Pardon pour le plaidoyer pro domo qui suit. Mais il est temps, me semble-t-il, à quelques mois des Présidentielles, et au milieu des torrents de boue qui commencent à se déverser, ici comme ailleurs, de remettre les pendules à l’heure. « Une école sous influence » est en librairie, et avant que d’aucuns me fassent un mauvais procès avant même de l’avoir lu, j’en rappellerai ici les grandes lignes.

Philippe de Villiers approuverait, me dit-on, quelques-unes de mes « idées » ; Nicolas Sarkozy serait en phase avec certaines autres. Tant pis, tant mieux. Dois-je protester ? Me couvrir la tête de cendres ? À quoi bon ?
Peut-être ces idées, qui d’ailleurs ne sont pas exclusivement les miennes, correspondent-elles aux soucis contemporains…
C’est Thierry Jonquet, peu suspect de sympathies droitières, qui rappelait brièvement (dans « l’Ecole face à l’obscurantisme religieux », Max Milo Editions) que Villiers a dénoncé, sans être démenti (et le MRAP, qui avait dans un premier temps porté plainte, vient de la retirer) les menées de ces intégristes qui instrumentalisent l’Islam tout entier. Ou que Sarkozy a été à peu près le seul à appeler un chat un chat, et Tariq Ramadan un ennemi des Lumières.
Ni Thierry Jonquet ni moi ne partageons quoi que ce soit avec Villiers ou Sarkozy. Mais le fait est là : si on laisse aujourd’hui à la seule extrême-droite le privilège d’énoncer quelques vérités blessantes, on fait le lit du racisme. Parce qu’à des analyses difficiles mais nécessaires, on substituera un prêt-à-penser passionnel et mortifère.. Si une vraie gauche rappelle que, comme l’aurait dit Hugo sur son lit de mort, « c’est aujourd’hui le combat du Jour et de la Nuit », on a une petite chance de replacer le débat sur le terrain politique et républicain.

J’ai dit « républicain » : ce doit être un gros mot, pour certains de mes détracteurs, particulièrement dans cette gauche loukoum composée de sociaux-démocrates qui ne renieraient pas Tony Blair, et de petits ambitieux qui, faute de talent, comptent sur l’élection d’une personnalité sans envergure pour grignoter un poste ou un autre. Ils n’ont pas eu Jospin en 2002, ils n’ont toujours pas compris pourquoi, leurs appétits frustrés se sont aiguisés — au secours, la gauche la plus bête du monde revient.
Et la droite la moins intelligente (cette fois, ce n’est pas moi, c’et De Gaulle) rivalise en ce moment de propositions démagogiques, en pensant attraper le maximum de mouches. Quid d’un projet politique, d’un côté ou de l’autre ?
Tous mes instincts, tout mon passé, me portent à gauche — mais quelle gauche ? Celle d’une candidate qui soigne son icône faute d’avoir un programme ? Ou d’un capitaliste qui ressemble à s’y méprendre aux bourgeois jadis portraiturés par Ingres, avec les mêmes mœurs et les mêmes amis ?
Le seul discours de gauche, actuellement, est tenu par Fabius — quoi que je pense de son passé, ou de l’authenticité présente de ses positions. Ou de sa capacité à faire passer une autre politique. Je sais simplement qu’il y a autour de lui des hommes et des femmes doués de discernement, et moins corrompus que les autres.
Les sondages lui donnent moins de 10% des voix de gauche. C’est dire l’état dans lequel se trouve le PS. À force de se vouloir attrape-tout, il a rattrapé la droite. Bientôt l’extrême-droite ?
Peut-être faut-il d’ores et déjà se fixer des buts réalistes — demander l’impossible, et préparer 2012, par exemple. Tenter de restaurer la République, fort menacée ces derniers temps. Peut-être faut-il dire (mais je l’expliquais déjà, ici même, dans une note du mois de mai, « le nœud du problème ») qu’il nous faut choisir entre la voie difficile d’un retour aux valeurs républicaines, et les facilités d’une démocratie de plus en plus molle, qui offrira des tribunes à tous ceux qui défendront leurs intérêts, leurs avantages, ou leurs superstitions. Bref, un retour à l’Etat, ou la dilution dans le règne de l’individu.

Et quel individu ?
Un homoncule formaté par une école qui, de plus en plus, évite soigneusement de porter dans le crâne des enfants un quelconque savoir cohérent ? Un gogo à qui l’on a fait croire qu’il pouvait s’exprimer, alors qu’il n’avait rien à dire ?
Et pour cause : on s’est bien gardé de mettre quoi que ce soit, sinon des poncifs dangereux, dans son crâne désespéré.
Désespéré, parce que je crois très fort que tous les enfants ont une immense envie d’apprendre, et que s’il y a eu tant d’écoles dévastées lors des émeutes de novembre 2005, c’était par dépit — parce que les jeunes des cités n’y avaient pas trouvé les nourritures terrestres qu’ils étaient en droit d’en attendre.
La loi Jospin de juillet 1989, en posant le dogme de la « liberté d’expression » des élèves, alors même que l’idéologie pédagogiste contribuait déjà à éviter que ce même élève ait quelque chose de sensé à dire, a accentué la dérive vers les communautarismes les plus divers. Chacun désormais est un oracle. Quand bien même il se contente de répéter, en la déformant, une culture familiale parfois peu inspirée.
Qui ne voit que « respecter » les opinions de chacun, en souhaitant à toute force l’expression prioritaire des « différences », c’est ne voir que ces différences ? Qui ne comprend que faire une distinction entre Noirs, Maghrébins, Chinois, c’est leur renvoyer à la tête la couleur de leur peau ou leurs pratiques cultuelles ? C’est ne les voir que sous leur couleur.
J’ai des élèves de toutes origines. Quasiment tous Français. Et je ne vois, dans l’école de la République, que des Français. Point / barre.
Dialoguant avec Jean Baubérot, spécialiste officiel de la laïcité, le seul à ne pas avoir voté le rapport final de la commission Stasi sur les signes religieux à l’école (voir le Point du 19 octobre), j’ai appris — un peu stupéfait, tout de même — que la République ne respectait pas les femmes, puisqu’elle ne les distinguait pas en tant que femmes. Mais qu’une religion qui les voile, ou qui les engloutit sous une burka, puisqu’elle les reconnaît comme femmes, quand elle ne les lapide pas, les respecte davantage…

Le barbare nouveau est arrivé. Il est, au sens le plus étymologique du terme, celui qui ne parle pas la langue de la Cité — mais qui éructe celle des cités. Ce n’est qu’en acquérant le véhicule linguistique commun au pays dans lequel on vit que l’on peut effectivement tenter d’échapper au ghetto, et à la fatalité sociale — parce qu »’il n’y a pas, dans une nation où l’école joue pleinement son rôle, de fatalité sociale. Le barbare nouveau, qui parle si bien le « djeune », traite ses amis et ses ennemis de « sale feuj », sans sourciller ; forcé »ment, dans une époque de grand désarroi économique et culturel, on en revient aux boucs émissaires traditionnels — les Juifs (Ilan Halimi n’a été enlevé, séquestré, torturé et achevé que parce que dans l’esprit de ses trente tortionnaires — l’équivalent d’une classe entière —, il était riche, puisque juif), et, surtout, les filles (voir ma note « Pitié pour les filles »).
Et je m’étonne un peu que des féministes convaincues, qui brûlaient leurs soutiens-gorge à l’aube des années 1970 parce qu’elles y voyaient un signe d’aliénation, tolèrent tant de voiles sur la tête des jeunes femmes d’aujourd’hui. Le progrès, ces temps-ci, avance à reculons.
Mais sans doute avons-nous l’école que nous méritons, en ce moment. Encore un effort, et nous retournerons à l’âge de pierre.

Si, en écrivant cela, je suis, comme me l’écrivent certains, un affreux, un fasciste, un nazi, et que sais-je encore, c’est que, comme disait Laclos, « les vices se sont changés en mœurs », et qu’il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. D’ailleurs, j’abandonnerai ce blog après les élections, parce que j’en ai un peu marre de me faire insulter par des cloportes.
Que faire pour eux — pour remonter, encore une fois, le niveau ?
Recopier ces dernières réplique de l’acte II du Caligula de Camus — un autre affreux, celui-là, qui n’avait pas bien saisi en quoi les exactions des uns et des autres, en Algérie, étaient des œuvres de Justice…
Dialogue entre le jeune Scipion, quelque peu idéaliste, plein d’espoir en la vie, et l’empereur qui regarde déjà vers l’autre versant :

« – Tous les hommes ont une douceur dans la vie. Cela les aide à continuer. C’est vers elle qu’ils se retournent quand ils se sentent trop épuisés.
– C’est vrai, Scipion.
– N’y a-t-il donc rien dans la tienne qui soit semblable, l’approche des larmes, un refuge silencieux ?
– Si, pourtant.
– Et quoi donc ?
– Le mépris. »

Jean-Paul Brighelli