« Par égoïsme, méchanceté ou éclectisme, je ne veux jamais être lié à aucun parti politique, quel qu’il soit, à aucune religion, aucune secte, à aucune école ; ne jamais entrer dans aucune association professant certaines doctrines, ne m’incliner devant aucun dogme, devant aucun pince et aucun ;principe, et cela uniquement pour conserver le droit d’en dire du mal. »
(Maupassant, lettre à Catulle Mendès, 1876).

La Droite en général, et Nicolas Sarkozy en particulier, ont bien saisi que l’Education était un thème prioritaire dans cette campagne qui s’ouvre. J’ai peur que cette idée toute simple n’ait pas encore traversé la cervelle étroite de l’Immaculée Conception, ni de ses amis.

Si je compare les dernières moutures de la pensée des uns et des autres, je me retrouve à opposer le discours que l’un a tenu à Angers il y a quelques jours (http://www.u-m-p.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/reunion_publique_angers_vendredi_1er_decembre) et le projet élaboré par les autres (http://projet.parti-socialiste.fr/tag/le-texte-du-projet/partie-ii-legalite-reelle/). Et chacun, en se reportant à ces deux déclarations d’intention, pourra déjà se faire une idée du gouffre qui sépare, sur ce sujet, la Droite déclarée de la Gauche prétendue.

(Avant d’aller plus loin, je voudrais baliser mon propos. Jacquou le croquant (celui qui boit de la Corona à l’Elysée, pas le héros imaginé par Eugène Le Roy en 1899, qui fit les beaux jours de la télévision — Stellio Lorenzi, en 1969 — et nous prouva encore une fois que Laurent Boutonnat n’a pas d’autre talent que de réaliser les clips de Mylène Farmer — voir l’adaptation dramatique qu’il tira du roman en 2004), le grand Jacques donc a, paraît-iil, l’habitude de dire que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Ce fut vrai de tout temps — mais cela englobe les promesses de gauche autant que les promesses de droite. Je prends donc avec des pincettes les propos des uns et des autres. Ce qui m’importe, c’est ce qui est à l’œuvre dans ces propositions, en particulier els sous-entendus, les présupposés, les connotations — et, en sous-main, les hommes qui les ont inspirées.)

Le projet socialiste parle de petite enfance — garderie pour tous dès trois ans —, de « pédagogie différenciée » en fonction de la « diversité » des enfants (s’agit-il de diversité de niveau, ou de diversité culturelle ? Qu’est-ce que c’est que cette éducation qui prétend, dès le départ, opérer des distinctions ? Sur quels critères ?), et propose de s’appuyer sur le réseau associatif et la présence prolongée des enseignants dans les établissements (35 heures !) pour combattre la « marchandisation » de l’école — pur produit, pourtant, des programmes au rabais et des pédagogies molles actuellement en usage, et imposés par la Gauche.

Au passage, je note que ces propositions concernent essentiellement les ZEP — fort peu touchées, et pour cause, par ladite marchandisation : ce ne sont pas les parents démunis des Zones d’Exclusion Programmée qui envoient leurs rejetons chez Acadomia —, sur lesquelles on déversera apparemment un flot de subventions. J’aimerais croire que cela suffira — les sommes englouties dans les ZEP depuis leur création n’ont pas franchement porté leurs fruits.
Et puis… Et puis c’est tout. Rien sur la pédagogie, rien sur les programmes, rien sur la dévalorisation des diplômes, rien sur l’orientation désastreuse qui conduit des dizaines de milliers de bacheliers vers des voies sans avenir. Rien non plus sur la formation (est-ce d’ailleurs le mot adéquat ?) des maîtres qui conduit tant d’entre eux à porter un masque durant leurs années d’études, ou à se réfugier derrière des idéologies artificielles, avant de se prendre dans les dents le retour de manivelle du réel, et la pauvreté de leurs savoirs face aux demandes des élèves — qui, insatisfaits, se retournent vers le premier Tariq Ramadan qui passe, qu’il soit musulman ou scientologue.
Rien non plus sur la laïcité, agressée de toutes parts depuis qu’on a donné aux élèves (loi Jospin de 1989) le droit d’exprimer, dans le vocabulaire étroit qui leur est imparti, l’absence d’idées qui caractérise ceux qui n’ont rien appris — et les énormités qui vont avec.
Rien de la colère qui monte des écoles, des collèges, des lycées — et des dizaines de blogs qui, comme celui-ci, ont voulu espérer une réponse de gauche à des errements de gauche.

Et de l’autre côté ?

De nombreux participants de ce blog ont cité des extraits des dernières propositions de Nicolas Sarkozy. Je veux bien croire qu’elles sont millimétrées, et qu’il y a des calculs politiciens derrière chaque phrase (mais j’en crois autant des sourires silencieux de la Sainte Vierge qui, ces jours-ci, baladait ses banalités au Proche-Orient).
Que dit pourtant le petit Nicolas ?
Derrière une rhétorique volontiers répétitive, il dénonce tout ce contre quoi je me bats — et pas mal d’autres avec moi — depuis des années : les examens bradés, les facs opérant de la sélection par l’échec, les grandes écoles bien plus sélectives, socialement parlant, que dans les années 1960.
Et au-delà, le contenu même de l’enseignement — « c’est en choisissant les lectures faciles et les lectures courtes qu’on humilie les enfants des milieux populaires », dit-il non sans pertinence.
L’ensemble de ce discours est un résumé des propositions et des opinions qui courent dans les blogs spécialisés, dans les salles de profs — et dans le public.
Ce qui est drôle — à mes yeux, particulièrement —, c’est qu’apparemment les conseillers qui ont contribué à son discours ont lu de bien beaux ouvrages sur le sujet…
Je regrette que l’émission « À vous de juger » du jeudi 30 novembre, en consacrant trop de temps aux questions de sécurité, ait considérablement mordu sur le temps théoriquement dévolu à l’éducation. J’avais de fort belles questions à poser au candidat sur ses déclarations idiotes sur la Princesse de Clèves — alors même qu’il est capable de parler littérature avec un certain brio. Mais tout cela remonte à février dernier, et s’il est une chose que j’ai comprise de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il ne s’accroche pas à des convictions, c’est le moins que l’on puisse dire. Il a une pensée en évolution permanente…
En fait de libéral pur jus, c’est surtout un anti-idéologue. C’est nécessaire quand on est ambitieux.

Je ne me fais guère d’illusions sur ce que serait la gestion de l’Education Nationale d’un gouvernement Sarkozy : la bivalence des enseignants (Robien vient de réinventer les PEGC d’il y a trente ans), des salaires plafonnés (mais ils le sont depuis vilaine lurette), des relations tendues avec les syndicats (je ne parviens pas à m’en émouvoir), et une sélection à tous les étages qui ne se fera pas forcément au mérite. De même, je me suis déjà largement exprimé sur la question de la discrimination positive, qui n’est qu’un pis-aller en attendant que des programmes bien conçus permettent de dégager de vraies élites dans tous les milieux — permettent en fait à chacun de se hisser au plus haut de ses compétences, l’inverse exact du principe de Peter.
Le nivellement pas le bas, ça suffit.

J’ai déjà dit que dans l’hypothèse d’un duel Sarkozy-Royal, je voterais blanc. Je ne déteste pas assez Sarkozy pour donner mon vote à une femme qui n’a pas le commencement d’une idée — sinon celle des Cahiers pédagogiques, qui se sont déclarés à son service, quand on sait lire (http://www.cahiers-pedagogiques.com/). Si la « démocratie participative » consiste à écouter les thuriféraires de la déroute scolaire, nous pouvons craindre le pire. J’ai pourtant entendu Philippe Meirieu, qui a fréquenté l’Immaculée Déception quand il était conseiller d’Allègre, me dire pis que pendre de l’auteur (faut-il dire « auteure » ? Je ne le crois pas) de la « circulaire Royal » (voir http://desirsdavenir.over-blog.com/article-1870012.html, ou http://bernardhanse.canalblog.com/).
Il y a des actes qui dégradent définitivement : personne ne peut plus honnêtement soutenir Georges Frêche, quand on sait ce qu’il pense des harkis et des Noirs, personne ne peut croire que Ségolène Royal n’ait pas les mains tachées de sang de Lady Macbeth.
Alors, bien sûr, celles et ceux qui voteront demain pour la Sainte Vierge sont soit engoncés dans une spirale irrationnelle (on désire la toucher dans ses meetings, comme si elle guérissait les écrouelles), ou aiguillonnés par leurs ambitions et leurs calculs — je ne vois pas d’autre raison d’apporter son vote à Ségolène Royal.
Tant pis pour eux, tant pis pour nous.
Il reste la possibilité qu’une vraie personnalité de gauche se présente, afin de donner une chance à ceu qui y croient encore de s’exprimler autrement que par un vote nul. Le « Che » de Belfort roule des épaules, mais je crois qu’il négocie simplement quelques sièges pour lui et ses amis aux législatives. Jean-Luc Mélenchon, paraît-il, ne décolère pas, ces jours-ci — mais a-t-il l’envergure d’un Oskar Lafontaine ?

À chacun de se déterminer, en fonction de ce qui est proposé. À chacun d’imaginer ce que seront les élections de… 2012. En attendant, à chacun d’imaginer les moyens de faire tenir parole aux candidats, en 2007 : ce sont les luttes quotidiennes qui engagent les femmes et les hommes politiques à tenir leurs promesses, et un bulletin de vote n’a jamais été un blanc-seing.

Jean-Paul Brighelli

PS. Si l’on veut avoir une idée de ce que le communautarisme au sens le plus étroit peut produire dans des cervelles, je conseille de lire l’article paru dans le Monde il y a deux jours (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-840819,0.html?xtor=RSS-3208). Que la défense de la créolité dérape vers une pensée digne du Protocole des Sages de Sion est une illustration répugnante de ce saut dans l’irrationnel qui caractérise la démocratie sans République de ces derniers temps.