Invité du 19-20 de France-Inter le 17 juillet, François Fillon a susurré que le service minimum dans les transports pouvait servir de « modèle pour être étendu à d’autres secteurs, dont l’Education nationale ». C’était donner le bâton pour se faire battre — inutilement. Et les syndicats d’ironiser, non sans raison, sur la « cacophonie » qui règne entre le Premier ministre et son équipe. Et le PS, qui ne demande pas mieux, ces temps-ci, que de se refaire une virginité singulièrement écornée par ses dysharmonies internes, de juger le projet « inutilement provocateur » (1).
D’autant que de projet, il n’y en a pas à l’horizon immédiat, a confirmé Darcos. À terme, bien sûr, on peut toujours discuter entre partenaires de bonne volonté — un exemple frappant d’oxymore à la française…

De quoi s’agit-il ? Essentiellement du Primaire — puisque la multiplicité des enseignants, la structure même des établissements du Secondaire font que l’accueil des élèves y est toujours assuré — sauf dans quelques cas graves et rares de grèves motivées par la sécurité ou la violence.
Dans le Primaire, dans les écoles de petite taille en particulier, ce sont les enseignants non grévistes qui sont en charge des enfants — et qui en sont responsables : en clair, deux professeurs des écoles peuvent se retrouver gérer 200 bambins d’autant plus déchaînés qu’ils n’auront pas classe, et seront comptables, juridiquement parlant, des accidents qui pourraient survenir. Résultat, des instits même désireux de ne pas se joindre à un mouvement se retrouvent obligés de le suivre, ce qui amène les municipalités à fermer carrément l’école, par sécurité — ou par conviction politique, comme j’en connais.
Et, du coup, voici une fois de plus les mères de famille (jeunes, en général, à ce niveau) obligées de prendre une journée d’arrêt, parce que ce sont les mères, le plus souvent, qui se coltinent les rejetons rejetés à la rue.
Bref, le résultat tangible de toute grève lancée dans le Primaire, c’est de remettre à la maison, devant les fourneaux, des femmes dont le principal acquis, ces dernières décennies, a été de pouvoir participer à la vie économique… Qui s’étonnera que les associations de parents d’élèves, la PEEP, au moins — parce que je n’ai rien entendu d’assourdissant du côté de la FCPE — soutiennent dans le principe l’idée d’un service minimum…

Si négociation il y a dans ce domaine au ministère, ce ne peut être qu’avec la participation des syndicats, des associations de parents, et des collectivités locales. Pourquoi, par exemple, ne pas donner aux maires les moyens d’accueillir les enfants comme ils savent le faire le mercredi dans le cadre des centres aérés ? Serait-ce si lourd (financièrement) à mettre en place ? Les grèves d’enseignants sont-elles si nombreuses ?
Enfin, je suggère aux syndicalistes (de gauche, forcément) de peser avec soin l’arme de la grève. Je n’ai jamais compris l’intérêt de ces rituels sur 24 heures qui ne servent qu’à perdre une journée de salaire. Et je les supplie de mesurer l’un des effets pervers de ce système : les grèves enseignantes sont l’un des principaux motifs allégués par les parents qui veulent inscrire leurs enfants dans le privé. À s’accrocher bec et ongles à des pratiques par ailleurs inefficaces (2), les syndicats font le lit du privé — est-ce bien l’effet recherché ? Je défendrai toujours à fond l’école publique — et Xavier Darcos, par parenthèse, y a inscrit tous ses enfants, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, à gauche comme à droite —, tant que sa fonction première sera d’instruire, et de faire partager une culture. Pas quand elle a pour but de prendre des enfants en otages de négociations « à la française ».

Jean-Paul Brighelli

(1) Des stratèges plus intelligents que moi m’expliqueront sans doute l’intérêt de se tirer une balle dans le pied, régulièrement. On a déjà vu ça avec Borloo et sa « TVA sociale » entre les deux tours des législatives — une parole malheureuse, et 10% de l’électorat bascule. Ou alors, l’attrait du micro (ou de la caméra) est tel que l’on ne peut s’empêcher de parler, parler, parler — pour ne rien dire. Et c’est cela que l’on appelle des politiques ? Qu’en aurait pensé Machiavel — ou Gabriel Naudé, pour en rester à des références françaises ?
(2) Une négociation permanente, à l’allemande, m’a toujours paru une meilleure idée que les crispations soudaines du système français. Outre-Rhin, la grève existe — c’est un droit européen —, mais elle maniée avec une grande précision, uniquement après avoir tout essayé, et non en préalable de discussions qui se tiendront de toute manière, les syndicats le savent bien. Curieuse habitude de se mettre en grève en attendant de recevoir le carton d’invitation à la table des négociations, qui le plus souvent a déjà été posté.