Xavier Darcos veut donc lancer une énième campagne de sensibilisation au racisme et à l’antisémitisme (1).

   Cela fait des années que les enseignants crient au loup. Confrontés aux « arguments » de leurs élèves (« les Arabes sont des terroristes», « les feuj sont des assassins »), ballottés par une actualité internationale dont il est de bon ton, désormais, de parler en classe, comme si « libérer la parole » faisait avancer les choses, ils témoignent de leur désarroi. Ce fut d’abord, sous la direction d’Emmanuel Brenner, les Territoires perdus de la République » (Mille et une nuits, 2002). Puis Barbara Lefèvre et Eve Bonnivard (« Elèves sous influence », Audibert, 2005). En 2006, Max Milo publia le « rapport Obin » sous le titre l’Ecole face à l’obscurantisme religieux » — et le donna à commenter à une brochette de bonnes volontés. Je ne cite que pour mémoire ma propre contribution au débat (Une école sous influence, Gawsewitch, 2006). Et j’ai parlé ici même il y a quelques mois de la dernière parue de ces déplorations, le Tableau noir de Iannis Roder (Denoël, 2008 — voir http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2008/10/18/notes-de-lecture.html).

   Je crois que nous nous trompons tous. Déplorer le fanatisme ambiant, le racisme qui ne se cache plus, l’antisémitisme qui s’étale, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant.

   Et combattre ces manifestations de l’intégrisme et de la radicalisation des uns et des autres, c’est un coup d’épée dans l’eau.

   Si j’essaie de comprendre d’où viennent ces affirmations d’autant plus stupides et dangereuses qu’elles sont immotivées, mais se donnent comme des évidences, je peux bien sûr prendre en compte la situation internationale, la ghettoïsation scolaire se rajoutant à la ghettoïsation sociale, la montée du chômage et des difficultés économiques dans un monde où les médias font miroiter le contentement immédiat — etc., etc.. Sans compter les grosses bêtises qui ont rampé de façon plus ou moins souterraines depuis un siècle ou deux — la question des races, par exemple, dont l’affirmation engendre automatiquement, dans les esprits débiles, une interrogation vite résolue sur la hiérarchie desdites « races »…

   Mais enfin, des conflits au Moyen Orient, ce n’est pas un fait tout à fait nouveau. Les quartiers en déshérence, cela ne fait jamais qu’une cinquantaine d’années que ça dure. Le chômage, la déstabilisation des familles, la dévalorisation des pères et le mépris des mères, cela a commencé après le premier choc pétrolier — il y a trente ans. Quant à la société du spectacle, elle ne date pas d’hier — le livre de Guy Debord a paru en… 1967.

   Et pour ce qui est des passions rampantes, depuis Gobineau ou les Protocoles des Sages de Sion, d’affaire Dreyfus en Shoah, de rumeur d’Orléans en « points de détail », nous les avons vus remonter à la surface du bourbier à maintes reprises. En même temps, ces éruptions de fièvre étaient clairement identifiables, confinés à des individus ou des milieux spécifiques (une certaine tradition chrétienne intégriste, ou une idéologie mortifère circonscrite dans l’Histoire). Ou les fantasmes d’un Breton planté sur son menhir.

   Que s’est-il donc passé ces dernières années pour que le racisme s’étale, que l’antisémitisme se décomplexe, que les propos les plus infâmes se reproduisent avec la tranquille assurance du bon droit ?

   Je ferais volontiers remonter cette banalisation de l’inacceptable à un double mouvement — l’un qui concerne la transmission des savoirs, et l’autre l’irruption de plus en plus notable de « l’éducation » dans ce lieu d’instruction qu’était autrefois l’Ecole.

   D’abord, la transmission des savoirs — la pédagogie, en un mot. Moins on en apprend aux enfants, moins les apprentissages sont normatifs, imposés, plus on célèbre la « compréhension » au détriment de l’absorption, et plus le Savoir se relativise. Plus de normes, plus de bornes.

   Il n’y a pas trente-six moyens de faire comprendre aux chères têtes blondes que la connaissance des tables de multiplication est essentielle : en les lui faisant apprendre par cœur. En les lui faisant réciter comme un mantra. Exactement comme les talibans d’ici ou de là-bas apprennent le Coran, à ceci près qu’une multiplication opère dans le réel, et la foi dans le fantasme. Dans la plupart des apprentissages de base, il n’y a pas plus à « comprendre » que dans l’endoctrinement religieux : et si on ne garnit pas la demande de certitudes élémentaires des enfants avec des savoirs scolaires, ils se la passeront avec des certitudes aberrantes. Relativiser le Savoir, c’est s’exposer à le mettre en concurrence avec des non-savoirs érigés en absolus.

   Second point : la sur-valorisation de l’esprit d’examen. Ce n’est pas tout à fait par hasard que la Philosophie s’étudie en terminale — et encore, nous sommes les plus précoces en la matière. Ce n’est pas un hasard non plus si toute une tendance « éducative » veut faire de la Philo plus tôt — y compris en CP. On relativise à tout-va. On écoute ce qu’a à nous dire Monchéri ou Moncœur. On ne veut pas le brimer. À la rigueur, on le gronde gentiment quand il en sort une énorme. On ne lui dit jamais qu’il est un petit con : on risquerait de le brimer, et pour peu qu’il appartienne à une minorité visible, il en déduirait ­—  lui ou ses parents, ou la FCPE, ou la LICRA, ou… — qu’on lui en veut pour sa couleur de peau, sa religion, ou sa région.
   Du coup, on relativise — et pourtant, il y a des choses que l’on ne peut pas relativiser. Un raciste est un crétin. Un raciste est un salaud. Tout individu qui établit une hiérarchie entre les races, ou qui pense que sa religion est plus belle que celle de son voisin, est un crétin et un salaud.

   Nous n’avons pas, nous enseignants, à accepter une seconde, au nom d’une « liberté d’expression » dont il faut enfin dire qu’elle n’appartient pas encore à l’élève, à accepter les délires et les affirmations sanglantes. Mais nous avons surtout à reprendre en main toute la méthodologie du Savoir : le Savoir est normatif, sa transmission est verticale, de haut en bas, et si quelqu’un prétend que son opinion vaut la vôtre, il faut lui faire comprendre, rapidement, qu’il est un gros crétin — et, éventuellement, un salaud.

   Le meilleur moyen de combattre le racisme et l’antisémitisme, dont nous avons pensé trop tôt qu’ils étaient confinés dans les délires de quelques inaboutis, c’est de revenir à la norme, et à l’autorité. D’en finir avec les « débats » qui ne sont jamais que le champ d’expression de la Bêtise enfantine. Et tout ministre — celui-ci ou le prochain — devrait le savoir : ce n’est pas par décret que l’on se débarrasse du racisme, c’est en refondant l’Ecole.

   Et notre combat n’est pas seulement un combat pour l’Ecole : c’est un combat pour la civilisation, parce que le relativisme des pédagogies contemporaines, c’est la porte ouverte à la barbarie. Nous y sommes : à nous de la refermer.

Jean-Paul Brighelli

 

(1) http://www.lepost.fr/article/2009/01/16/1389602_xavier-darcos-affirme-sa-determination-a-lutter-contre-le-racisme-et-l-antisemitisme-en-milieu-scolaire.html

C’est une tâche récurrente que s’assigne le ministre. Déjà en 2004 il avait expressément demandé aux éditeurs scolaires de veiller à ce que les contenus des manuels… Il aurait dû aussi, dès cette époque se soucier de méthode.