Il est temps que cette campagne électorale s’achève : jamais les problèmes de fond n’ont été si peu posés ; jamais l’image de la France à l’étranger — mais les étrangers qui tentent encore, par sympathie pour le malade, de comprendre quelque chose au florentinisme à la française ne sont plus très nombreux — n’a été aussi désastreusement dérisoire ; jamais nous ne nous sommes tant ennuyés.
Et je ne compte guère sur le second tour pour éclairer les choses. Entre ceux qui voudraient à toute force un débat télévisé parce qu’ils s’y sentent maîtres, et celle qui fuit tout affrontement direct parce qu’il faudrait peut-être qu’elle y défende des idées précises, le hiatus est tel que nous devrons probablement nous contenter des rogatons médiatiques, petites phrases volées en toute complicité, fausses confidences calculées, et envolées lyriques sciemment creuses.

Quid de l’éducation ? Quid de l’économie, des retraites prochainement impayables, de l’immigration nécessaire, de l’impuissance d’achat, du chômage réel (4 ou 5 millions de concitoyens réduits à la portion congrue — jetez donc un coup d’œil sur les caddies des supermarchés !), de la désespérance, des ghettos rebaptisés banlieues — ça fait plus propre —, de la culture bradée à des intérêts multinationaux qui préfèrent des ilotes dociles à des roseaux pensants, de l’Europe envahissante sur les petites choses et inopérante sur les grandes…
Au lieu de cela, de quoi a-t-on parlé ? À gauche (ai-je dit « gauche » ? Quelle dérision !), on a préféré parler Marseillaise. À droite, on a dérapé (sciemment, je pense — et je ne suis pas le seul) vers des petites phrases qui ont fait hurler les démocrates — et parfois, les républicains —, mais qui ont permis d’escamoter les vrais débats. « Rupture » ! clame Nicolas Sarkozy — avec quoi ? Un gouvernement dont il été si longtemps (trop longtemps, ce me semble) l’un des maillons forts ? Avec le modèle français, l’administration conquérante, étouffante — rupture avec l’emploi à vie des fonctionnaires ? On peut compter sur lui pour dégraisser le mammouth, ça, c’est sûr. « Différence » ! assure François Bayrou — quelle différence ? N’est-il pas lui-même, tout agrégé qu’il soit, tout terrien qu’il se prétende, un pur produit de la classe politique à la française ? Centriste ballotté, n’a-t-il pas omis de voter la loi sur les signes religieux, au nom d’une tolérance dont les maisons ont été fermées il y a un bon demi-siècle ?
Quant à Ségolène Royal… Dans la liste des présidentiables, il nous manquait une énarque, le PS nous l’a trouvée. « Justice ! » dit-elle. Oui, dans le midi, on dirait qu’elle est, effectivement, un peu juste. Toute personne ayant trouvé une idée de Ségolène est priée de la lui rapporter, — forte récompense à toucher rue de Solférino…

L’école est à reprendre de la cave au plafond — de la maternelle, pré-engluée dans des méthodes de lecture que Gilles de Robien n’est pas parvenu à éradiquer, à l’université, la plus pauvre de tous les pays de l’OCDE – et je ne parle pas de la Recherche, sinistrée. Où trouverons-nous les milliers d’enseignants déjà nécessaires, et les dizaines de milliers que les départs à la retraite des enfants du baby-boom ouvriront dans les cinq ans ? Contre toute défense, nous n’aurons pas de professeurs, à moins de réinventer les IPES (je l’avais proposé dans « À bonne école », et j’ai eu la surprise d’entendre NS appuyer l’idée fin novembre).

La dette publique lorgne vers celle des USA. Les retraites vont à l’abysse, et la seule solution décente est de faire venir, très vite, des millions d’immigrés pré-formés, parce que l’immigration sera choisie ou nous ne serons plus. Et les belles âmes qui prétendent le contraire n’ont pour elles que les délices suspectes de l’inconscience perpétuée. La gauche et l’extrême-gauche, faute de savoir parler au peuple, tentent, chacune de leur côté, de se fabriquer un peuple de substitution, un peuple de convenance, avec des communautés mises bout à bout. Et peu importe que la République y laisse des plumes, peu importe que des millions de Français de (lointaine) origine étrangère — comme nous tous — se retrouvent otages de ces jeux malodorants, la culture entre deux chaises, proies faciles pour tous les prêts-à-penser de substitution, toutes les dérives et toutes les barbaries.
Le conseil général du Pas-de-Calais préfère détruire les collèges à réhabiliter plutôt que de les amender d’une couche de peinture — et il les reconstruit loin des cités. L’idée est excellente, mais devrait être étendue : ce sont les cités qu’il faut cesser de réhabiliter, et qu’il faut reconstruire, à petites touches, loin des cités. Les discussions sur la « carte scolaire » s’en trouveront facilitées…
Le PS propose un SMIC à 1500 euros à l’horizon 2010 — mais il y sera par effet de levier et inflation, tout naturellement. Dois-je rappeler qu’au Danemark, il est déjà à 2000 euros — et que le patronat danois, pas plus mécène qu’un autre, ne s’en plaint pas ?
(J’ai une tendresse particulière pour le Danemark. Un royaume dont le souverain, en 1940, arborait l’étoile jaune, par solidarité avec les Juifs de son pays, pendant que chez nous certains se hâtaient de mériter la francisque, ne peut être tout à fait pourri).

À moins de considérer que nous sommes déjà le Tiers-Monde de l’Europe — c’est ainsi que nous voient les Anglais, les Allemands, les Hollandais — et les Belges, qui ont en quelques années effacé la dette publique — sans bruit. D’ailleurs, les enseignants français sont les plus mal payés d’Europe — Italiens exceptés. Et il y en a qui nous envient…

Alors, pour qui voter ? Pour qui nous permettra de sortir le plus vite possible de cette panade où nous nous engluons. Pour qui sera le moins interventionniste, et le plus décidé. Le « fascisme » ne se lit pas dans le menton, et le pétainisme gluant se dissimule très bien derrière un beau sourire…
Pour qui voter ? Pour qui, dans l’éducation, offrira la meilleure garantie de liberté pédagogique — en repensant la formation des élèves, et celle des maîtres, par exemple…

Quitte à se faire violence, camarades. Parce que sinon, le vieux monde sera devant nous.

Jean-Paul Brighelli