne d’un esprit de tout petit calibre, ô mon frère en inculture ! Et tu ne voudrais tout de même pas que je pense que tu es plus bête que moi ?

Jean-Paul Brighelli