Xavier Darcos, dans un article du Monde signé Luc Cédelle (1), donne donc quelques indications sur ce que pourrait être le lycée des années 2010.
Indications parfois inquiétantes — la « modularité », l’alternance de cours et de « moments d’étude » (?), et cette « autonomie des lycéens » qui ressemble à s’y méprendre à une multiplication des TPE —, et parfois pragmatiques : le soutien généralisé, avec en vue une diminution du nombre de redoublants.
Et Luc Cédelle, en bon petit soldat du pédagogisme toiletté, de se référer immédiatement à Philippe Meirieu, pour qui « éviter les redoublements au lycée permettrait une économie de l’ordre de 45 000 postes » (dites-moi, mon ami, de quel chapeau tirez-vous ce chiffre ?). Avant de passer, dans le paragraphe suivant, à l’énigmatique « personnalité issue de la maison, et pas forcément de droite » que le ministre chargera de la réforme des lycées, et de conclure sur la « continuité » de la future réforme avec les travaux de la commission Fauroux (1996) et ceux de… Philippe Meirieu — coucou, le revoilou.

La ficelle est un peu grosse, mon cher Cédelle. Voulez-vous forcer la main du ministre, et lui faire croire qu’il susciterait l’enthousiasme en nommant le bon apôtre de Lyon ? Voulez-vous par ailleurs nous faire croire, à nous qui le connaissons un peu, que le ministre vous a glissé, off, une confidence sur l’identité de son candidat, qui pourrait bien être le chantre du pédagogisme ? Allons donc ! Darcos sait bien que s’il nommait Meirieu à un quelconque poste de responsabilité, il se retrouverait avec une levée de boucliers, à droite comme… ailleurs. Que les soutiers du SNES ne lui en sauraient aucun gré, parce qu’ils le vomissent. Et que les bons petits soldats du SNALC déserteraient en rase campagne, en appelant à l’émeute (2).
Mais il aurait le soutien de l’UNSA… Ça compte… Frackowiack conseiller aux programmes et à la pédagogie, en remplacement de…
End of the nightmare, my dear MS. L’insubmersible Meirieu a le droit de jouir en paix de sa retraite — ou peut-être y a-t-il un emploi de bedeau, quelque part en Dauphiné, qui le séduirait ?

Mais je reviens à mes moutons et à la question du redoublement. J’ai abordé l’ensemble de ces problèmes dans « Fin de récré », et je me contenterai d’en faire une synthèse.

Le 9 novembre 2007, Xavier Darcos s’inquiétait — déjà dans le Monde — de cette permanence du redoublement en France (en moyenne, 18% des élèves redoublent à un moment ou un autre — un record mondial), et prévenait qu’il entendait « diviser par trois, d’ici à la fin de cette mandature, le nombre d’élèves en situation d’échec lourd » et réduire de moitié le taux de redoublants. Comment ? « Parmi les éléments les plus saillants et qui n’avaient pas encore été évoqués ces dernières semaines figure un renforcement de l’évaluation : celle des acquis des élèves, qui sera systématiquement communiquée aux familles, comme celle des écoles et des enseignants, contrepartie d’une “liberté pédagogique” solennellement réaffirmée, laissant aux enseignants le choix des méthodes… »
Mais, monsieur le Ministre, ce n’est pas tellement l’évaluation qu’il faut renforcer : c’est l’enseignement lui-même ! C’est en réformant le Primaire intelligemment — nous y sommes —, en refondant le Collège — il y a encore du boulot — et en repensant le lycée — on y arrive — que nous parviendrons à cet Himalaya de la vraie pédagogie — 100% de réussite, ou peu s’en faut.

« 100% d’élèves passant chaque année dans la classe supérieure ! Mais comment ! Vous faites vôtre un argument des pédagos les plus jusqu’au-boutistes… »
Pas même. Le pédagogisme, cet égalitarisme forcé, produit plus de redoublements que jamais système élitiste n’en a osé — et ne propose jamais, pour toute remédiation, que les cours privés dont il a fait la fortune. 18 % des élèves redoublent durant leur scolarité primaire, et la même proportion échoue à un Bac simplifié ? Qui me fera croire qu’il y a, dans une classe bien menée, 18 % de cancres ?

On redouble rarement pour cause de faillite globale. Un élève a souvent des retards dans une ou deux matières – souvent des domaines majeurs comme le français ou les mathématiques. La plupart du temps, d’ailleurs, le collégien en est conscient, dès le mois de septembre : « Moi, le français, j’y comprends rien. »
Il est essentiel d’œuvrer en amont et en aval. En amont, en détectant dès la rentrée les enfants en difficulté, et en leur prodiguant des heures de soutien. En aval, en réinventant, par exemple, des examens de passage (avec des sujets nationaux, pour éviter les magouillages locaux), qui pourraient se dérouler fin août, après un été passé à bûcher sérieusement – quitte à profiter des locaux scolaires, des bonnes volontés diverses, ou du volontariat rémunéré des enseignants, pour que les élèves motivés passent deux mois à ne pas perdre une année. Et financièrement, l’organisation de tels stages, ou de tels examens, ne coûtera qu’une fraction des sommes englouties à perte dans un redoublement inutile (en moyenne, 12 000 € par an et par élève).
Et je laisse l’augure du Rhône calculer ce que cela représente en postes désormais inutiles. J’ai toujours pensé que les diktats de Bercy, en ce qui concerne les suppressions de postes, c’était la charrue avant les bœufs. Réformons les programmes, réformons la pédagogie, osons l’imagination, et calculons après ce que cela fait économiser.

Quitte à faire hurler, j’irai jusqu’au bout de mes convictions. Je rêve — je l’ai écrit dans une Note précédente — d’un système scolaire qui amènerait 100 % d’élèves à l’obtention d’un diplôme sérieux, à condition que cette exigence de sérieux ait présidé aux programmes et à la pédagogie depuis la maternelle. Le Bac doit sanctionner un niveau qui ne s’atteint pas en un an de bachotage imbécile, mais qui est la résultante de quinze années de labeur intelligent. Le vrai contrôle continu, il est là, dans une pression constante et concertée, quinze ans durant. C’est en adoptant une politique réaliste des redoublements, en les limitant réellement au maximum, parce que nous aurons vraiment formé les élèves, que nous arriverons au zéro défaut, ou peu s’en faut.

Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, je me permets, pour conclure, de recopier les propositions que je fais dans « Fin de récré » — chapitre treize :

• Éviter les redoublements par une détection dès la rentrée des difficultés personnelles des élèves, afin de constituer précocement des groupes de soutien.
• Contourner les redoublements en redonnant d’un côté une vraie souveraineté aux conseils de classe, en supprimant ces « commissions » inutiles que l’on ne sait jamais où caser dans l’emploi du temps pléthorique des fins d’année, et en organisant un vrai suivi des élèves pendant les vacances, dans la perspective d’un examen de passage fin août.
• Organiser des stages d’été sur la base du volontariat, en réquisitionnant les locaux d’enseignement (déjà utilisés par nombre de municipalités, et avec raison), afin de permettre aux élèves qui veulent sincèrement réussir de préparer dans les meilleures conditions un examen de passage exigeant et honnête.
• Supprimer parallèlement les passages automatiques entre certaines classes : chaque année est un palier autonome, la politique des « cycles » ne sert qu’à masquer les vraies difficultés qui émergent tôt ou tard, pour le plus grand malheur des élèves qui avaient eu l’illusion de passer entre les mailles.

Jean-Paul Brighelli

(1) http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20080511/html/5614

(2) Au passage, l’association, dans le même paragraphe, des noms de Sarkozy et de Meirieu, est l’illustration vivante des collusions entre le pouvoir actuel et des pédagogues flexibles à 180°, si je puis dire. Entre un Meirieu héraut des réductions de postes, et un Baubérot chantre de la « laïcité aménagée » (et qui, sous prétexte d’expliquer la laïcité à Nicolas Sarkozy en le tançant vertement, prêche la tolérance et cette révision de la loi de 1905 dont certains rêvent, à droite comme à gauche), un front commun s’est ouvert, où l’idéologie flirte assez bien avec le carriérisme.