Il commence à être si visité, ce site, et patr tant de gens passionnants, que je n’arrive plus à répondre à telle ou telle question précise…
Je vais tenter de préciser quelques points — et ceux qui n’y trouvent pas leur bonheur auront tout loisir de rouspéter.

I. Syndicalisme enseignant.

Les syndicats de l’Education Nationale sont et ne sont pas des obstacles au changement. D’un côté, c’est vrai qu’ils sont souvent inféodés à la pensée-pédagogiste-de-gauche (en un seul mot), ce qui les amène, au mieux, à ne pas se prononcer sur la question des programmes et la meilleure manière de transmettre les connaissances. Sans compter les syndicats purement corporatistes, comme celui des Inspecteurs, qui défend le point de vue… des Inspecteurs (à noter que la Société des Agrégés, qui ne brille pas toujours par son gauchisme, a finalement sur la question pédagogique des vues bien plus ouvertes que tel ou tel syndicat « de gôche » — c’est peut-être l’un des signes qui donnent à penser que la division droite / gauche n’est plus si opératoire que ça…).
Pas tous, cependant. Certains syndicats, minoritaires, sont très critiques, et depuis longtemps, face à ce qui se passe dans l’Education Nationale (je devrais recommencer à dire Instruction publique : cette idée d’ « éduquer » une nation entière — sur un standard pré-établi — m’est un peu insupportable). Par ailleurs, dans certains syndicats majoritaires, il y a des tensions évidentes. Le SNES — que je connais bien… — est traversé de courants, d’opinions, de sensibilités très divers. Et ça gueule souvent, en réunion.
Le plus étonnant (est-ce bien étonnant ?), c’est que les syndicats les plus influencés par le pédagogisme sont ceux qui sont issus du courant syndicalo-chrétien. D’où mes attaques parfois sur l’aspect crypto-jésuite de certains pédagogues professionnels.
Je ne le ferai plus. Je ne vois pas pourquoi je médirais des Jsuites, qui ont tout de même formé Voltaire, et quelques autres.
Mais ceux qui arrivent du PC ou de l’extrême-gauche ne sont pas à l’abri des dérives les plus hasardeuses. Sous prétexte de se soucier des plus déshérités (souci louable qui est au cœur de tout ce que j’écris), ils appuient (consciemment ? inconsciemment ? Disons inconsciemment, je suis de bonne composition aujourd’hui) cette grande fabrique d’inégalités qu’est la pédagogie de l’élève au centre et la sectrisation — communément contournée par les enseignants, et tous les bobos qui se repaissent de Meirieu… qui a mis ses enfants dans le privé, à en croire Libé…
Et c’est vrai, comme dit l’un des honorables perturbateurs de ce blog, qu’il faudrait mettre l’intelligence au centre — celle des élèves comme celle des profs.
Vaste programme, comme aurait dit De Gaulle…

II. Bandes dessinées et baisse de niveau

J’écris en préambule de À bonne école que j’ai écrit ce livre en réaction à l’incompréhension dont faisaient preuve mes élèves face aux gags de Goscinny dans les Astérix de la grande époque. Pensez ! Une BD si élitiste que des enfants du village gaulois ont le culot de s’appeler « élèvedelix » ! Une BD où la racaille (les pirates) parle latin ! Et assez bien, même…
Je cite dans le même livre ces pages fabuleuses, qui paraissaient dans Spirou, — les belles histoires de l’Oncle Paul, figure tutélaire de l’instit au collier de barbe… Et c’est vrai que les mangas actuels n’offrent pas exactement la même culture.
Dans les années 60, il n’y avait pas un partage aussi net qu’aujourd’hui entre le pédagogique et le ludique. Les BD pouvaient véhiculer de la culture, les chansons pouvaient être écrites par Brel, Brassens, Ferré, Barbara ou Ferrat — j’en oublie. Il n’y avait pas que les yé-yé (et rappellerai-je qu’Antoine sortait d’une grande école — pas de l’école des fans ?).
Aujourd’hui, face à la déferlante de médiocrité et de vulgarité, l’école est seule — et encore, pas toute l’école : un petit groupe d’enseignants et de parents résiste encore et toujours à l’envahisseur médiocrate.

III. Privé / Public

J’aime l’enseignement public, et laïque, de toutes mes forces (mon prochain livre — le dernier, je le jure, du moins le dernier sur la pédagogie : ensuite, je reviendrai à mes premières et seules amours — la littérature — mon prochain livre donc, à paraître en octobre, montrera comment le pédagogisme a détruit la laïcité, et comment la montée des communautarismes les plus intolérants est le pur fruit de cette stratégie criminelle de « l’élève-roi »). Et je suis bien obligé de reconnaître que l’enseignement Privé séduit de plus en plus de parents.

Ne nous trompons pas de combat. La cible, ce n’est pas ce Privé qui prospère, c’est le Public qui dégénère. Il est plus que temps que l’école officielle de la République ait aussi le droit de s’appeler Ecole Libre. Le simple fait que le Privé confessionnel se nomme encore ainsi en dit long sur les chaînes qui pèsent sur l’école publique : au départ, peu après les lois Ferry, l’école catholique s’est dite « libre » pour signifier qu’elle refusait de suivre les recommandations de la République. À présent, elle l’est parce que tout en étant sous contrat, elle fait, pratiquement, ce qu’elle veut — ou plutôt, elle obéit à la loi de l’offre et de la demande, et fait ce que veulent les parents.
Du coup, on en est à se demander ce qu’il en est exactement de la nostalgie. Les parents qui ont, actuellement, des enfants à l’école primaire ont, tout au plus, en moyenne statistique, 35 à 40 ans (et souvent beaucoup moins, tant il est vrai que l’âge du premier enfant, stabilisé à 29 ans — pour les femmes — depuis plusieurs années, a récemment baissé, signe infaillible d’une paupérisation du pays). C’est-à-dire qu’ils n’ont connu, scolairement parlant, que les années Mitterrand. Que ce soient eux les demandeurs d’une éducation « à l’ancienne », comme la blanquette du même nom, a de quoi faire réfléchir, non ? À côté de ces parents-là, je suis un dinosaure, moi — et je suis très loin d’être dans la nostalgie, parce que, comme je l’ai écrit à maintes reprises sur ce blog et dans mes livres, l’école des années 50 ou 60 était tout, sauf rose.
Cela dit, j’ai des enfants à l’école primaire — publique ! Et certaines de mes réactions sont aussi fonction de ce qu’on leur y fait subir. Que celui qui n’a pas de sentiments me jette la première pierre.

III. Inspection

Il y a toutes sortes d’Inspecteurs. Certains croient, avec ce titre, tenir je ne sais quel bâton de maréchal que les protestataires de mon acabit menaceraient : je ne vois aucune autre raison à leur haine. Mais certains Inspecteurs se battent déjà, à leur manière, pour que les choses changent (pardon : évoluent — c’est un monde feutré que celui de l’Inspection…).
Par ailleurs, qu’est-ce qui empêche les plus jeunes des révoltés de se faire inspecteurs ? Il faut conquérir la haute fonction publique — ils sont vieux, là-haut, et proches de la retraite…
C’est ce que m’a lancé, il y a peu, un enseignant d’IUFM. « Vous autres baby-boomers, vous vous rapprochez de la retraite… Dans cinq-six ans, vous serez minoritaires… Et alors, nous ferons ce que nous voudrons ! »

IV. ZEP

Quant aux ZEP…
C’est, globalement, un échec bouleversant. On a mis quelques moyens (rares, au fond) dans une expérience qui se révèle hautement génératrice d’inégalités, et, souvent, de violence (et maintenant, les barbares, quand ils ne torturent pas de jeunes Juifs dans les caves des immeubles de Bagneux, ne se contentent pas d’assommer leurs enseignantes : ils filment leurs exploits !). Les enseignants envoyés dans ces Zones d’Exclusion Programmée ne devraient jamais être des novices — c’est l’une des multiples propositions de À bonne école. De même, je suggère qu’on leur octroie une incitation administrative et financière réelle — et pas une aumône, comme aujourd’hui. Les gens que j’ai connus en ZEP, où je rappelle que j’ai enseigné plus d’une décennie, étaient pour la plupart des missionnaires remarqubles, qui constituaient des équipes pédagogiques — au bon sens du terme — étroitement soudées. En gros, 60% des personnels des ZEP étaient des permanents, à la fin des années 90 (au point qu’une inspectrice générale qui se croyait fine m’a demandé, au vu de mon parcours atypique d’ex-Normalien resté au service du peuple, si c’était par conviction militante que j’étais demeuré à Corbeil…). Qu’en est-il aujourd’hui ? Le « turn-over » des ZEP est-il plus important qu’il y a huit ans ?

J’espère avoir repris l’essentiel des questions, et contribué aux réponses. Quant à ceux qui me demandent des comptes sur mon enseignement, je pourrais leur demander, à mon tour, pour qui ils roulent. Je suis une cible facile pour tous les vengeurs masqués.

Jean-Paul Brighelli