Les plus ambitieux des politiques ont enfin compris que la prochaine élection présidentielle ne se gagnerait pas seulement sur l’art de l’anaphore — une constante des discours de Guaino / Sarkozy — mais sur les idées. Bonnes, si possible. Sur le débat de fond. Sur l’économie, sans doute. Sur l’Ecole, probablement.

Vincent Peillon et Jean-François Copé se sont donc tous deux exprimés sur le système éducatif. L’un dans les colonnes du Parisien il y a quelques jours (1), l’autre sur BFM il y a quelques heures (2).

Florilège croisé et commenté…

« La revalo ! » chantent les syndicats depuis quelques décennies. Peillon les a entendus : 50% d’augmentation (ça, c’est un chiffre qui parle à l’imagination, mieux que « 1,7 points au 1er juillet »…). En contrepartie (pourquoi diable une contrepartie ? Peillon pense-t-il qu’un enseignant qui s’échine dans un collège — ou plusieurs simultanément, comme tant de TZR — pour 1350 euros par mois ne mérite pas d’être mieux considéré par la République ?), un allongement de 50% du temps de présence…

Une institutrice qui a aussi des fonctions de directrice remarquait récemment sur ce blog qu’elle commençait à 8 heures et quelques, et finissait à 19 heures et un peu plus. Tous les jours. Peillon veut-il aussi la faire travailler la nuit ? Combien de profs passent de jolies heures nocturnes à corriger des copies ? Ou à faire de la formation permanente ?

Seconde idée lumineuse : puisque les samedis sont désormais vacants — une mauvaise idée, je l’ai dit ici même bien des fois, mais comme le SNUIPP, après sondage auprès de ses membres, s’est aperçu que bien peu d’instits voulaient en revenir à l’ancien système, et que par ailleurs les programmes sont à peine suffisants pour contenir l’illettrisme (je ne parle même pas de l’enrayer) —, le même Peillon propose trois semaines de vacances de moins.

Trois semaines de moins pour les enfants – dont je croyais, à tort sans doute, qu’il fallait leur donner des temps de récupération. Quand ? À la Toussaint, probablement — ou à la Trinité : impossible de toucher à Noël, parce que c’est Noël, ni à Février ou Pâques, au risque d’entendre protester les marchands d’or blanc qui ont inventé les zones et l’alternance (si pratique pour les parents divorcés n’habitant pas dans le même secteur…), ni aux grandes vacances, de peur de contrarier les locations mensuelles… Monsieur Peillon, qui est agrégé de philo et qui a enseigné de 1984 à 1997, ignore sans doute, parce qu’il n’a eu que des Terminales, ce que représente, en fatigue nerveuse, le fait de faire cours en collège, en LP, et dans certains lycées. Enseignant une matière dont les programmes n’ont pas changé depuis des lustres, sinon en s’allégeant, il ne peut savoir que nombre d’enseignants passent une bonne part de leurs vacances à préparer les cours de l’année à venir, en fonction de programmes sans cesse réécrits…

Mais doit-on rappeler que Vincent Peillon fut l’un des trois porte-parole de Ségolène Royal en 2007, et que la Madone du Poitou plaidait déjà pour 35 heures de présence des profs ? Les mauvaises idées ont la vie dure, c’est même à ça qu’on les reconnaît…

Côté Copé, ce n’est pas plus brillant.
Idée-choc du maire de Meaux — qui devrait d’abord balayer chez lui : le système éducatif de sa ville laisse fort à désirer —, une « vraie » autonomie des établissements. Une autonomie libérale, qui permettrait de renforcer le pouvoir des chefs d’établissement, encouragés à avoir des idées lumineuses, et, surtout, à recruter eux-mêmes leurs personnels.

Je vois ça d’ici. Des chefs d’établissement embauchant ce qui leur convient en matière d’idéologie éducative, et, en concertation avec les parents d’élèves, veillant sur les contenus. Nous revoici aux beaux jours d’un système à l’américaine où l’on n’enseigne pas Darwin parce que ça choque les fondamentalistes du coin (4). Et il y en a pas mal — à Meaux et ailleurs.

Darwin, ou Voltaire. Ou Nietzsche. Tant pis pour la laïcité. Tant pis pour la culture.

Autre idée lumineuse du guide suprême de la seconde cité de la moutarde : enseigner des langues en prise avec la culture familiale des élèves — l’arabe, par exemple.

Pauvre Jean-François ! Il est mal renseigné. Il y a belle lurette que l’arabe est enseigné, en collège comme en lycée ; et que cela pose bien des problèmes, parce que l’arabe qui s’enseigne est l’arabe littéraire, et que nombre de beurs qui s’y collent s’aperçoivent soudain que leurs parents ne le parlent pas — juste un arabe dialectal qui ne leur est d’aucun secours dans leurs études. La considération qu’ils avaient encore pour leurs géniteurs en est toute écornée. Le patron du groupe UMP à l’Assemblée devrait se renseigner : la langue des Mille et une nuits n’est pas celle de la casbah.

Quel but poursuit donc le Guide suprême des Meldois ? Rien de moins que « sortir du collège unique » — par exemple en spécialisant chaque collège sur un niveau précis : des collèges de Sixièmes, des collèges de Cinquièmes… Cela, paraît-il, devrait favoriser au passage « une vraie mixité sociale ».

Gag. Qu’on les regroupe par âges au lieu de les mélanger ne changera rien au recrutement géographique des collèges. Il faut non seulement commencer par déposer le constat de faillite du collège unique, mais encore constater que les ZEP, cela coûte cher et ne marche pas.

Toutes ces belles choses, il les a proposées en assemblée plénière, après avoir projeté la Journée de la jupe (bonne idée, ou joli alibi ?) à un auditoire de lycéens, proviseurs, membres de la PEEP (qui s’extasie systématiquement devant tout ce que propose le gouvernement, c’est bien dommage) et… de syndicalistes du SGEN.

Fermez le ban ! Copé nous refait le coup de Gaudemar, qui pour faire passer une réforme du lycée aventureuse, avait cru bon de contourner le SNES et le SNALC, en s’appuyant sur les deux syndicats archi-minoritaires que sont le SGEN et le SE-UNSA. C’était l’ouverture sarkozyenne au niveau de l’Education. Sûr que les sectateurs du SGEN auront applaudi ces propositions invraisemblables — pour eux, toute utopie injouable est reçue dans l’extase.

Pour finir, Copé revient sur l’illusion techniciste — « un ordinateur par élève » — que le département des Landes a partagée il y quelques années, à grands frais (45 millions d’euros) pour des résultats inexistants. « Il ne faut pas craindre de développer le e-learning », affirme-t-il. Ah, ça revient moins cher que de recruter des enseignants bien formés à leurs disciplines, et ça remplit les poches des vendeurs de soft et de hard — « hard », en ce qui concerne l’usage que les élèves font de l’informatique, n’étant pas vraiment une métaphore.

Alors, « Génération France » chez Copé, « Espoir à gauche » pour Peillon, voici revenue la mode des clubs et des forums d’idées. Ce n’est pas une mauvaise chose — à condition d’avoir des idées.
Peillon est censé en parler dans un débat sur l’Education qui s’ouvre le 14 novembre à Lyon, avec des Verts et Marielle de Sarnez pour représenter le MoDem. Tiens, je devrais m’y inviter. Nous devrions tous nous y inviter. Pour leur donner des idées.

Je suis éminemment favorable à un Programme commun, sur une base minimale, de tous ceux qui aspirent à un changement réel. Les Verts, pour le moment, s’y opposent — malgré les reproches de Cohn-Bendit, qui a à lui seul plus de politique dans la tête que tous ces courants vert-pomme, vert pâle et vert-rouge. Certains, au PS, n’adhèrent guère à l’initiative : quitte à perdre, autant ne pas prendre le risque de gagner. Et puis, un PS dont les idées sur l’Education sont synthétisées par l’ineffable Bruno Julliard ne risque pas d’accoucher demain des deux ou trois idées fortes qui permettraient de réorganiser un vrai, un grand débat sur l’Ecole.

Par exemple, repenser l’Education en termes de qualitatif, et non de quantitatif : un ordinateur par élève, à quoi bon, quand les élèves ne savent pas lire ?

Sans préjudice de revalorisation des salaires : oui, Vincent Peillon, 50% de revalorisation en début de carrière, ce ne serait pas trop. Et sans contrepartie.

Jean-Paul Brighelli

PS. Natacha Polony, qui cumule le double désavantage d’être belle et intelligente (ou, si l’on préfère la version hard, d’être agrégée de Lettres et journaliste au Figaro) a désormais son propre blog « Education » — sa spécialité depuis qu’elle a publié Nos enfants gâchés, bien avant la Fabrique du crétin. Sur-titré « Eloge de la transmission » — j’ai dû dans le temps intituler ainsi l’une des Notes de Bonnetdane.

Donc, pour continuer à penser ailleurs qu’ici :

http://blog.lefigaro.fr/education/

Allez-y, il y a de quoi moudre.

 

 

(1) http://www.leparisien.fr/societe/reforme-du-college-les-idees-chocs-de-cope-22-10-2009-683631.php

 

(2) http://www.lepost.fr/article/2009/10/09/1733345_vincent-peillon-le-pacte-pour-l-ecole.html

et

http://www.lepost.fr/article/2009/10/12/1738512_le-pacte-pour-l-ecole-de-vincent-peillon-des-propositions-a-partager.html

 

(3) Quand donc comprendra-t-on qu’il faut créer un corps spécifique de directeurs d’école, que c’est un travail à temps plein — au moins dans les écoles de grande taille ? Un ami qui l’est à la Martinique, avec 350 élèves, me faisait remarquer hier qu’un principal de collège a des adjoints, et que tous gèrent à plein temps, parfois avec un nombre d’élèves équivalent, alors que lui est supposé faire cours en même temps…

 

(4) Sauf qu’aux USA, cela remonte à 1925, au Tennessee (100$ d’amende au prof qui enseignait les théories de l’évolution) ; qu’en 1968, la Cour Suprême a jugé inconstitutionnel de s’opposer à l’enseignement du darwinisme ; et qu’en 2005, un juge de Pennsylvanie a rejeté l’enseignement de « l’intelligent design », promu par tous les fondamentalistes bushiens et sous-bushiens (http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2005/12/20/007-USA-Darwin-Dessin.shtml). Mais Jean-François Copé a sans doute, lui, un dessein plus intelligent encore.