Rien n’est simple, sur l’Ile de Beauté, surtout quand on complique tout.
La dernière livraison (Décembre 2008) de l’excellent magazine Corsica publie une longue interview de l’actuel Recteur de l’Académie de Corse, Michel Barat, qui — fait assez remarquable pour être souligné — dit les choses carrément, et soutient les enseignants de l’île, tout récemment en grève pour une affaire dont le Continent n’a pas bien saisi la complexité — et la gravité.

Rappel des faits — les passages entre guillemets sont extraits de l’interview.

   Des fraudes ont eu lieu lors de concours en 2007 : le recrutement de SASU (secrétaire d’administration scolaire et universitaire) et « surtout le concours de recrutement de professeurs des écoles » ont fait l’objet de divers truandages sur lesquels la Justice mène une enquête toujours en cours, à la demande même de l’autorité académique.

Et voici qu’il y a quelques jours, s’exprimant sur le sujet, le Procureur de la République ajoute à la liste le baccalauréat 2008, dont pourtant, dit le recteur, « les interrogations et les notations ne souffrent pour moi d’aucune suspicion ».

   « Des écoutes téléphoniques judiciaires, ajoute-t-il, celles que d’ordinaire on utilise pour les trafiquants de drogue » (et les autonomistes mal pensants — JPB) « ont été mises en place depuis la plainte déposée par le recteur Prado au titre de l’article 40. Elles concernaient des postes de téléphones ou des portables des personnels du rectorat et peut-être même le mien », ajoute le recteur dont on sent qu’il en a gros sur la patate.

L’Education Nationale sur écoute ? En Corse, c’est possible !

Et alors, qu’ont entendu les Grandes Oreilles de la Maison Parapluie ?

Que des notes de mathématiques auraient été relevées. Fort bien. Comme dit le recteur, « les notes définitives ne sont pas celles d’un examinateur isolé mais celles décidées collectivement par le jury. Aucun candidat ne eut être déclaré refusé sans que le jury ait pris connaissance du livret scolaire d el’élève, ce qui conduit naturellement à relever les notes. Enfin, avant la dernière réunion du jury devant valider ou non le baccalauréat, il y a une harmonisation technique de la notatin des interrogateurs de chaque discipline afin d’éviter des excès de rigueur ou des excès de laxisme dans la notation. »

On pense ce que l’on veut d’une telle procédure, qui a évidemment pour but de monter le taux de réussite (et un rapport de 2006 sur « l’évaluation de l’enseignement dans l’Académie de Corse », signé entre autres de Mark Sherringham, actuellement conseiller de Xavier Darcos, ne laissait planer aucun doute sur la nécessité de remonter les notes des lycéens de l’île — voir http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/064000747/index.shtml). Mais c’est un processus très ordinaire. Evidemment, comme dit le Recteur, « les interprétations judiciaires qui en découlent sont liées à une méconnaissance des procédures et des règlements de passation de cet examen ».
   Pour faire bref, il n’y a pas eu, de l’avis du Recteur (et des enseignants consultés) de fraude au Bac 2008.

 

   Le Recteur s’étonne donc qu’on ait, déjà, « remis en cause le secret des délibérations d’un jury souverain ». Alors, certes, la Corse étant ce qu’elle est (toute petite), la mère d’un candidat avait eu, entre le premier et le second oral, une conversation avec le Secrétaire Général de l’Académie — ah, l’imprudent ! — « qui lui avait indiqué que si la note de philosophie de son fils n’évoluait pas », le garnement devrait « obtenir 14 en mathématique pour être reçu. » Inutile de préciser que l’examinatrice de philo ne connaît pas ladite maman (ah, le rôle des mères en milieu méditerranéen ! Tout un poème !), et que la note finale a été attribuée par le jury — souverain. Aucune malversation de ce côté. Aucune malversation du tout.

   Mais, comme dit plaisamment le Recteur, « c’est une originalité corse que de mettre l’administration d’un rectorat, voire des professeurs, sur écoute pour une question de fraude aux examens. » Et de noter que cela remet en cause la secret des délibérations, mais aussi « la discrétion nécessaire quand il s’ait de jeunes gens » : « Nous sommes là à la limite de la violation du secret professionnel. »

   Que voulez-vous, Monsieur le recteur, la police corse a des moyens, et de grandes oreilles. On les lui a octroyés pour traquer des autonomistes qui n’ont pas fait grand chose, et des truands qui n’ont rien fait du tout — à les en croire. Le même numéro de Corsica détaille par ailleurs, sous la plume de mon ami Antoine Albertini, comment les RG écoutent la PJ, et ce qui en découle, dans une guerre des polices qui nous ramène aux années 70 — mais en Corse, tout, toujours, ramène au passé.

   « L’usage d’écoutes téléphoniques, ajoute le Recteur, pour des personnels d’éducation dans l’exercice de leur métier me semble outrancière, voire déplacée. Et « la pratique d’une garde à vue de 24 heures prolongée à 48 heures m’apparaît totalement excessive. »

   Monsieur le recteur va se faire taper sur les doigts. A-t-il oublié que la loi sur l’île s’exerce dans toute sa rigueur ? Et qu’un chef-flic intelligent (Dominique Rossi), qui connaît bien son île et n’a pas oublié l’affaire si mal gérée de la cave d’Aleria, et a choisi de ne pas intervenir lorsque des autonomistes viennent prendre un bain de pieds dans la piscine d’un histrion, peut se faire virer par sa ministre, sur un ordre d’en haut ?

   D’autant qu’il en rajoute une couche. Un « gardé à vue » a été retiré de la cellule qu’il occupait, pour être balancé dans une cellule plus exiguë, déjà occupée par deux personnes, dont un membre de l’administration rectorale, où tous trois dormirent (mal) et par roulement, « à même le sol et la tête quasiment dans la cuvette des WC à la turque ». Une jeune professeur (elle a intérêt à avoir la vocation, pour rester dans l’EN après tout ça) a passé 48 heures en pleurant et « n’a pu qu’une seule fois répondre aux nécessités d’une hygiène féminine en étant transportée dans les locaux de la police de l’aéroport ». Mais, Monsieur le Recteur, 14 au Bac — quel crime abominable !… « Rien que la port n’était capable d’expier son forfait », comme disait La Fontaine. « Il faut souligner que les personnels appartenant réellement au commissariat d’Ajaccio ont tout fait pour alléger l’humiliation des professeurs ou des administratifs de l’Education. » Mais, s’inquiète-t-il, « était-il nécessaire de terroriser cette jeune professeure en lui affirmant que son concours de CAPES et sa maîtrise, obtenus d’ailleurs sur le continent, ne valaient rien parce qu’elle les aurait achetés » ?

   Les risques du métier, Monsieur le Recteur ! Quand un professeur qui a giflé un élève est mis en garde à vue dans une gendarmerie, quand un professeur qui n’a rien fait du tout est accusé — à tort — par une élève de l’avoir violentée et finit par se suicider, quand… La liste est longue : nous sommes, c’est entendu, des justiciables comme les autres — mais voilà on ne nous traite pas comme les autres.

   L’affaire suit son cours, comme on dit. Mais le Recteur, après avoir noté que « si le fait d’être examinateur au Bac peut conduire au même sort que ces deux professeurs, je crains fort que nous connaissions des défections », conclut intelligemment : « Comment voulez-vous que des élèves quelquefois turbulents, voire pire, respectent leurs professeurs s’ils savent que du jour au lendemain, sur des prétextes légers, leurs maîtres peuvent être traités comme des malfaiteurs » ?
   Surtout sur une île où l’on ne maltraite pas forcément les malfaiteurs…

 

Jean-Paul Brighelli

 

Merci à Constant Sbraggia, auteur de l’interview dans Corsica.