J’en ai de la chance ! Philippe Meirieu, alors qu’il est à plein temps engagé dans la victorieuse campagne d’Eva Joly, a trouvé le temps de s’occuper de moi (1).

Soyons juste : pas seulement de moi. « Avec un « esprit de sérieux » nourri, parfois, à de savantes références (Kant, Condorcet, Durkheim, Orwell, Arendt, etc.), on nous explique, en effet, aujourd’hui, que la pédagogie ne serait qu’une forme de renoncement, de démagogie, quand ce n’est pas de pédophilie! De Jean-Paul Brighelli à Natacha Polony, de Jean-Claude Michéa à Rama Yade, trotskystes et sarkozystes, « républicains » et « libéraux », animateurs de télévision et intellectuels ombrageux, ils sont venus, ils sont tous là pour étriller les pédagogues et la pédagogie. » Me voilà en bonne compagnie.

Sacré Philippe ! Mais comment fait-il ? En deux phrases, il enfile la liste de toutes les références incontournables de la vraie pédagogie — Rama Yade exceptée, elle n’est là, coup de pied de l’âne, que pour dévaloriser ce qui précède, et qui ne procède pas de Philippe Meirieu himself. De Condorcet à Michéa, vous avez la liste de tout ce qui compte — et je ne suis qu’un détour pas même indispensable face à Orwell ou Michéa. Pour Polony, je n’oserais m’avancer, mais je suis sûr en tout cas, d’une chose : elle ne se croit peut-être pas tout l’esprit qu’elle a, mais elle n’a jamais fait de mal à l’Ecole, elle. Elle a même fait de son mieux pour lui faire du bien.

Il faut avoir un culot monstrueux — mais vous en êtes amplement fourni, mon cher — pour se réclamer des grands pédagogues qui, de Freinet à Pestalozzi ou Montessori, ont été des bricoleurs exemplaires — et non des idéologues crispés sur des théories, comme leurs disciples et imitateurs ont fini par le faire croire. Parce que la pédagogie est du bricolage, et elle n’est que cela — mais bricolage de génie. Vous récusez le bricolage, parce que vous n’avez pas d’accointances avec le génie.


(1) http://www.huffingtonpost.fr/philippe-meirieu/crise-de-lautorite_b_1367820.html?page=1

Alors, Philippe, écoutez-moi bien — futur député par protection ou futur ministre que vous vous croyez déjà… Ecoutez-moi bien, cancre que vous êtes, parce que je ne répéterai pas.

Pédagogiquement, vous n’êtes rien. Ou moins que rien, tant vous êtes nuisible. Ceux qui comptent vraiment, ceux qui comptent encore, encore et toujours, ce sont ceux qui n’ont pas déserté l’Ecole pour enseigner en fac les « sciences » de l’Education, faire les jolis cœurs rue de Solférino, ou aboyer sur RMC. Celles et ceux qui comptent, ce sont celles et ceux qui s’obstinent, chaque matin, à se confronter aux élèves. À imaginer, chaque soir, chaque nuit, des stratégies nouvelles pour faire passer quelques connaissances dans ces caboches décérébrées par vos semblables et vos disciples, en sus des médias (et même des Médiapart, où s’étale la suffisance de votre ami Frackowiak, le maître à penser de Bruno Julliard et de François Hollande, ce qui n’est pas rien — mais le frôle) et de cette société qui produit le leurre et l’argent du leurre. Les vrais pédagogues (et je n’ai pas même l’arrogance de me compter dans leurs rangs, moi qui n’ai cessé d’enseigner depuis 40 ans), c’est telle institutrice de la Drôme qui apprend infailliblement à lire-écrire-calculer-compter à ses élèves de GS/CP, au lieu de leur dispenser les indispensables « ateliers-philo » qui ont tant fait pour la réputation de vos amis et de tous les ânes bâtés du gadget et de l’arrogance. C’est tel prof qui s’efforce d’enseigner la physique-chimie à ses élèves au lieu de leur mettre la main à la pâte ou au panier. C’est tel enseignant de musique qui enseigne la musique au lieu de téter la sainte parole de Didier Lockwood (2). C’est…

La liste est plus longue que vous ne pensez, parce que vous n’êtes pas tout à fait parvenu à supprimer en France toute intelligence et toute conscience, vos deux grandes ennemies. Mais voilà : l’arrogance des pédagos est telle qu’ils prétendent confisquer le mot même de pédagogie à leur seul usage. Ils reniflent la victoire — ou du moins ils le croient, ils la croient à portée de griffe, bientôt sonnera l’heure de la revanche, il y a des postes à prendre, des carrières à lancer ou à relancer, des prébendes à se distribuer. Les « républicains » se battent pour l’Ecole, pour leurs élèves, et vous vous battez pour… pour quoi au juste ? Un députanat ? Un maroquin ? L’ambition de voir sa photo dans le grand panneau du ministère où sont collées l’un à côté de l’autre les portraits de tous ceux qui se sont assis dans le même fauteuil ? Grandeurs de l’homme, comme vous êtes petites !

Admirable article, vraiment, que celui que vous consacrez à la « Crise de l’autorité » ! Valéry a écrit la Crise de l’esprit, et vous vous inscrivez dans son ombre, homme d’ombre que vous êtes. Heureusement que nous sommes là, nous, pour faire un peu de lumière et vous donner quelque consistance, obscure clarté que vous êtes !

Faut-il que le libéralisme avancé ait besoin de vous, pour que vous soyez parvenu à lui faire croire que vous pensez, quand en fait vous lui servez d’alibi pour supprimer des postes et légitimer l’école à deux ou trois vitesses qui permet de laisser les déshérités en arrière. Je n’ai pas peur de le dire tout haut : la justification idéologique des saignées opérées par Luc Chatel, c’est chez Meirieu qu’il faut la chercher. Et la justification idéologique des embauches de « grands frères » que ne manquera pas d’opérer Hollande, conformément à ses promesses creuses, c’est aussi chez lui qu’elle trouve sa source, lui qui feint de croire que nous mettons la crise de l’autorité sur le dos de « la tyrannie de petits caïds qu’on imagine facilement basanés ». Bravo. Le raciste, c’est toujours l’autre, n’est-ce pas…

Le problème, c’est que les racistes, ce sont ceux qui ont confiné les plus malheureux dans les Zones d’Exclusion Programmée, ces ghettos scolaires installés au cœur des ghettos urbains. Les racistes, ce sont ceux qui aujourd’hui encore réclament des moyens nouveaux pour installer au cœur des ZEP des « pédagogies innovantes » — si elles innovaient quoi que ce soient à part leur vanité et leur vacuité, on le saurait, depuis trente ans qu’elles échouent. Les vrais réactionnaires, ce sont ceux qui feignent de croire que Marine Le Pen s’inspire des pédagogues républicains, alors qu’elle vomit la République.

Oui, vous avez raison : Bourdieu a de moins en moins tort. L’Ecole que vous avez si patiemment construite ou déconstruite a, sous prétexte d’égalitarisme, définitivement détruit l’égalité — la seule égalité que je connaisse et reconnaisse, le droit d’aller au plus haut de ses talents et de ses capacités, quelles qu’elles soient, cette égalité-là est bafouée par les pseudo-libertaires, dont vous êtes, et les vrais dépeceurs. Les « héritiers » désormais ont un nom : ce sont vos enfants.

Pas les miens. Pas les nôtres. Pour les vrais pédagogues, tous les enfants sont leurs enfants. À égalité vraie — le droit d’apprendre par cœur les mêmes leçons, et d’accéder à la même culture et aux mêmes emplois, qu’ils s’appellent Mouloud ou Marie-Chantal.

Alors, en vérité, je vous le dis : je voterai au premier tour pour le candidat dont les propositions sur l’Ecole collent au plus près de la réalité — c’est-à-dire à l’opposé de vos fantasmes. En l’état, François Bayrou. Et s’il n’est pas au second tour, je voterai pour celui qui vous fera le mieux barrage, parce qu’en vérité, vous êtes le Mal.

Jean-Paul Brighelli

 

(2) Voir l’excellente analyse du « rapport Lockwood, dernier avatar meirieuique, sur http://celeblog.over-blog.com/article-le-rapport-lockwood-bas-les-masques-101377295.html