Rêve de Bac scientifique…

L’un des assidus de ce blog, professeur de Physique-chimie, et « au demeurant — comme dit Rabelais — le meilleur fils du monde », m’a reproché avec quelque raison de ne pas me préoccuper assez des sciences, et m’a fait parvenir un sujet de Bac de sa façon — un « rêve de bac », pour reprendre ses termes.
Et de préciser :

« Il y a chez les enseignants de sciences physiques (de tous niveaux d’enseignement) quelques consensus (des vrais et des faux) et quelques « dissensus » clairs :

– vrai consensus (calculs sans calculette sur les ordres de grandeur) ;
– faux consensus (l’aspect expérimental des sciences physiques) : Tous les enseignants de physique ou de chimie vous le diront, l’aspect expérimental est essentiel. Dès qu’on fouille un peu, de sévères clivages apparaîtront sur les rapports théories / expériences (à la fois épistémologiques et didactiques). En arrière-plan permanent, les relations physique/mathématiques (toujours sur les deux plans épistémologiques et didactiques).
Il faut bien voir que la tendance actuelle est à l’expérimentalite (voyez par exemple la lettre sur le métier de maître de l’IGEN de physique : http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/physique/phychi2/spip.php?article79)
– vrai « dissensus » : les contenus des programmes et la façon de les traiter… »

Puis il commente « son » sujet :

« Cet énoncé peut fonctionner comme un électrochoc :
– il est quasi inattaquable sur le contenu : tout est contenu dans le programme officiel au sens strict.
– il est scientifiquement intéressant. Je prends les discours pédagogols au mot par une référence constante à la « réflexion » et au « sens » physique (mots dont ils ont la bouche pleine, mais qu’ils dégradent à l’envi dans la réalité très pauvre de ce qu’ils produisent) tout en mettant haut le curseur sur le plan mathématique.
– il respecte les élèves au sens où les réponses ne sont pas triviales.

Le premier exercice proposé (sur les ondes le long d’une corde) est essentiellement qualitatif. Quantitativement, il ne fait appel qu’à la seule relation entre vitesse, distance parcourue et durée du parcours. C’est élémentaire et développé dès l’école primaire avec des raffinements progressifs au collège. Il n’en reste pas moins vrai qu’une infime partie d’une classe de terminale S sait résoudre un problème de rencontre de véhicules (vous savez : une voiture part de A à 9h00…)
Bien que tout le monde puisse a priori se représenter mentalement le contexte (un ébranlement qui se propage le long d’une corde tendue), la difficulté de cet exercice est à mon sens très grande : il y a de multiples façons de s’y planter si on n’a pas sans cesse à l’esprit la signification des différents termes de cette relation. Beaucoup d’élèves, dépassés sur le plan conceptuel, incapables d’empathie avec les objets et les êtres physiques ou mathématiques, cherchent l’abri d’une formule accueillante dont l’usage en pilotage automatique les dispensera de tout effort. En forçant à peine le trait, c’est le fameux coup du calcul de l’âge du capitaine avec des données qui n’ont rien à voir.
Une autre difficulté conceptuelle de cet exercice réside dans la représentation : il s’agit précisément de distinguer la représentation de la déformation u(x) de la corde partout à un instant donné (une photographie, en d’autres termes) avec la représentation u(t) de ce qui se passe dans le temps en un endroit donné de la corde (ce qu’une caméra fixe enregistrerait à cet endroit). La plupart des élèves décodent mal ce que représente le premier schéma.

Quant au second exercice, je viens de le donner samedi en devoir surveillé à mes élèves, suite à son traitement préalable en séance de Travaux pratiques (2h) suivie d’un cours de 2h où j’ai notamment (re)traité chaque question en détail. J’ai pris l’habitude de leur donner de temps en temps une épreuve sérieuse entre deux problèmes « type bac ». Ils comprennent très bien la démarche — ainsi que leurs parents (« qui peut le plus peut le moins », « on prépare aussi l’après bac », « ceux qui ne sont pas exigeants avec vous ne vous respectent pas », etc.). Bien sûr, je surnote ce genre d’épreuves car je ne peux évidemment pas « n’être cohérent qu’avec moi-même » sur ce plan (dossier de prépas notamment !!)

Le dernier exercice est, à mon avis, aussi difficile sur le plan conceptuel que mathématique. L’empathie des élèves avec une bobine électrique est à peu près aussi faible que celle d’une poule avec un couteau…
Sans les multiples aides données dans les exercices actuels d’électricité au Bac (équations différentielles fournies, simple vérification demandée d’une solution quasiment donnée, etc.), je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui dans ce pays plus de 5% d’élèves capables de le mener au bout correctement. »

Quelques schémas incorporés ne passent pas sur ce blog. On les trouvera sans peine sur http://d.krauss.free.fr/editos/reve_de_bac.html.

Last but not least. Je suis bien incapable, moi JPB, d’analyser la pertinence scientifique du sujet proposé. J’ai donc demandé à un mien collègue de CPGE, au lycée Joffre (Montpellier), dont on trouvera l’analyse rapide ci-après — ainsi que le commentaire du commentaire du concepteur du sujet (ouf !) — de commenter brièvement le rêve de DK.
Bonne lecture à toutes et à tous…

JP Brighelli

Donc…

Rêve de Bac / Physique – Chimie / Session de 2012…

Les trois exercices suivants doivent être traités et sont indépendants. Durée 4h00

Les questions sont imprimées en italique.

La calculatrice est autorisée à condition que l’usage que vous en faites contribue durablement à votre développement intellectuel, c’est à dire ni comme prothèse neuronale ni comme cache misère de formules magiques inutilisables.

Le barème de notation tiendra largement compte du respect de l’orthographe et de la grammaire dans les explications et commentaires.

Une réponse ou une suite d’égalités sans texte de commentaire ou d’explication entraînera une note nulle. Il en va de même pour une réponse manifestement invraisemblable.

EXERCICE I : ONDES

On considère une longue corde (20 mètres environ), horizontale, assez tendue et immobile.

Une des extrémités de la corde, prise comme origine des abscisses, est brièvement mise en mouvement verticalement. L’autre extrémité est fixée sur un support.

Dès le début de cette mise en mouvement, un système optique déclenche un chronomètre situé à 3,50 m de la source ainsi qu’une caméra qui y enregistre les mouvements éventuels de la corde.

On convient que l’axe des abscisses est orienté de la source vers l’autre extrémité de la corde ; celui des ordonnées est orienté vers le haut.

L’observation ultérieure du film permet de réaliser le graphique simplifié donnant l’ordonnée u(t) du point d’abscisse 3,50 m en fonction du temps :

1- De quel type d’onde s’agit-il ?

2- Le mouvement de la source se déroule en deux phases successives. La phase la plus tardive est-elle une montée ou une descente ? Dure-telle plus longtemps ou moins longtemps que la première ?

3- Quelle est la valeur de la célérité de l’onde ?

4- Représenter l’allure vraisemblable de la fonction u(t) pour le point d’abscisse 6,00 m (l’instant origine étant le début du mouvement de la source).

5- A l’instant 200 ms (l’instant origine étant le début du mouvement de la source), donner les valeurs des abscisses des points qui sont en train de descendre.

6- Est-il vraisemblable qu’un système de communication optique puisse déclencher le chronomètre situé à l’abscisse 3,50 m pratiquement en même temps que le début du mouvement de la source ?

Aurait-on pu réaliser cela aussi bien en regardant la source du point d’abscisse 3,50 m et en déclenchant manuellement le chronomètre et la caméra ?

7- On suppose que le mouvement de la source est maintenant périodique. Plus précisément, sur une période, le mouvement de la source est le précédent suivi d’un temps mort de 35,7 ms. Graphiquement, le déplacement vertical uS de la source est représenté ci-dessous sur quelques périodes :

et ainsi de suite, indéfiniment. On suppose la corde suffisamment longue pour qu’il n’y ait pas d’onde réfléchie sur l’autre extrémité de la corde. On suppose que la célérité de l’onde vaut maintenant 8 m.s-1.

– Par quel moyen peut-on changer ainsi la valeur de la célérité ?
– Déterminer la valeur de la période T ainsi que celle de la longueur d’onde λ.
– Représenter graphiquement de façon vraisemblable l’état de la corde à l’instant t = 3,5.T (l’instant origine étant le début du mouvement de la source) pour des abscisses comprises entre 0 (la source) et 3,00 m.

EXERCICE II – EQUILIBRES CHIMIQUES

Données pour tout l’exercice :
– Conductivités ioniques molaires pour quelques types d’ions (à 20°C) :

– Masses molaires atomiques en g.mol-1 : H : 1,00 C : 12,0 O : 16,0 Na : 23,1

A- Préparation de 2000 mL d’une solution d’acide éthanoïque de concentration apportée 0,200 mol.L-1 :

1- L’acide éthanoïque pur est un liquide incolore, dangereux (autant par les vapeurs qu’il dégage que par contact). Pur, à 20°C, sa masse volumique vaut 1,05 g.cm-3.

Ecrire le bilan de la réaction acido-basique des molécules constituant l’acide pur avec l’eau. Quels sont les couples acide/base mis en jeu par cette réaction ?

2- Calculer la valeur de la masse ou du volume d’acide pur à ajouter à l’eau pour obtenir la solution voulue.
Décrire en détail le protocole de préparation de la solution voulue (schémas annotés et commentés).
On expliquera notamment s’il vaut mieux peser ou mesurer un volume ou si cela n’a pas de réelle importance ici.

3- On mesure la conductivité de la solution obtenue ; on obtient 0,74 mS.cm-1.

3-1 Faire un schéma annoté du dispositif de mesure.

3-2 Enoncer la loi de comportement électrique des solutions aqueuses reliant la conductivité d’une solution aux concentrations des espèces qui y sont présentes.

3-3 Déduire de la valeur de la conductivité mesurée au 3-) la valeur de la concentration des ions éthanoate et oxonium effectivement présents dans la solution. Traduire ces concentrations en quantités de matière (en mmol) dans les 2000 mL de solution.

3-4 La réaction a-t-elle été totale ou limitée ? En calculer le taux d’avancement.

3-5 Faire un inventaire quantitatif (en mmol) des diverses espèces présentes dans les 2000 mL de solution (molécules H2O exclues).

B- Apport d’éthanoate de sodium solide dans la solution précédente :

L’éthanoate de sodium est un solide ionique soluble dans l’eau. Il est hydraté et sa formule statistique s’écrit CH3COONa, 3H2O. On pèse 0,50 g de ce solide.

1- Faire une liste des espèces contenues dans ce solide. Ecrire les relations existant entre les quantités de matière de ces diverses espèces contenues dans un échantillon quelconque de ce solide.

2- Calculer (en mmol) les quantités d’espèces de chaque sorte contenues dans cette masse.

3- On dissout soigneusement l’éthanoate de sodium pesé dans la solution fabriquée au I.
Expliquer comment réaliser pratiquement le pesage et la dissolution (on s’aidera éventuellement de schéma annotés et commentés). Cette dissolution a-t-elle changé significativement le volume de la solution ?

On suppose que les ions sodium sont spectateurs ici.

4- Montrer que la dissolution du solide ionique entraîne un déplacement de l’équilibre décrit au I-4-4 dans un sens que l’on précisera et expliquera.

5- La mesure de la conductivité de la solution obtenue donne 0,64 mS.cm-1.

5-1 Réaliser un tableau d’avancement partant de la solution immédiatement après l’ajout du solide et aboutissant au nouvel état d’équilibre après sa dissolution.

5-2 Exprimer la loi de comportement électrique de cette solution. En déduire la valeur (en mmol) de l’avancement final.

5-3 Déduire de ce qui précède un inventaire quantitatif détaillé (en mmol) des espèces présentes dans la solution. Quelle proportion des ions éthanoate introduits (par le solide apporté) a-t-elle été consommée lors du déplacement de l’équilibre ?

6- Vérifier numériquement que la solution obtenue est électriquement neutre.

EXERCICE III – ELECTRICITE

On dispose d’un générateur continu réglable quasi idéal, d’une ampoule, de faible puissance, assimilée à un conducteur ohmique de résistance Ra ≈ 100 Ω et d’une bobine à noyau de fer de résistance Rb ≈ 12 Ω et d’inductance L ≈ 1,4 H.
Dans un premier temps, on règle la force électromotrice du générateur à E ≈ 3,0 V et on lui connecte la bobine et l’ampoule (tous les dipôles étant branchés en dérivation les uns par rapport aux autres).

1- En régime permanent, les grandeurs électriques étant toutes constantes dans ce circuit, on constate que l’ampoule brille faiblement.

1-1 Faire un schéma du circuit réalisé. On donnera des noms aux bornes et on précisera les notations et les orientations choisies pour les tensions et les courants.

1-2 Déterminer littéralement puis numériquement, les intensités des courants qui circulent dans la bobine et dans l’ampoule puis l’énergie stockée dans la bobine.

1-3 Enoncer les lois de l’électricité utilisées.

2- A l’instant pris comme origine, on ouvre brutalement l’interrupteur qui commande le générateur ce qui a pour effet de débrancher brusquement le générateur (la bobine et l’ampoule restant branchées entre elles).

2-1 Sans faire aucun calcul, expliquer :
Comment va se comporter la bobine ? Que va devenir l’énergie stockée dans la bobine ?

2-2 Quelle est, et pour quel dipôle, la grandeur électrique qui garde la même valeur algébrique juste avant et juste après l’ouverture de l’interrupteur ?
Quelle conséquence cela a-t-il sur le sens du courant traversant l’ampoule à l’ouverture de l’interrupteur ?
Calculer la valeur de la tension aux bornes de l’ampoule juste après l’ouverture de l’interrupteur.
Comment va évoluer l’éclat de l’ampoule ?

2-3 Ecrire l’équation différentielle vérifiée par l’intensité du courant qui circule dans l’ampoule pour t ≥ 0.
La résoudre compte tenu des conditions initiales que l’on explicitera.

2-4 Déduire de ce qui précède, le graphe numérique des évolutions de la tension entre les bornes de l’ampoule (on graduera avec soin les axes et on se restreindra à l’intervalle -0,5 s < t < 1 s).

2-5 Comparativement, que se serait-il passé si on avait réalisé le circuit avec le même générateur, la même ampoule mais avec une bobine d’inductance 10 mH et de résistance 3 Ω environ ?

Commentaires (JSW)

« Notre collègue essaie, si j’ai bien compris, de proposer sur les bases actuelles un sujet de bac qui se tient. J’ai lu le sujet du bac 2007 pour voir de quoi on part :
c’est un sujet long avec beaucoup de lecture, de questions plus proches du commentaire de texte que de la science, des questions (certainement très bien notées) où l’on demande de calculer des quantités de matière, des volumes, etc… ou des exercices type qcm. En chimie, le but d’une manipulation ne semble pas être la démonstration, la compréhension mais le calcul d’un rendement.
Chimie :
A l’inverse, dans l’épreuve de notre collègue, les questions sont liées, avec comme but final l’interprétation et l’étude d’un équilibre chimique. Cette notion est au cœur du programme de chimie et l’expérience à exploiter permet de vérifier, lors de la phase d’interprétation, la bonne compréhension de ce phénomène (en l’occurrence un déplacement d’équilibre). Certaines questions laissent le candidat mettre le problème en équation pour en tirer la donnée nécessaire à la compréhension du phénomène. C’est intéressant. La calculatrice est nécessaire, mais on pourrait limiter les abus en imposant des modèles de calculatrice scientifique non graphique. C’est au candidat de critiquer les valeurs qu’ils trouve, pour les corriger, et cela n’est pas (comme dans le sujet du bac) sujet à question. Bref, il lui est laissé pas mal d’initiative pour mener à bien la résolution. Dans le même temps, la suite de questions permet à un élève moyen d’avancer dans le problème jusqu’à un certain point.
En conclusion, je me suis intéressé surtout à la chimie car je connais bien le programme et ce qui en reste par la suite. En plus, je donne des cours aux TS de Joffre et je suis assez au courant de ce qui est fait concrètement.

En physique, il y a une équation différentielle à établir, ce qui correspond à la bonne démarche : étude du problème, utilisation des connaissances pour établir l’équation qui régit l’évolution du système. L’aspect « mathématique » est suivi d’interprétations qualitatives. A nouveau, initiative et compréhension de la démarche sont nécessaires.

En conclusion globale, j’aurai cependant deux critiques :
– Peut-on vraiment croire, vu la façon dont se passent les corrections et les commissions d’harmonisation, que « le barème de notation tiendra largement compte du respect de l’orthographe et de la grammaire dans les explications et commentaires » ? Et qu’« une réponse ou une suite d’égalités sans texte de commentaire ou d’explication entraînera une note nulle. Il en va de même pour une réponse manifestement invraisemblable ? »
Cela me semble un vœu pieux.

– Je trouve que l’ensemble est trop court pour le temps imparti (4h?). Une bonne épreuve ne devrait permettre qu’aux tous meilleurs d’arriver au bout. En relation avec cette critique, trop de parties du programme sont laissées de côté, notamment le programme de Première.

Je suis plutôt d’accord avec la conclusion de la note qui accompagne ce texte :
« On pourrait aussi penser qu’une « remathématisation » raisonnée des programmes, évitant les dérives insignifiantes du tout calculatoire, pourrait rétablir, chez nos élèves, des ossatures d’analyse et de raisonnement qui leur font cruellement défaut. « 
Bref, une refonte des programmes… »

Commentaire du commentaire (DK)

« Je crains que notre collègue ne me considère avec un excès de sérieux dont vous savez qu’il ne constitue pas intégralement ma marque de fabrique !

« Lorsque je parle de barème de notation ou de sanction pour absence de rédaction, il s’agit très clairement de la manifestation plutôt sarcastique d’un vœu à moyen voire long terme, dont je n’ignore absolument pas qu’il constituerait un motif d’émeute s’il était appliqué hic et nunc !

« Il en est presque de même de l’épreuve proprement dite. Telle qu’elle est, donnée à des élèves actuels de Terminale S, on aurait moins de 25% de copies ayant traité au moins la moitié des questions et un nombre massif de copies pratiquement nulle. A l’intérieur d’un même exercice, les questions sont souvent « à tiroir » et la première déjà hors de portée d’un bon quart des élèves actuels de TS… »

Et maintenant, à vos commentaires !
JPB