« Je n’entends pas lancer une énième réforme qui porterait mon nom… plutôt procéder par touches successives, nettoyer les programmes, les améliorer au mieux, laisser aux enseignants toute liberté pédagogique, mais en fixant des objectifs clairs… »

 

Ainsi parlait X. Darcos en juillet dernier. Et voici que nous atteignons pourtant l’inacceptable, à en croire le SNUipp-FSU. Voici des propositions ministérielles carrément scandaleuses- à rebours « d’une école qui innove, qui donne le goût de vie, qui est gaie et qui épanouit ». Ainsi parle ce syndicat si bien connu désormais pour son activisme réactionnaire. Nul doute que les Cahiers Pédagogiques abonderont dans son sens. Déjà Philippe Watrelot, dès hier émettait les plus fortes réserves. Pauvre chou dépassé par la réalité…

 

Mesurons bien le scandale : Darcos voudrait donc que l’école primaire apprenne à lire, écrire et compter – et à maîtriser les dates-phares, les grands personnages, et les œuvres plastiques majeures de l’Histoire de France. Comment ? Rien sur les masques nègres de la porte de Clignancourt ? Plus de « découverte de l’environnement », de rubrique « koa 2 neuf », d’éducation à la diététique et de « production d’écrits » ? Non : des dictées et des rédactions, du calcul mental, de la mémorisation. De surcroît, un peu plus de sport – il faut bien que testostérone passe…

 

Insupportable prétention. Le ministre affirme même que, tout en laissant les instituteurs libres de leur pédagogie, il conviendra d’enseigner le code alphabétique aux enfants, parce-que le sens vient de la maîtrise du code, et non de l’Observation Réfléchie de la Langue , superbe périphrase inventée par les Pédarogues[1] pour désigner la vacuité grammaticale. Il prétend diviser par trois le taux d’échec en Primaire – qui actuellement se mesure en 6°, chacun repassant aux autres la patate chaude de la dysorthographie, de la dyscalculie, et toutes les dyslexies provoquées par l’idéo-visuel Foucambert et autres billevesées si fort en vogue dans les IUFM. A terme, diviser aussi par trois ces 160 000 collégiens qui sortent de 3° sans rien dans les mains, ni dans la tête – parés pour se faire dévorer tous crus. Scandale vous dis-je… ou inconscience : l’horaire de Français passera à 8 h en CP-CE1, à 10h les trois années suivantes – parce-qu’il n’est pas de maîtrise possible sans une imprégnation en profondeur. Horreur finale : ce n’est pas en pensant aux NAP (Neuilly-Auteuil-Passy) que le ministre a concocté ces abominations, mais en souhaitant qu’Aulnay-sous-Bois, les quartiers nord de Marseille ou la banlieue de Lille maîtrisent enfin la langue française. Comment ? Un homme de droite, un « réac » fier de l’être (il s’en vante lui-même dans le Figaro du 21 février) se soucie davantage des banlieues que toutes les belles consciences bêlantes – cette gauche à bobos qui a trahi la Gauche. La ligne de partage des eaux n’est peut-être pas si claire que cela. Ou, si l’on préfère, l’Ecole n’est pas le champ clos des idéologies mais la maison commune de tous les citoyens.

Si vous ajoutez à ce sombre tableau que le ministre recommande l’apprentissage de la politesse, du respect, et l’emploi du vouvoiement… on comprend mieux la réaction outrée du SNUipp : « des programmes qui sentent la blouse grise et le bonnet d’âne… »

 

Plût au ciel ! Tel ou tel syndicat se plaint de ne pas avoir été consulté ? Mais Darcos a préféré demander leur avis et leurs suggestions à des personnes compétentes ! Il s’en trouve, il s’en trouve même qui sont ni au SGEN, ni à la FSU –encore que je pense très fort que nombre de syndiqués ne se reconnaissent pas dans les positions inutilement réactionnaires de tel ou tel lider maximo, ou que tel ou tel parent n’approuve pas toutes les ratiocinations de la FCPE. Si ce blog a une quelconque utilité, c’est de faire avancer la cause de la « maison commune » – la cause du peuple. Je n’ai pas ménagé mes critiques à telle ou telle initiative malheureuse ou inutile –celles propulsées par exemple par l’inénarrable Emmanuelle Mignon, phare de la conscience élyséenne, qui après avoir suggéré l’attribution à chaque élève de CM2 de la mémoire d’un enfant juif disparu dans les camps de la mort, vient de dédouaner les sectes. Celles et ceux qui ont voté pour Sarkozy, ou contre Royal, ne l’ont pas fait dans l’espoir que la Bêtise s’installerait dans l’entourage du président.

 

Un dernier point. Retour au « par cœur », retour de la rédaction, couplage du lire et de l’écrire dès le CP, insistance sur les fondamentaux, restauration de la chronologie en histoire, liberté pédagogique pour les maîtres, et inspection basée sur les résultats – tout en tenant compte du niveau de départ des élèves, du « coefficient social » de l’établissement… J’ai cru lire la table des matières de « Fin de récré », un ouvrage dont je connais assez bien l’auteur et dont je parlerai plus à loisir quand il sortira – dans deux semaines, aux éditions Gawsewitch. Une bonne centaine de propositions pour refonder l’Ecole – y compris certaines que le ministre n’oserait pas même articuler tout bas mais auxquelles il pense en catimini – en se rasant. Comme quoi les bonnes idées sont dans l’air, il suffit de les attraper…

 

Jean-Paul Brighelli.



[1] Je ne m’attribue pas les plumes d’autrui : j’ai trouvé le terme dans « Attention mots valises », Points Seuil  – une pure délectation.