210170ecbb9b8d706c1f6dc087f7f5abIl est désormais établi que nombre de lycées ont mis en place une double comptabilité : les copies sont notées en valeur plus ou moins réelle, mais les bulletins, qui génèreront les livrets scolaires sur lesquels s’appuiera Parcoursup, sont remplis de notes fantaisistes et sur-évaluées.
Notez bien que les notes « réalistes », celles que MonChéri-MonCœur ramène à la maison, sont elles aussi augmentées, afin de ne pas froisser la susceptibilité des « géniteurs d’apprenants ». Un enseignant qui se risque, aujourd’hui, à noter en s’approchant de la valeur réelle se fait rappeler à l’ordre par les parents d’élèves via les boîtes de dialogue (en fait de surveillance et de pression) de ProNote, — et au besoin, s’il s’obstine, par son administration, qui cherche avant tout à minimiser les écarts entre les notes attribuées et celles que l’on affichera glorieusement dans ce récit officiel qu’est le livret scolaire.

C’est ça, le sale petit secret de la cuisine éducative. En Primaire, on ne note plus — on attribue des couleurs, c’est plus seyant, et le noir est exclu. On a proscrit les redoublements, donc on note de façon à ce que le passage paraisse mérité. On apprécie les « compétences », au lieu de noter les incompétences. Et on a fait du Bac une formalité de fin d’études.
Et cela va, cahin-caha, jusqu’au moment (disons en première année de Master, ou dès le début des prépas) où l’élève se heurte au mur de la réalité, et s’écrase gentiment dans des filières sans espoir qui enseigneront la meilleure façon de passer le temps dans une salle d’attente de Pôle-Emploi. Ou à patienter, assis sur son vélo Uber, entre deux pizzas et trois sushis à livrer.

En 2015, j’ai été convoqué au ministère, reçu par Agathe Cagé, ex-élève de la CPGE où j’enseignais, normalienne et énarque qui a amplement profité d’un système de notation très exigeant et même élitiste, femme de gauche et conseillère de Vallaud-Belkacem. On m’a sondé pour savoir si je collaborerais à un projet de disparition totale des notes. J’en ris encore. Mais c’est pourtant ce qui s’est mis en place — sauf qu’au lieu de les faire disparaître, on les a gonflées. Dans une note donnée en collège ou en lycée, il y a aujourd’hui à parts égales du silicone et de la solution hydro-saline — comme dans les implants mammaires. C’est ainsi que l’on passe d’un honnête 85 B à un 85 E. C’est ainsi que l’on glisse de 6 à 14.

J’explique. Une dissertation de Lettres, en classe de Première, pompée pour l’essentiel sur le Net, mérite techniquement 2/20 (pour le papier et pour l’encre) ; elle est notée aujourd’hui autour de 10 — et l’élève ramassera finalement une moyenne de 13 sur son livret scolaire. C’est mieux que le monde merveilleux de Walt Disney.
D’ailleurs, c’est ce qu’il aura au Bac — vu que les notes y sont tout aussi fictives. Les correcteurs ont des instructions pour ne pas noter en dessous de 8 — et tout enseignant faisant preuve de mauvais esprit est dégagé, et ses notes sont corrigées en commission, afin que le centre d’examen où il a sévi se retrouve à parité avec les autres (les comparaisons arrivent en temps réel, on sait donc sur quoi se baser pour noter). Car on sait, statistiquement, qu’un centre d’examen qui note trop bas menace la fiction des 95% de réussite chère aux parents, aux institutionnels, et aux enseignants qui pour rien au monde ne consentiraient à revoir, l’année suivante, les mêmes têtes de lard face à eux.

Précisons, tant qu’à faire, que le correcteur qui obéit à la contrainte du groupe a lui-même, s’il a le CAPES depuis moins de dix ans, bénéficié d’une notation très optimiste lorsqu’il a passé son concours de recrutement. Les jurys peinent à remplir tous les postes que le ministère met en jeu — au grand dam des syndicats qui voudraient que tous les admissibles non admis de l’année dernière soient promus « reçus » séance tenante. C’est avec ce type de raisonnement que l’on a accepté, au CAPES de Maths il y a quelques années (vous savez, les maths, cette matière dans laquelle nous brillons par défaut au niveau mondial) des postulants qui avaient glorieusement 4 / 20 de moyenne. Ce sont ces gens-là qui enseignent aujourd’hui à vos enfants.

Il y a deux ans, lorsque des syndicats ont accouché de l’idée absurde de faire la grève des copies du Bac, j’ai suggéré plutôt de noter les performances des candidats pour ce qu’elles valaient — quitte à laisser un Inspecteur reprendre patiemment à la main toutes ces moyennes méritées, donc impossibles. Personne, dans le monde syndical, n’a cru bon de faire écho à cette suggestion rationnelle — peut-être par manque de correcteurs capables d’évaluer exactement ce que vaut une copie. C’est plus facile de faire la grève des notes que d’en mettre de mauvaises, toute justifiées soient-elles.

L’ensemble du système est vérolé. Et là aussi, l’Education Nationale a accouché d’un système à deux vitesses, entre les parents informés, qui savent bien que le 18 au Bac de leur rejeton vaudra 6 dès le premier devoir en Maths-Sup (ceux-là ne disent rien, et paient des cours particuliers), et parents peu au fait des réalités, qui ne comprennent pas que la prunelle de leurs yeux n’ait pas au moins 14 de moyenne pour célébrer son manque de travail, de bonne foi, de sens de l’effort et de goût de la compétition.
Vous voulez que votre progéniture soit bien notée ? Faites-la bosser ! Supprimez la télé, les portables, les jeux vidéos, les soirées à papoter dans le vide avec d’autres crétins dans leur genre. Mettez-les au travail. Offrez-leur des livres — des vrais, sans images. Ne les lâchez pas. Faites-leur la guerre.
Ce que vous acceptez de sportifs de haut niveau, la compétition impitoyable, les entraînements éreintants, les matches qui se succèdent à un rythme effréné, il faut l’imposer pour le travail scolaire. Dire « Ils ne seront pas prêts pour les épreuves anticipées du Bac », c’est refuser l’obstacle : il y a une épreuve, à une date donnée, on se débrouille pour travailler afin d’être prêt au jour J. Et c’est tout.

Et s’il vous plaît, laissez les enseignants enseigner. Vous n’allez pas expliquer à votre boulanger comment on fait le pain, vous ne vous risquez pas à contester le traitement que vous ordonne votre médecin. C’est pareil : votre compétence, en matière d’enseignement, est nulle. Autant vous y faire.
Parce que des démagogues ont inventé il y a quelques années la notion creuse de « co-éducation », vous vous croyez autorisés à intervenir dans le champ scolaire — alors que vous n’avez rien à y faire, ni pour juger les notes, ni pour juger les contenus.

L’Education Nationale est un parc d’attractions où chaque détail a été pesé afin de satisfaire et d’illusionner le plus grand nombre — pour que les gogos patientent jusqu’à ce que tombe le couperet. Mais alors, il sera trop tard.

Jean-Paul Brighelli

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