Le ministère s’accroche à sa réforme des lycées, le SGEN salue cette obstination, tout en déplorant sa frilosité (sic !), le SNALC crie au feu, le SNES louvoie et après avoir quitté à grands fracas la table des négociations, ce qui fait toujours bon genre à quelques semaines des élections professionnelles (1), continue les tractations en sourdine : les uns et les autres savent bien que les profs ne sont pas tout à fait décidés à mourir pour des modules.

Ils savent aussi, en même temps, que l’exaspération monte, et qu’il suffirait d’une étincelle, dans un climat social particulièrement dégradé… En particulier, si les enseignants voyaient soudain dans le projet du ministre une atteinte frontale à leurs statuts, à leur fonction, et à l’idée qu’ils se font de leur mission. L’intérêt des élèves est régulièrement invoqué pour promouvoir ou dénoncer une réforme qui, dans la plupart des projections, amènera une réduction du nombre d’heures de cours (et quelques économies conséquentes de postes). Invoqué par les uns et les autres : les enseignants pensent que moins d’heures, c’est forcément moins de savoirs, et à terme moins de choix, puisqu’il y aura moins de polyvalence initiale. Le ministère affirme que sa réforme permettra une meilleure assimilation des connaissances – le problème, dit-il, n’a jamais été ce qui est censé être appris, mais ce qui est appris réellement.

Arguties. Le hic majeur, c’est celui posé ici même au moment de la réforme du Bac professionnel (« >http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/11/27/lp.html) (2) : le problème du lycée, comme celui du lycée professionnel, c’est en amont qu’il se pose. Au collège.

Je n’ai pas bien compris pourquoi Darcos, après avoir réformé le Primaire de façon assez intelligente (j’appelle intelligente toute mesure qui contrarie simultanément le SGEN, l’UNSA, Antoine Prost et Philippe Meirieu), a choisi de passer au lycée, au lieu de nous raconter l’histoire dans l’ordre. Son électorat, les enseignants dans leur immense majorité, tous syndicats confondus, les parents dans leur ensemble, auraient compris qu’il s’attaquât à ce qui marche aujourd’hui le moins bien. D’autant que l’on a identifié, et depuis longtemps, la cause principale des dysfonctionnements entre la Sixième et la Troisième – le collège unique.

Et voici que, loin de casser la machine à perdre construite depuis 1974 par tous les gouvernements, le ministre semble vouloir bâtir un lycée unique – ainsi parlent du moins ses adversaires les plus résolus.

Sur le papier, pourtant, la réforme du lycée semble aller dans l’autre sens. Certes, la Seconde Nouvelle repose sur un tronc commun qui rappelle le Socle du Collège, de fâcheuse mémoire, et qui pourtant va peser dorénavant dans l’obtention du Brevet – quand on a déjà une usine à gaz, on peut rajouter des tuyaux (3) : d’où la crainte que le Brevet Art Nouveau (dit aussi «Style Nouilles ») soit le laboratoire d’un Bac New Age. Mais le système des modules, ce « lycée à la carte » dont parlent les gazettes, semble assouplir ce qu’a de rigide et peu séduisant un corps de savoirs réduits aux utilités.

Oui ?

Ledit « tronc commun » est à géométrie variable : Darcos a annoncé le 21 octobre dernier qu’il y rajoutait trois heures, ce qui nous amène à 21 heures, contre 18 prévues au départ. Et la possibilité annoncée de conserver un même module d’un semestre sur l’autre sauvegarde pratiquement des matières qui se voyaient frappées d’ostracisme – SES, par exemple.

Les diverses projections effectuées par le SNALC (et probablement le SNES, qui reste fort discret sur le sujet) montrent que les élèves perdront des heures de cours dans toutes les configurations, sauf dans l’hypothèse où ils sauraient vraiment, en entrant en Seconde, ce qu’ils veulent faire. C’est-à-dire s’ils se spécialisent précocement. Ainsi, l’horaire prévoit une perte de 11% de l’horaire de Français, mais celui qui choisira le module Littérature en complément aura, au final, 22% de Lettres de plus, et, s’il y ajoute un module « Histoire-géographie », il aura au final 16% de plus dans cette matière. L’élève qui choisira l’option SES aura le même horaire de Sciences Economiques et Sociales qu’aujourd’hui. Et le choix d’un module « Physique-Chimie » rattrapera en grande partie le déficit initial en Sciences – pourvu que le ministère soit clair sur ce qu’il met dans ce module « Sciences expérimentales ».

Première objection, mais elle est de taille : est-il absolument ingénieux de spécialiser si tôt des élèves qui auront probablement à changer de métier plusieurs fois dans leur vie, et ont donc besoin d’une palette large au départ ? Sauf à présumer qu’ils ne cesseront de se re-former tout au long de leur vie… Mais la polyvalence ne doit-elle pas être un acquis, au sortir du Bac ?

Seconde objection : la Seconde « de détermination » était la fille inavouée du « collège unique » : à partir du moment où arrivaient, fin Troisième, des élèves moins compétents qu’autrefois, sous prétexte de les saupoudrer de toutes sortes de connaissances plus ou moins utiles (s’il y a des économies de postes à faire, c’est bien en taillant, au collège, dans des enseignements qui n’y ont pas leur place), il fallait leur donner une année de plus pour les amener au même niveau que leurs aînés : la Seconde indifférenciée, c’est, depuis 1978, une Troisième-bis. La réforme du Lycée ne se légitime que si l’on modifie en profondeur ce qui se passe au Collège. Tout comme celle du Bac Pro implique une orientation plus précoce qu’aujourd’hui vers une voie professionnelle revitalisée.

D’où la nécessité vitale, si l’on veut faire passer la pilule Lycée, d’ouvrir tout de suite une réflexion sérieuse sur le Collège, en nommant une Commission crédible, ouverte, où les syndicats pourront s’exprimer dès le début, au lieu d’être sommés à la fin d’approuver des choix qui se seraient effectués sans eux. D’autant que cela permettrait, face aux troupes, de préciser les positions de chacun : quel syndicat un tant soit peu soucieux de cohérence et de popularité se hasardera à justifier le collège unique, vilipendé par tous les praticiens ?

Reste à définir ce qui se fera en tronc commun, et ce qui se fera en « spécialité » : et nous revoici confrontés à la question non résolue des programmes.

Les gens de ma génération passaient directement de Troisième dans une Seconde très différenciée, Littéraire, Scientifique ou Economique (autrefois, A, C ou B). Nous ne nous en portions pas plus mal – mais nous étions un tantinet moins nombreux à entrer en Seconde que les jeunes d’aujourd’hui. Il n’est pas mauvais qu’il y ait aujourd’hui un peu plus d’Appelés, si nous voulons former un peu plus d’Elus. Surtout, nous étions différents, parce que l’école primaire d’abord, le collège ensuite nous avaient donné toutes les bases nécessaires au choix.

Encore faut-il se donner les moyens de transmettre quelque chose, en définissant des programmes précis, réalistes et ambitieux en même temps. Or, ladite réforme a été construite indépendamment des programmes, dont on nous a promis qu’ils viendraient plus tard. C’était si difficile de les concevoir en même temps ?

Problème additionnel, mais qui n’est peut-être que de pure terminologie : ces trois heures « d’accompagnement » que prévoit le ministère. Le mot était mal choisi, il a donné à penser que les missions des enseignants changeaient (et, à terme, leur charge hebdomadaire : les 35 heures jadis proposées par Ségolène Royal allaient-elles rentrer par la fenêtre sous Sarkozy ?). N’étions-nous pas sommés, in petto, de faire de l’orientation (mais nous en faisons tous les jours, entre deux cours, et sans supplément de salaire !), sommés d’escorter les élèves chez leurs futurs employeurs (et voici les profs promus Gentils Organisateurs de Sortie Scolaire Educative, ce nirvana du constructivisme), sommés de remédier aux manques (aux trous béants) avec lesquels nous arrivent les élèves… Le remède à la remédiation généralisée, n’est-ce pas de réformer l’amont, sous peine de patiner en aval ?

Le ministère aurait tout intérêt à proclamer, très vite, que ces trois heures sont du soutien et / ou de l’approfondissement. Et rien d’autre. Cela entre dans les missions pour lesquelles nous avons été formés, tant que les Sciences de l’Education n’ont pas définitivement compromis la formation des maîtres (et depuis que les universitaires ont compris, un peu tard, ce que leur faisaient les IUFM, il est bien possible que la mastérisation souhaitée des postulants aille dans un sens adéquat : voir les textes et analyses publiés sur le site de http://www.sauvonsluniversite.fr/) (4)Dernier point: l’autonomie des établissements ne doit pas conduire à un désengagement de l’Etat, ni en matière de programmes, qui doivent rester nationaux comme les examens, ni de vie scolaire : Darcos aurait un succès facile à interdire définitivement les portables aux mineurs… Les élèves sont à l’école pour apprendre la liberté – c’est-à-dire l’art des contraintes, comme le savent tous les éducateurs qui ont vraiment lu Rousseau.

Jean-Paul Brighelli

(1) C’est depuis le début (mi-juin) le calcul de FO. On sait qu’effectivement ne rien faire permet en général de monter dans les sondages. Qui n’a pas les mains dans le cambouis ne se salit pas, n’est-ce pas, Hubert Raguin ? (Il a fallu que je cherche le nom de ce Secrétaire général : ils ont un côté secret – trotskiste, si je puis dire, chez FO – qui les pousse au secret.)

(2) J’y prédisais une insurrection des enseignants de LP, qui n’a pas eu lieu. Mais que le ministère n’en tire pas des plans sur la comète : les profs ont des capacités pour encaisser les coups, de grandes capacités, mais pas illimitées.

(3) Voir http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2008/09/25/brevet-des-colleges.html

(4) Voir en particulier le dernier courrier de la DGES, qui semble avoir bien pris la mesure du risque de multiplier les collés/reçus que comportait le projet initial, et les « masters pro » mis en place, dans une urgence darwinienne, par des Sciences de l’Education qui avaient senti avant tout le monde le vent du boulet. Le calendrier imposé par le ministère pour mettre en place les futurs masters reste bien court. Mais au moins, il n’est plus question de fabriquer des « masters pro » dont la finalité unique serait l’enseignement, tel que le conçoivent les Sciences de l’Education. Encore un effort, et les futurs concours mettront l’accent sur les contenus disciplinaires…