Il y a… quelques années, j’enseignais la Communication à Paris-III. Et quitte à décevoir mes étudiants, j’avais axé mon cours sur l’essence de la communication, qui n’est pas du tout l’ouverture à l’autre et l’échange d’informations, mais la conquête du pouvoir. Bien communiquer, dans l’idéal, c’est faire taire l’autre. Le modèle absolu, c’est « le Corbeau et le Renard » : le rusé goupil y dit juste ce qu’il faut (dire trop excède toujours le projet) pour que la « volatile malheureuse », comme dit ailleurs La Fontaine, lâche sa proie. Communication impeccable, performatif pur, feed back sans paroles, reste zéro.
Je m’étais passionné à cette époque pour l’Ecole de Palo-Alto et les écrits de Bateson, Watzlawick et consorts. En particulier, le double bind, cette « double contrainte » qui vise à rendre fou l’interlocuteur. « Fais ceci et ne le fais pas » — en même temps, comme dit l’autre… C’est l’une des clés des comportements psychotiques, le sujet soumis à de tels impératifs contraires finit paralysé, incapable de décider quoi que ce soit — et finalement absorbé par le serpent, que ce soit celui de la Genèse ou celui de Mowgli.
J’ai pensé à ces vieux cours en écoutant l’interview d’Olivier Véran réalisée le 2 mai par le Parisien. Notre distingué ministre de la Santé venait de présenter au conseil des ministres un texte prolongeant de deux mois — jusqu’au 24 juillet, et davantage si nécessaire — l’état d’urgence sanitaire : ils n’y croient pas, au gouvernement, à l’extinction de l’épidémie annoncée par Didier Raoult.
Et puis il faut reconnaître que c’est bien pratique, un état d’urgence : cela vous permet de légiférer par ordonnances dans des domaines qui n’ont aucun rapport avec la santé, et d’annoncer tranquillement la fin des 35 heures et leur remplacement par les 48 heures, la suppression des ITT, le décalage des vacances, la création d’une milice appelée poétiquement « brigade d’anges gardiens », et autres joyeusetés susceptibles de paniquer encore davantage le pauvre populo, confiné jusqu’à l’automne ou peu s’en faut.
Mais « en même temps », il faut opérer le déconfinement, parce que la France va tout droit vers la faillite et l’illettrisme. Attention, pas partout, pas pour tout le monde, certains seront plus punis que d’autres. Inquiéter / rassurer. Sortez, ne sortez pas. Sortez masqués. Tremblez de peur, mais allez bosser. Confiez vos enfants à l’Ecole, mais gardez-les chez vous.
De quoi mettre la population entière en état de psychose. Olivier Véran est un docteur dont l’ordonnance vous rend malade. Il rassure tout en inquiétant. Le malade sort de chez lui tout à fait tétanisé, et se précipite, hagard, dans tous les magasins où il trouvera, pour une somme tout à fait déraisonnable, des masques protecteurs qui d’ailleurs ne protègent guère, mais qui seront obligatoires dans les transports en commun, sous peine d’amende. On ouvre les écoles et le métro, mais on maintient les bars fermés et les plages closes. Marseille se déconfine à la bonne franquette ? Des brigades à cheval surveillent le bord de mer, des vedettes d’intervention rapide se ruent sur toute barque, des drones surveillent les calanques. Il va de soi que l’archipel du Frioul, les longues plages de la Corniche et les hauteurs de Marseilleveyre sont des lieux hantés de coronavirus. Comme les plages des Landes et du Languedoc — départements « verts », si j’en crois la belle infographie officielle.
Rappelez-vous le docteur Knock et sa jouissance à savoir « que, dans quelques instant, il va sonner dix heures, c’est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, deux cent cinquante thermomètres vont pénétrer à la fois… » La médecine dont on nous accable est une médecine punitive — et il faudra bien que j’explique un jour quels péchés mortels on nous fait payer en ce moment. En attendant, il ne fait pas bon se vanter de défier la médecine selon le bon docteur Véran / Knock :
« KNOCK : Ce que je n’aime pas, c’est que la santé prenne des airs de provocation, car alors vous avouerez que c’est excessif. Nous fermons les yeux sur un certain nombre de cas, nous laissons à un certain nombre de gens leur masque de prospérité. Mais s’ils viennent ensuite se pavaner devant nous et nous faire la nique, je me fâche. C’est arrivé ici pour M. Raffalens.
LE DOCTEUR : Ah ! le colosse ? Celui qui se vante de porter sa belle-mère à bras tendu ?
KNOCK : Oui, il m’a défié près de trois mois… Mais ça y est.
LE DOCTEUR : Quoi ?
KNOCK : Il est au lit. Ses vantardises commençaient à affaiblir l’esprit médical de la population. »
Si vous n’avez pas le covid-19, vous n’en serez pas moins malade, grâce au double bind habilement distillé et instillé par le bon docteur Véran — au nom du principe de précaution, et de l’intérêt bien compris des labos qui cherchent un traitement très onéreux que les plus pauvres mêmes s’efforceront de se payer, tant l’angoisse sera montée dans la foule, avec des conférences de presse tout à fait optimistes et des médias parfaitement indépendants. Il ferait beau voir que l’on vous soignât avec « des remèdes de quatre sous » — Knock toujours.
Jean-Paul Brighelli
Chronique intégralement dédiée à JCG, généraliste qui offre à tous les internes venus s’aguerrir dans son cabinet un exemplaire du chef d’œuvre de Jules Romains — et à qui je dois l’essentiel de mes connaissances médicales : bien manger, bien dormir, bien vivre, et cesser de se poser des questions idiotes.
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