J’aime beaucoup les pastiches et Patrick Rambaud. Et c’est un quasi-pléonasme, tant Rambaud (que le grand public connaît surtout depuis que la Bataille, en 1997, roman projeté par Balzac et rédigé par Rambaud, a accumulé les distinctions) a commis, depuis trente ans, de parodies inventives des écrivains les plus divers.

Je n’ai pas tout lu. Mais j’avais dévoré le Roland Barthes sans peine, hilarant duplicata du Barthes par lui-même, et la Farce des choses, réalisés l’un et l’autre avec Michel-Antoine Burnier (1). Qui n’a pas goûté, dans un même volume, les œuvres inédites d’Aragon chantant la CGT et le PC de 1968, Bovary revue par Vian, Mallet-Joris, et Sollers successivement, ou deux chapitres arrachés à deux romans essentiels de Gérard de Villiers, la Tigresse de Pékin suivie de la Panthère de Téhéran, n’a rien vu, n’a rien lu. Plus tard, j’ai dégusté ligne à ligne la réfection de Duras qu’offrit Rambaud (sous le pseudonyme de Marguerite Duraille, Virginie Q. puis Mururoa mon amour), si supérieure à l’original dont on nous rebattait les oreilles. Ou les Carnets secrets d’Elena Ceaucescu, œuvre rare parce que Gallimard en fit opérer la saisie, sous prétexte que la couverture parodiait la Pléiade (« Tout corps plongé dans un liquide finit par avouer »).

Les pastiches sont une source infinie de plaisir — à condition de connaître à fond le modèle. sans culture, pas de parodie. Sans remonter aux grands ancêtres du genre, Reboux et Müller et leurs À la manière de, les pastiches de Proust supposent une connaissance intime de Flaubert, des Goncourt, de Sainte-Beuve et quelques autres éminences du XIXème siècle… Jean-Louis Curtis (la France m’épuise, la Chine m’inquiète, ou Un rien m’agite) est incompréhensible sans une fréquentation intime de Bloy, Giraudoux ou Chateaubriand. Umberto Eco (Pastiches et postiches, 1988) sans une bibliothèque dans la tête, c’est impensable. Plus près de nous, si j’ai moyennement goûté le Degré suprême de la tendresse, d’Héléna Marienské (déjà que je supporte mal Houellebecq, une parodie de Plateforme ne m’apparaît pas nécessaire, ni une imitation de Christine Angot — mais chacun appréciera sur pièces), j’ai adoré Kafka’s Soup, de Mark Crick (12005), recueil de recettes rédigées par les grands noms de la littérature anglo-saxonne (mais aussi européenne, puisque l’auteur propose une « Quick Miso Soup » à la manière de Kafka, et un « Tiramisu » façon Proust — ou des « Boned Stuffed Poussins » à la Marquis de Sade).

D’ailleurs, à temps perdu, en voyage notamment, il m’arrive de rédiger quelques lignes qui imitent tel ou tel. Ça défoule. Et je donne régulièrement l’exercice à mes élèves — à charge à eux de nous procurer une lettre inédite des Liaisons ou un sonnet nouveau des Amours de Marie. C’est ainsi, et pas autrement, que je concevrais un « sujet d’invention », comme on dit au Bac, ce qui supposerait une grande maîtrise de Laclos ou de Ronsard. Evidemment, pour cela, encore faudrait-il que les élèves, de la Sixième à la Terminale, aient assez d’heures de Français (on n’a pas cessé de les rabioter depuis les années 1980) et un enseignement tourné vers la littérature, et non vers l’Expression-Communication et le copier-coller.

 

Rambaud, donc, depuis trois ans, raconte dans un style essentiellement emprunté à Saint-Simon la chronique et les frasques de Nicolas Ier — le quatrième tome est sorti en janvier, chez Grasset (2). C’est drôle, assassin, très bien documenté. Et culturel en diable, ce qui dispense Rambaud du souci d’être lu à l’Elysée.

L’acharnement présidentiel sur la Princesse de Clèves (3) était déjà significatif de ce qu’est devenue la culture, sous le règne de Nicolas Ier et plus généralement en système libéral. En fait, je crois qu’il révèle le cœur de cible de l’UMP version 2007-2012 : tous ceux qui ont souffert à l’école, tous ceux qui sont obligés d’embaucher Guaino pour dire deux phrases syntaxiquement correctes, et tous ceux qui pensent que les profs ne travaillent pas assez — bas de la caisse et du plafond réunis. D’où mon effarement de voir quelques ministres, gens de culture et de savoir, s’abaisser pour complaire à l’ilote de l’Elysée.
C’est un faux calcul. Les Français ne sont pas plus cultivés que d’autres, surtout depuis que le système scolaire s’occupe à les niveler par le bas, mais ils gardent un émerveillement pour les livres. Nous sommes un pays où il est tout de même plus chic d’être édité que d’exhiber sa Patek Philippe dans un dîner jusque-là convenable. Je n’en veux pour preuve que le nombre toujours grandissant d’hommes politiques (y compris dans l’entourage très proche de Nicolas S***) qui quémandent et commandent leur autobiographie à un quelconque nègre. Moi, ou mon ami Guy Benhamou — ou Rambaud, qui fut une sommité dans cette honorable profession de l’ombre.

 

Je n’ai qu’un conseil de lecture à donner à Nicolas Ier, qui paraît-il a été récemment mis au régime livres par sa chère et tendre — on sent tout de suite, à l’entendre chanter, que Baudelaire ou Eluard n’ont qu’à bien se tenir.

Dans les 1001 nuits, le calife Haroun al-Rachid (qui contrôla effectivement Machreb et Maghreb à l’époque où Charlemagne régnait) sort régulièrement de son palais, la nuit, déguisé en marchand, escorté le plus souvent de son poète favori, et descend dans la ville pour demander, au hasard des rencontres, ce que l’on pense de son administration. Nicolas Ier devrait oser le bistrot, de temps en temps — ou la salle des profs. Sans service d’ordre pour établir un glacis de 200 mètres. Sans que l’on ait remplacé les honnêtes buveurs de goutte et de café matinaux par des militants de l’UMP de petite taille. Juste pour voir — et pour entendre. Et sans que Claude Guéant lui donne la main.

Et demander ce que l’on pense de son administration. Calculer, de là, ses chances de survie en 2012. Se résigner peut-être, alors, à être un jeune retraité, au mépris de la loi qu’il a fait voter — mais nous ferons une exception pour lui. C’est en tout cas le conseil que voudraient lui donner la plupart des députés de son propre parti, qui tiennent à leur poste et ne souhaitent pas être entraînés dans sa chute. Mais ils n’osent pas. Ils n’osent même pas (à l’exception d’Estrosi, qui cause depuis qu’il est en disgrâce) lui dire tout le bien qu’ils pensent de sa récente initiative sur l’Islam. Napoléon laissait parler Chateaubriand, qui disait pourtant des choses désagréables : il avait assez de surface en lui-même pour ne pas s’offusquer de celle des autres. Mais Napoléon III déportait outremer ses opposants : régime farcesque, à en croire Marx, mais sanglant tout de même. Napoléon IV, farce de la farce, cherche à imposer sa censure préalable, dans les médias comme dans les consciences. Sans espoir. Sans succès.

 Oui, essayez le Principe d’Haroun. Sinon, on s’apercevra que vous expérimentez celui de Peter.

L’élection de 2007 s’est jouée sur la capacité du candidat à bien dire les mots d’un autre — qui est paraît-il en défaveur ces temps-ci, la reconnaissance est une vertu un peu lourde à porter. La campagne de 2012 se jouera sur des duels autrement aigus que celui qui opposa un acteur bien rodé à la dinde du Poitou.

Ce n’est jamais bon, pour un régime, de se couper de la culture, en croyant que la réussite sociale et financière suffit en soi, et qu’avoir, c’est être. Déplorable confusion grammaticale et politique. Chirac, interpellé par un escogriffe qui le traitait de tous les noms, lui lança, en vrai lecteur de Cyrano (4) : « Enchanté, moi, c’est Jacques Chirac » — et non pas : « Casse-toi, pauv’ con ! » Cette présidence-ci a pour la culture un mépris abyssal — et en récolte la monnaie. La Princesse de Clèves se venge, et Rambaud est son héros.

Jean-Paul Brighelli

(1) Auteur, avec Frédéric Bon, en 1986, d’un essai sur la finalité dernière des politiques (Que le meilleur perde, Balland, 1986) qu’il faudrait rééditer d’urgence, tant les errements analysés dans ce livre hilarant, pour qui se souvient des contradictions de la Gauche au pouvoir en ce début des années 1980, rappelle la course à l’échec de la Droite en ce début des années 2010.

(2) Ô avaricieux et autres mal lotis, les trois premiers volumes existent déjà en Poche. Je vous laisse juges de la décision qui s’impose.

(3)Pierre Assouline s’est fait chroniqueur des attaques de Nicolas S*** contre le roman de Mme de Lafayette. Dans l’ordre : http://passouline.blog.lemonde.fr/2006/12/10/qui-veut-tuer-la-princesse-de-cleves/, puis http://pire-racaille.blogspot.com/2007/08/sarko-et-la-princesse-de-c-les-propos.html, et enfin http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/16/le-president-veut-il-la-peau-de-la-princesse/.

(4) « Maraud ! faquin ! Butor de pied-plat ridicule ! » — Ah ? Et moi Hercule-Savinien de Cyrano de Bergerac. » C’est à l’acte I.