Sous le titre « L’Ecole en dehors du temps ? », le dernier numéro de l’US (le bulletin paroissial du SNES) propose sous la signature d’un certain Roland Hubert une courte analyse — mais est-ce bien le terme ? — de l’Appel à une refondation de l’école (http://www.refondation-ecole.net/) que nombre des gens qui passent ici ont signé…
Je recopie ce bijou de style bureaucratique et de langue de bois.

« Un appel pour « la refondation de l’école » a été lancé par un groupe d’associations et quelques personnalités, dont certaines sont bien connues pour leur nostalgie d’un supposé âge d’or de « l’Instruction publique ».
« Sur le constat, largement partagé, que tout manquement de l’école à ses missions conduit à un renforcement de la sélection par l’argent et la naissance, l’appel déroule un ensemble d’affirmations contestables, voire erronées (25 à 30 % des élèves ne maîtrisent pas les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul en entrant en Sixième, tous les apprentissages de base de la langue sont sinistrés, le raisonnement mathématique a quasiment disparu jusqu’à la fin du collège…), et propose un retour en arrière de plus de 50 ans dans la conception de l’école.
« Campant sur une conception passéiste des savoirs et de la culture qui auraient été figés dans le marbre par les « fondateurs de l’Instruction publique » et rendant les « nouvelles pratiques pédagogiques », fondées sur la « construction du savoir par l’élève », qui interdisent tout enseignement explicite, ‘structuré et progressif », responsables de la « maladie » de l’école, la « refondation » se résume alors à la remise au goût du jour des vieilles recettes. Pourtant celles-ci n’ont jamais fait leurs preuves que dans les systèmes élitistes n’ayant pas l’exigence d’amener tous les jeunes à uns avoir vivant et à une posture dynamique face aux apprentissages. L’idée, largement développée, dans l’appel, que des enseignements sont fondamentaux dans le sens où leur non-maîtrise interdit toute poursuite d’études est un non-sens pédagogique qui renvoie toutes les autres disciplines au statut de faire-valoir ou de supplément d’âme et nient leur importance dans les dynamiques de réussite.
« Conscient des difficultés réelles que connaît le système éducatif, le SNES est porteur de valeurs démocratiques qui donnent sens au pari de l’intelligence en réaffirmant la capacité de tous nos élèves, quelles que soient leur origine et leurs conditions de vie, à accéder à des qualifications et à des savoirs qui ne soient pas réduits à un catalogue cantonné aux quatre opérations et à la dictée, voire à la liste des départements et de leurs préfectures. »

Je laisse à chacun le loisir de commenter tel ou tel point — et il y a de quoi déchaîner sa verve, tant la syntaxe et la sémantique de ce penseur syndicaliste sont obscures.
J’irai à l’essentiel.
Ce qui m’inquiète, c’est que ce syndicat appelle à voter pour Ségolène Royal, espérant enfin reprendre la main au ministère (au détriment des autres, probablement…) et imposer son point de vue sur la pédagogie. Ce qui me chiffonne, c’est la mauvaise foi érigée en instrument critique, le parti pris choisi comme politique sainte, et la manipulation des chiffres et des constats. « Remise au goût du jour des vieilles recettes » ! Et alors ? Nous avions une école qui marchait, nous l’avons détruite. Passer dans la classe supérieure, c’était aussi, symboliquement, passer d’une classe sociale à l’autre, et accéder à des fonctions que nos parents n’avaient pas même espérées pour nous : pour « passer », nous nous dépassions. Aujourd’hui, les enfants glissent tout naturellement d’un niveau à un autre parce qu’ils en restent toujours au même stade — celui qui fait d’eux les victimes d’un système, au lieu d’en faire les agents, ou les critiques.
Paradoxalement, c’est aujourd’hui de la droite, qui n’a pas sur l’Ecole les préjugés mortels d’une certaine gauche à bout de souffle, que peut venir, sinon le salut, du moins le répit nécessaire. La gauche, en matière d’éducation, a fait en trente ans la preuve de sa nocivité. Et certes, il n’y a pas que l’éducation dans la vie : mais pour nos enfants, pour toutes celles et ceux qu’un système scolaire aberrant condamne à l’ignorance, sauf s’ils sont nés quelque part, comme chantait Brassens, la question de l’Ecole est absolument centrale. Les cinq années à venir seront décisives, parce que l’école, déjà grabataire, peut décéder définitivement d’une surdose de pédagogisme et de bonnes intentions mortifères. Chacun sait ici que je défends la cause des élèves les plus humbles, de ceux qui n’ont justement que l’école pour se hisser au dessus du ghetto — mais que je n’ignore pas pour autant les élèves plus favorisés, parce qu’ils ont eux aussi le droit d’exprimer leurs talents.
Et c’est la seule chose qui compte, le seul critère : le talent, et le travail, qui n’est jamais que la meilleure manière d’exprimer son talent. Nous vivons dans une idéologie sportive de la compétence et de la performance — partout, sauf à l’école. Nous proposons aux enfants des modèles hautement élitistes, et nous prétendons instruire nos enfants en dehors de toute compétition ?
Ne nous laissons plus bercer d’illusions et de phrases toutes faites sur « l’élève au centre du système ». Il y a toujours été — mais dorénavant, ce n’est plus la gauche qui peut incarner l’école de la République. Pas cette gauche-là.

Jean-Paul Brighelli